Intervention de Jean-Louis Touraine

Réunion du jeudi 18 octobre 2018 à 8h45
Mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Louis Touraine, rapporteur :

Merci pour l'éclairage que vous apportez.

Vous avez cité la célèbre maxime de Montesquieu qui nous impose d'avoir la main tremblante. Heureusement, elle n'est pas que tremblante depuis l'Antiquité, sans quoi le père aurait encore aujourd'hui droit de vie et de mort sur ses enfants ! Il faut bien écrire de temps à autre de nouvelles dispositions.

La situation actuelle présente un fort contraste. D'une part, l'idée est assez largement répandue selon laquelle les vrais parents ne sont pas ceux qui donnent les gamètes, mais ceux qui s'engagent à procurer à l'enfant l'environnement matériel, affectif, intellectuel qui lui permettra de se développer et de s'épanouir. J'en veux pour preuve que nous ne recherchons pas le parent biologique de l'enfant adultérin. Le père est celui qui élève l'enfant.

D'autre part, notre droit ne considère pas toujours que la mère soit celle qui accouche et que le père soit le père – voir le cas d'une GPA effectuée à l'étranger, ou de la « seconde mère » lorsqu'une PMA concerne un couple homosexuel.

D'un côté, le parent est celui qui s'engage ; de l'autre, notre droit n'est pas en conformité avec les réalités d'aujourd'hui. Dès lors, il nous faut modifier le droit. Pour ce faire, il existe deux solutions. Soit on le change en le corrigeant à la marge, soit on décide de totalement le réécrire. Cela aura du sens dans un avenir plus ou moins proche, car si nous traitons des questions qui se posent aujourd'hui, d'autres se poseront dans le futur. Un jour adviendra l'utilisation de l'utérus artificiel. Cela déplaît à certains et plaît à d'autres. Qu'importe : cela existera. La « femme » qui accouchera sera une couveuse et on ne pourra pas décréter que la couveuse est mère. Il faudra accepter de sortir de nos règles d'antan : nous y serons naturellement conduits. Peut-être le temps est-il venu de faire aboutir cette réflexion pour déterminer qui sont les parents, en nous détachant de la loi de la nature, c'est-à-dire la façon traditionnelle de procréer. Les arrangements avec la tradition existaient déjà dans la Bible : souvenez-vous de Sarah et d'Agar. Par ailleurs, dans les campagnes, lorsqu'un couple était infertile, il était procédé à des échanges d'enfants. L'intérêt de l'enfant est prioritaire. L'enfant a intérêt à avoir un, deux, trois parents qui s'engagent formellement dans son éducation et son épanouissement, et cela même après ses dix-huit ans – mais c'est là une autre histoire !

Après vous avoir entendus, je me demande s'il ne conviendrait pas d'être plus ambitieux en essayant de prévoir les innovations à venir. Bien sûr, nous n'inscrirons rien dans le marbre et il restera du travail pour les générations futures. Il n'empêche qu'il serait intéressant de marquer que nous sommes conscients du fait que le don de gamètes, le lien génétique n'a d'aucune façon la priorité : ce qui importe, c'est l'engagement fort envers l'enfant.

Il nous faut respecter également le fait – à vous de le confirmer – que l'enfant ne doit en rien être stigmatisé par son mode de procréation. Ce n'est pas lui qui l'a choisi. Déjà, il n'a pas choisi de naître. Il arrive que des enfants disent à leurs parents qu'ils n'ont rien demandé, que ce sont eux qui les ont fait naître. Que répondons-nous à nos adolescents lorsqu'ils nous le reprochent ? En général, nous passons à la question suivante. Il ne conviendrait pas qu'ils nous demandent au surplus pourquoi on les a fait naître par un tiers donneur. Il faut éviter toute stigmatisation.

Mesdames, vous avez dressé la liste complète de l'ensemble des possibilités.

J'ai tendance à dire que la solution la moins stigmatisante serait celle où l'acte de naissance affiche le moins d'indications, ce en quoi je m'écarte légèrement de la recommandation du Conseil d'État, et ce pour éviter toute différence et discrimination. C'est vers cela qu'il nous faut tendre, pour que l'enfant trouve son intérêt et sa capacité à se développer sans jamais avoir l'impression d'être différent. Tous les pédopsychiatres nous le disent : il est un âge où l'adolescent ne supporte pas d'être différent. On le note même dans le code vestimentaire. Ils ont besoin d'être identiques. Celui qui est marginalisé par ses camarades en souffre. Il convient de respecter ce besoin des jeunes et de les placer dans la condition commune. Quel que soit le mode de procréation – auquel il n'a pas participé –, il doit être une reconnaissance de ses parents, d'un état normal et habituel. Je suis très à l'écoute de tout ce que vous dites qui nous permet d'établir une filiation en parfait respect avec ce principe.

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