Intervention de Laurence Brunet

Réunion du jeudi 18 octobre 2018 à 8h45
Mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Laurence Brunet, chercheuse associée à l'Institut des sciences juridiques et philosophiques de la Sorbonne :

J'expliquerai pourquoi il est absolument nécessaire aujourd'hui de modifier la loi sur la bioéthique et, par voie de conséquence, les dispositions du code civil sur la filiation.

La loi de 2013 a ouvert le mariage aux couples de même sexe et la possibilité d'adopter l'enfant de son conjoint de même sexe. La plupart du temps, l'enfant est né d'un don de gamètes à l'étranger, en contravention des lois françaises puisque l'assistance médicale à la procréation (AMP) est fermée aux couples de femmes. Le droit, via la procédure de l'adoption, donne la possibilité à la conjointe de la mère légale d'adopter cet enfant.

Du point de vue de la cohérence du droit, il s'agit d'un montage. Fermer les yeux sur le mode de conception de l'enfant et permettre l'instauration d'une seconde filiation me semble un montage incohérent. En ne s'intéressant pas au mode de conception de l'enfant, la loi de 2013 est restée au milieu du gué. Ce compromis, ce montage a été avalisé – et c'est heureux – par la Cour de cassation en 2014, dans un avis qui confirme l'idée que le mode de conception de l'enfant ne doit pas avoir de conséquence sur l'établissement de sa filiation. Bien qu'il ne s'agisse que d'un avis, ce dernier ouvre la possibilité d'adopter l'enfant de la conjointe lorsqu'il est né d'un don de gamètes.

À ce jour, le droit, porteur de certains inconvénients sur lesquels je reviendrai, permet en pratique d'établir une double filiation, mais il me semble que subsiste une incohérence juridique flagrante, puisque, d'un côté, on interdit alors que, de l'autre, on autorise, voire on encourage, en fermant les yeux, le contournement d'une interdiction. Notre droit est devenu illisible. La seule solution consiste à revoir la question de la conception de l'enfant et de permettre l'ouverture de la procréation médicalement assistée aux couples de femmes. Tel est le volet qui intéresse strictement le droit de la bioéthique et qui suppose de modifier les articles L. 2141-1 et L. 2141-2 du code de la santé publique. Une fois ouverte la possibilité d'avoir un enfant par don de gamètes en France, il faudra s'intéresser au mode de filiation. Dès lors que l'on considère qu'il est possible pour une femme seule ou un couple de femmes d'avoir un enfant en France, via une technique légitimée et mise en oeuvre par les services d'assistance médicale à la procréation, on ne peut en rester à cette forme de compromis qu'est le recours à l'adoption. Si l'on considère que les deux femmes sont les mères, je ne vois pas pourquoi on imposerait à la seconde d'adopter l'enfant, dans la mesure où cette seconde femme a contribué à égalité, même si elle n'a pas porté l'enfant, au projet parental.

En rester à l'adoption serait incohérent – ce serait une sorte de dénaturation de l'adoption. Au surplus, l'adoption n'est pas sans risques ni insuffisances, on le voit bien au regard de la jurisprudence.

La procédure d'adoption suppose, d'une part, que le couple soit marié et, d'autre part, que le parent légal donne son consentement à l'adoption par son conjoint. Or, il arrive que le couple ne soit pas marié ou qu'il se soit séparé avant la procédure d'adoption. Dans la jurisprudence, on voit plusieurs configurations où les femmes se sont séparées avant le vote de la loi de 2013. Le risque subsiste qu'entre la naissance de l'enfant et l'introduction de la requête en adoption, le couple se dispute et qu'à la suite de tensions, la mère légale refuse de donner son consentement à l'adoption. Ce sont des hypothèses que les tribunaux commencent à rencontrer. L'adoption n'est donc pas une solution suffisamment respectueuse de la vie privée de l'enfant ni de son droit à l'établissement automatique d'une filiation à l'égard de ses deux parents.

Pour l'heure, il n'existe aucune solution pour les femmes qui se sont séparées et qui ne remplissent pas les conditions de l'adoption intrafamiliale ouverte en 2013. C'est ainsi que des tentatives ont été portées par des couples de femmes pour faire établir la filiation par possession d'état. Le Conseil d'État vient de rendre un avis négatif aux termes duquel la filiation de la seconde mère ne peut être établie par possession d'état après séparation du couple. Du point de vue de la cohérence du droit à la filiation, mais aussi sur un plan politique, il est indispensable de réfléchir au mode d'établissement possible de la filiation au regard de la seconde mère.

Le Conseil d'État a fait des propositions. Il a écarté l'idée du statu quo et s'en est tenu à l'adoption intrafamiliale. Il a proposé trois solutions, préférant, dans la première, ce que j'appellerai un régime sui generis propre aux couples de femmes, en élaborant un droit qui serait spécifique aux couples homosexuels. Cette solution ne me paraît pas la meilleure, car elle est attentatoire à l'égalité entre les modes d'établissement comme entre les couples.

