Intervention de Élise Fajgeles

Réunion du jeudi 18 octobre 2018 à 8h45
Mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉlise Fajgeles :

Le sujet est éminemment politique et il est aujourd'hui de la responsabilité du législateur de trancher et de procéder à un choix politique. Pour ce faire, nous avons besoin d'être éclairés. Il me semble que ce choix a déjà été opéré puisque le Président de la République actuel a été élu au suffrage universel démocratiquement et qu'au cours de sa campagne l'un de ses engagements était d'ouvrir l'AMP aux couples de femmes et aux femmes seules. Il me semble que, démocratiquement, le choix politique a déjà été en partie opéré. Désormais, il appartient, en effet, au législateur de traduire ces engagements dans tous les domaines, celui-là comme les autres, et de le faire de manière éclairée, notamment d'un point de vue juridique, en garantissant que la loi soit appliquée dans la société sans créer de souffrances, de déchirures et de clivage, puisque tous les points de vue peuvent être entendus et sont légitimes.

À cet égard, messieurs, il me semble extrêmement important de vous entendre, de dialoguer avec vous, même si je distingue votre expression à chacun. Je voudrais réagir en tant que femme politique. Vous prenez l'enfant en compte, vous souhaitez le protéger, je l'entends. Toutefois, vous pouvez avoir tenu des propos susceptibles de causer une douleur à ces familles construites en dehors du modèle traditionnel que vous souhaitez maintenir coûte que coûte.

Messieurs, j'ai entendu dans vos propos un refus de reconnaître que le législateur puisse s'adapter aux évolutions de la société, notamment vous, monsieur de Vries. Dès lors, j'interroge : devons-nous revenir sur le droit au divorce ? Sur le droit pour les femmes à disposer de leur corps via la légalisation de l'interruption volontaire de grossesse ? Sur le droit au mariage pour les couples de même sexe ? Ce sont des lois qui ont été votées, parfois à la suite de débats houleux, certes, mais démocratiquement.

Aujourd'hui, notre société ne me paraît pas en danger de décadence ou de perdition : nous continuons à y vivre et à élever des enfants. Faudrait-il revenir sur ces avancées qui ont consacré des avancées sociétales dans la loi ?

Je vous poserai quelques questions en réaction à vos propos. L'un et l'autre dites que l'AMP serait réservée aux couples hétérosexuels en situation d'infertilité. On sait que ce n'est pas toujours le cas. Vingt pour cent des couples hétérosexuels ne sont pas infertiles, mais sont fatigués, surmenés, stressés. Voilà ce que disent les gynécologues qui prescrivent l'AMP. Qu'en pensez-vous ? Faudrait-il sanctionner les praticiens qui prescrivent l'AMP à des couples hétérosexuels ne souffrant pas d'infertilité médicalement constatée, ou bien rester dans l'hypocrisie en disant que cela n'existe pas alors que nous savons pertinemment que c'est faux ?

Monsieur Lucas, vous avez indiqué qu'il fallait peut-être réserver l'AMP aux couples en âge de procréer. Je voudrais savoir ce qu'est un couple en âge de procréer. Faudrait-il inscrire dans la loi un âge au-delà duquel les femmes ne peuvent plus procréer ? Pour le moment, aucune limite n'est fixée. Je ne sais pas comment faire pour réserver l'AMP aux couples en âge de procréer.

Vous dites qu'il ne faut pas toucher au droit de la filiation, ce qui aurait pour conséquence de ne pas permettre l'ouverture de l'AMP aux couples de femmes. Si nous permettons l'ouverture mais que nous ne touchons pas au droit de la filiation – ce qui entraînerait, selon vous, une révolution trop importante – que faisons-nous des enfants qui naîtront ? Pour le coup, cela signifie que les enfants sont traités différemment, mais si jamais on n'ouvre pas l'AMP, que faisons-nous des femmes qui continueront à y avoir recours à l'étranger ? Faut-il prévoir de les sanctionner pénalement, puisque la pratique continuera d'exister ? Ce n'est pas parce que cela existe qu'il faut le faire, mais si cela existe, faut-il l'empêcher et comment l'empêcher ?

Vous venez de nous dire que l'enfant ne doit pas être stigmatisé et qu'il doit être protégé, mais que faisons-nous pour les enfants déjà nés par PMA à l'étranger ? Que faisons-nous pour les protéger et garantir leur droit supérieur à être protégés ? Lorsqu'on dit que l'amour ne fait pas tout – et c'est en cela que votre propos peut être ressenti comme douloureux par les parents –, que fait-on de ces projets parentaux qui ont déjà donné lieu et qui continueront de donner lieu à la naissance d'enfants ? Sur quoi se basent ces projets parentaux, plus forts que tout, si ce n'est sur l'amour et la volonté de créer une famille ? Ne pourrait-on consacrer, non pas un droit à l'enfant, mais un droit fondamental à avoir une vie familiale normale ?

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