Intervention de Jean-Claude Ameisen

Réunion du mardi 23 octobre 2018 à 18h15
Mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Jean-Claude Ameisen :

Quand j'ai pris la présidence du Comité, j'ai regardé quels avaient été, depuis sa création, en 1983, le pourcentage d'avis consensuels et le pourcentage de ceux ayant donné lieu à des opinions minoritaires. En 2012, un tiers des avis émis depuis 1983 comportaient des opinions minoritaires. Il y a des périodes où il n'y en a pas et, quand ils réapparaissent tout à coup, on trouve cela étrange. Cela fait partie de la pratique, ce qui est heureux car, en voulant absolument aboutir à un consensus, on risque de dériver vers le plus petit dénominateur commun et de ne s'accorder que sur ce qui ne suscite aucune réserve. Il est plus intéressant d'aller jusqu'au bout de la réflexion collective et de faire en sorte que les conclusions aillent au-delà du oui ou du non. Certains des avis minoritaires que j'ai connus étaient des façons différentes de poser la question, des regards différents portés sur certains aspects, des accents mis sur des points non considérés comme centraux. Une telle pratique préserve la multiplicité des regards.

Cela est d'autant plus important pour moi – mais il s'agit d'une opinion personnelle – que j'ai toujours considéré qu'en dehors des cas manifestes de déni du droit ou de modifications à apporter d'urgence, le rôle essentiel du CCNE n'était pas de se substituer à la société, mais de l'aider à mieux réfléchir en montrant la complexité d'une situation, en essayant de la dénouer, en désignant la multiplicité des enjeux. C'est l'un des principes fondamentaux de l'éthique biomédicale moderne, ce qu'on appelle le choix libre et informé, selon lequel c'est l'information qui est mise à la disposition de la liberté de la personne et non la personne qui est mise à la disposition de l'information qu'on a sur elle ou qu'on lui donne.

À mon sens, le CCNE devrait aider la société à penser librement les choix possibles et aider ensuite le législateur à décider à partir de cet éventail des choix.

Il existe deux types de situations. Lorsque les droits fondamentaux, la santé, la vie de personnes sont manifestement mis en cause et lorsque le Comité pourrait saisir le Défenseur des droits, une recommandation s'impose. Dans tous les autres cas, y compris dans les situations complexes, le rôle du CCNE n'est pas de dire oui ou non, il n'est pas de dire au législateur quelle loi il devrait voter : il est d'éclairer, d'informer au mieux et de faire en sorte que les cristallisations de positions opposées apparaissent comme plus complexes que les représentations qu'on en a. À cet égard, les opinions minoritaires sont une façon d'élargir la réflexion plutôt qu'un élément négatif de nature à briser le consensus du Comité. Contrairement au CESE, le CCNE n'est pas une instance décisionnelle, une instance prédécisionnelle ou une instance représentative : c'est une instance dont l'importance, la légitimité et l'intérêt procèdent de sa capacité d'aider à la réflexion, ce qui est pour moi le sens même du terme de consultatif, dans la mesure où elle est indépendante et où elle croise les regards.

Quant au débat, pour être serein, il ne doit pas être accoudé à des délais précis – trois mois, cinq mois… – préalables à la modification éventuelle de la loi. Découplée d'une perspective législative déterminée, la réflexion peut être ouverte, plus sereine, donc plus utile, à la fois à la société, puisqu'elle peut s'en approprier les enjeux, et au législateur, appelé ensuite à élaborer la loi. Je le répète : il faut encourager la multiplicité des formes du débat. Il n'y a pas de forme idéale, mais ce qui favorise la réflexion collective aux dépens de l'addition des opinions et du simple dialogue, comme on a demandé aux instances du type du CCNE de le faire, rend la société plus adulte. Apprendre à réfléchir ensemble n'est pas la même chose que s'écouter. S'écouter est un premier pas, mais il faut réfléchir ensemble et dans la diversité. Dans notre pays, on a l'habitude de réfléchir ensemble entre personnes de même profession, de même âge ou de même lieu de résidence. Ce qui est frappant dans les conférences de citoyens, c'est qu'elles réunissent des personnes d'âges divers, de professions diverses, de lieux de résidence diverses, et cette diversité apporte quelque chose à l'intelligence collective. Dans une société qui devient de plus en plus clivante et brutale, c'est en se réunissant dans la diversité que l'on élabore la réflexion la plus utile, la plus ouverte et la plus riche.

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