Les deux autres solutions consistent à transposer ou à étendre les règles actuelles de la procréation médicalement assistée avec tiers donneur. Aux articles 311-19 et 311-20 du code civil, il conviendrait de substituer aux termes « père » et « mère » celui de « parents ». On pourrait ainsi transposer les règles actuelles de la filiation aux couples de femmes. Une telle formule serait juridiquement plus économique. Sans doute faudrait-il dissocier les articles 311-19 et 311-20 du titre VII dans lequel ils sont inscrits et ouvrir un titre VII bis qui s'insérerait entre le titre VII relatif à la filiation et le titre VIII relatif à l'adoption, car il est nécessaire d'opérer une distinction entre les modes de conception. Même si les règles sont les mêmes, elles sont étendues à un cas qui ne correspond pas aux règles de droit commun de la filiation, dont elles seraient en quelque sorte transposées. Une telle formule permettrait d'étendre la présomption de co-maternité ou de parenté. Tous les pays qui ont modifié leur droit avant nous, tels que le Québec, la Belgique ou le Royaume-Uni, ont choisi cette formule. Ils ont considéré que les règles du mariage et les règles de la reconnaissance pouvaient être transposées, avec quelques aménagements a minima, aux couples de même sexe.

Ce régime retient ma faveur car il me semble qu'en créant un titre VII bis on pourrait à la fois maintenir la cohérence des règles du droit commun de la filiation dite charnelle et distinguer les règles concernant la procréation médicalement assistée avec don de gamètes. Ce titre VII bis s'adresserait aussi bien aux couples hétérosexuels qu'aux couples constitués par deux femmes. Quant aux enfants, leurs actes de naissance seraient identiques. Cela permettrait d'opérer des distinctions sans tout mélanger et sans que figure sur l'acte de naissance aucune indication, laquelle est toujours traumatique, sur le mode de conception.

Le dernier mode d'établissement envisagé par le Conseil d'État serait un droit, non pas spécifique aux couples de femmes, mais s'appliquant aussi bien aux couples hétérosexuels qui ont besoin d'un don de gamètes qu'aux couples de femmes. Il ne s'agirait pas d'une transposition des règles de la présomption de paternité ou de la reconnaissance, mais d'un nouveau mode d'établissement de la filiation, d'une sorte de déclaration anticipée qui serait en partie constituée au moment où a lieu le don de gamètes et qui, au moment de la naissance, permettrait l'établissement de la filiation de manière directe.

Quelque chose me gêne dans cette solution. Sur l'acte de naissance figurerait un nouveau mode d'établissement de la filiation puisque cette déclaration n'est ni une reconnaissance ni l'application de la présomption de paternité ou de parentalité. Sur un acte de naissance figurent normalement les modes d'établissement de la filiation : par exemple, le fait que l'enfant ait été reconnu ou non entraîne une mention marginale sur l'acte de naissance. Or, tout ce qui figure sur un acte de naissance à propos de la physiologie et se rapporte au mode de conception ou à la corporalité, c'est-à-dire à la physiologie, est extrêmement troublant pour les parents et pour l'enfant. Peut-être suis-je influencée par le fait que je travaille actuellement sur la question des enfants intersexués mais, à mon sens, rien ne doit figurer sur l'acte de naissance – l'adoption exceptée, car l'enfant a une famille d'origine – qui indiquerait les conditions de la naissance de l'enfant ou distinguerait l'enfant né d'un don de gamètes d'un enfant né d'une relation charnelle de ses parents.

Ce régime spécifique qui consisterait en une déclaration anticipée me semble intéressant, car il s'inscrit dans la perspective d'un droit qui serait commun à tous les couples recourant à un don de gamètes, mais il m'inquiète en ce que figurerait sur l'acte de naissance le mode de conception via la mention de cette déclaration. Je sais que les actes d'état civil doivent être numérisés. Nous attendons depuis longtemps la mise en oeuvre d'une réforme qui a été votée, mais qui n'est pas encore appliquée, y compris dans les grandes maternités : les copies de l'acte de naissance ne seraient pas intégrales et tairaient le mode de conception. Or, ce n'est toujours pas le cas à l'heure actuelle : pour un certain nombre d'actes de la vie courante, tels que l'adoption, le divorce, tout ce qui concerne les questions de nationalité, la copie intégrale de l'acte de naissance est requise. Je suis un peu soupçonneuse quant à la visibilité des modes d'établissement sur un acte de naissance.

Si l'ouverture de la procréation médicalement assistée (PMA) aux couples de femmes est autorisée par le droit, il faudra revenir sur la possibilité d'accéder aux origines pour les enfants nés d'un don de gamètes. Pour avoir visionné un certain nombre de vos auditions, bien des arguments ont déjà été développés devant vous. L'argument juridique est important. En effet, sur la possibilité d'accéder à ses origines, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) est essentielle. Le droit d'un enfant d'accéder à des informations déterminantes de son identité est un droit aujourd'hui consacré par la CEDH. Il est impossible, surtout si l'on ouvre la PMA aux femmes seules et aux couples de femmes, de maintenir en l'état le principe absolu de l'anonymat du donneur de gamètes. Il me semble indispensable de l'ouvrir, en tout cas, de l'aménager pour non pas lever l'anonymat au moment où a lieu le don de gamètes, mais permettre à l'enfant majeur, de façon encadrée, sous certaines conditions, de demander à accéder à l'identité de son donneur de gamètes.

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