Intervention de Jean-Claude Ameisen

Réunion du mardi 23 octobre 2018 à 18h15
Mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Jean-Claude Ameisen :

Je répondrai d'abord à la dernière question. Mon propos était plus large et ne concernait pas spécifiquement l'annonce d'une prédisposition à une pathologie, bien qu'il faille réfléchir à ce terme. Les annonces, on les fait dans les aéroports et dans les gares ; lorsqu'on m'annonce qu'un train va être en retard, on ne sait pas que j'existe : on dit quelque chose pour que je l'écoute. Un dialogue singulier visant à apprendre à quelqu'un quelque chose d'important n'est pas une annonce. Ce devrait être un échange, une écoute. En voulant bien faire, on a créé des postes d'infirmières d'annonce, mais c'est choquant d'un point de vue éthique. De plus, il y a un droit de savoir et de ne pas savoir. Quand on fait une annonce dans la gare, à moins d'être distrait, je ne peux pas ne pas savoir qu'un train est en retard, mais face à une réponse, mon droit de savoir ou de ne pas savoir est enfreint. Rien ne remplace le dialogue, l'échange, l'écoute. Lors d'une consultation mémoire, dire à quelqu'un : « Vous avez une maladie d'Alzheimer, merci d'être venu, au revoir » est d'une brutalité inouïe.

On est passé du mensonge paternaliste dans l'intérêt de la personne – vous n'aviez pas à le savoir, mais je vous dis ce que je pense être utile pour votre bien – à l'inverse, qui est la transparence. Or l'éthique n'est ni la transparence ni le mensonge : c'est le droit de savoir et de ne pas savoir, ce que seul un dialogue peut construire.

La procédure de consentement dite – expression un peu paternaliste – « de choix libre et informé », consiste à être informé pour décider librement, ce qui implique le droit de savoir et de ne pas savoir. Si on le remplace par un document écrit, ce droit de savoir et de ne pas savoir au moyen d'échanges ne s'applique pas. Le formulaire est là pour témoigner du fait qu'un processus a eu lieu, mais de plus en plus, il remplace le processus et témoigne du fait qu'il n'a pas eu lieu. Dans les pays où les gens ne savent pas lire et écrire, le témoin d'un processus de choix libre et informé est l'enregistrement.

J'évoquais la déshérence et l'abandon de la personne face au résultat du test, tel qu'il est pratiqué. Si le test révèle l'existence d'un handicap ou d'une maladie d'Alzheimer, que devient la personne ? Il y a un déficit d'accompagnement. Nous sommes très bons pour la réparation, mais extrêmement mauvais pour l'accompagnement. Lorsque nous ne pouvons pas changer la situation de la personne, la guérir, la traiter, nous l'abandonnons. Une réflexion sur l'accompagnement doit donc être conduite. Les lois relatives à la bioéthique qui traitent de tests génétiques ou d'imagerie cérébrale doivent se préoccuper du devenir de la personne à l'issue de la procédure. Même si les principes éthiques sont parfaitement respectés, que devient ensuite la personne ? Est-ce qu'on lui dit au revoir ? C'est pourquoi je disais qu'en ce domaine, le champ de la loi relative à la bioéthique est un peu restreint, parce qu'il empêche de voir après et ailleurs.

En ce qui concerne l'épigénome, l'environnement et le mode de vie ont des conséquences dès le développement embryonnaire et foetal. Un article publié il y a quelques années dans la revue Nature, sous la plume de plusieurs scientifiques, essentiellement des femmes, disait en gros : ne tapez pas sur les mères ! Il y a deux façons d'appréhender l'importance de la grossesse, du développement foetal, de la naissance et des premiers mois. La première consiste à dire aux mères : vous n'avez pas fait ce qu'il fallait, vous êtes responsable des dégâts qui vont survenir. Une autre consiste à vouloir collectivement que chaque mère, chaque parent vive dans des conditions telles que l'enfant soit le moins exposé possible. À côté de la responsabilisation individuelle qui confine à l'abandon – débrouillez-vous, faites ce qui est le mieux et si vous ne pouvez pas, tant pis vous ! –, on peut agir collectivement afin que, dès le développement foetal, tous les risques d'ordre environnemental et épigénétique soient au mieux prévenus, afin de laisser ouvert le champ des possibles. L'épigénétique, c'est le champ des possibles. Dans notre société, on a eu longtemps l'impression que tout était dans les gènes et qu'un test génétique disait tout d'une personne, y compris un test génétique réalisé sur une cellule d'embryon dans un tube à essai. Comme si, d'un seul coup, on voyait ce que la personne allait devenir dans les cinq, dix ou vingt ans qui suivent. C'est plus compliqué que ça. L'important est d'accompagner la vie depuis le début.

Je suis frappé par l'enthousiasme du public pour toutes les sciences qui n'ont pas d'impact direct sur la santé et la vie de chacun. La plupart des gens sont passionnés par l'astronomie, la paléoanthropologie, la paléontologie et l'archéologie. Mais lorsque les implications de la recherche touchent à leur vie, à leur santé ou à celle de leurs proches, le regard change. D'une part, une culture scientifique allant au-delà de l'enthousiasme est nécessaire, et, d'autre part, il faut enseigner, dès l'école, la démarche scientifique. L'école ne doit pas proposer seulement une addition de connaissances mais aussi une compréhension de la démarche scientifique, qui est d'ailleurs un excellent outil d'apprentissage de l'esprit critique. Il faut apprendre soi-même à comprendre comment on explore, comment on teste, comment on remet en question.

De plus, un discours public plus ouvert, moins affirmatif, moins simplificateur est nécessaire. Plus le discours public touchant à la santé, à l'environnement ou à d'autres domaines qui nous concernent directement est simplificateur, plus certains pensent, à juste titre, qu'il est incomplet, donc inexact, donc peut-être mensonger. Dans notre pays, on a peur de la complexité. C'est pourquoi je disais que le rôle du CCNE, le rôle du Parlement, le rôle du débat public, n'est pas de proposer des solutions en simplifiant mais, au contraire, de montrer la complexité du monde et de permettre de choisir dans cette complexité ce qui, à un moment donné, paraît meilleur. Il consiste aussi à nous apprendre que la connaissance que nous donne la science est riche de tout ce qui nous manque, que la connaissance est toujours provisoire, qu'elle est la meilleure à un moment donné mais qu'elle n'est jamais définitive. C'est pourquoi la recherche est essentielle. On a parfois tendance à présenter la science comme une vérité révélée qui dirait l'état du monde de manière définitive. Non. C'est un processus qui nous permet, à chaque moment, d'être le mieux informé possible sur l'état du monde et sur la manière de le modifier.

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