Intervention de Patrick Mignola

Séance en hémicycle du lundi 10 juillet 2017 à 16h00
Renforcement du dialogue social — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPatrick Mignola :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la première préoccupation de nos concitoyens, c'est le chômage. La priorité que nous avons tous affichée dans la longue série de campagnes électorales qui s'achève, et quels que soient les bancs que nous occupons désormais dans cet hémicycle, c'est la lutte contre le chômage. Si notre pays, avec l'élection du Président de la République, a renoué avec l'espoir, c'est néanmoins sur notre capacité à obtenir des résultats contre ce fléau que nos concitoyens restent le plus perplexes.

Ils ont raison ; car la France est le pays qui, quand le monde croît, croît le moins. C'est dans notre pays que la croissance, qu'elle soit atone ou puissante, produit le moins d'emplois. Cette statistique, devenue une antienne de tous les commentateurs du monde, sonne ici comme une résignation quadragénaire. Il est de notre devoir de vaincre cette résignation et de nous en donner les moyens, vite.

Au nom du Mouvement démocrate, je me réjouis donc que le Gouvernement nous propose une loi d'habilitation permettant de prendre rapidement les premières mesures pour relancer la dynamique économique et sociale de notre pays. Je souligne avec satisfaction qu'il a choisi le renforcement du dialogue social comme premier objectif, car celui-ci est la condition préalable et indispensable au changement de paradigme auquel nous sommes appelés. Tel est pour nous l'enjeu de cette loi : une société nouvelle.

Dans cette discussion générale, nous souhaitons avant tout décrire l'esprit qui devrait à nos yeux sous-tendre le dialogue ouvert par le Gouvernement avec les syndicats, nos amendements visant, non pas à restreindre le champ des discussions, mais à préciser ou à bonifier les orientations qui ont été présentées par le rapporteur Pietraszewski. Il faut aller vite, viser juste et permettre au pays de mieux transformer la croissance en emplois.

D'abord, aller vite. Comme l'observait récemment l'ancien président du Conseil constitutionnel et de cette assemblée, Jean-Louis Debré, notre pays a toujours réformé sa législation du travail en utilisant des procédures d'urgence : qu'il s'agisse du président Mitterrand en 1982, du général de Gaulle en 1959, et même du Front populaire dès l'été 1936 – la procédure équivalente à l'époque s'appelait décrets-lois.

Le choix récurrent de cette méthode est riche d'enseignements. Notre histoire sociale, plus souvent marquée par le conflit que par la négociation apaisée, n'est sans doute pas pour rien dans les procrastinations qui rendent les bonnes décisions tout à coup si urgentes. J'y vois une bonne résolution pour la nouvelle majorité, qui incarne une nouvelle manière d'agir : celle consistant à ne plus céder aux atermoiements et à soutenir cette action d'urgence. J'observe que de 1936 à 1959, puis de 1959 à 1982, l'écart était d'un quart de siècle ; mais que depuis 1982, trente-cinq ans se sont écoulés. Durant cette période, hormis des modifications qui, pour être nombreuses, ne s'inscrivaient guère dans une modernisation globale du code du travail, nous n'avons que peu fait pour adapter nos lois aux mouvements de société. Or en 1982, nous communiquions au mieux avec le Minitel : raison encore d'accepter l'urgence !

Car, mes chers collègues, nonobstant les postures qui présenteraient ces ordonnances à venir comme un grand soir, il faut bien l'admettre : en faisant évoluer le droit du travail, elles transformeront moins la société qu'elles n'adapteront la loi à une société qui s'est déjà transformée. Le monde a changé, les entreprises sont de plus en plus diverses, les modèles économiques, protéiformes. Et ici, à l'Assemblée nationale, nous n'avions jusqu'alors pas assez d'entrepreneurs et de salariés parmi les députés pour confronter le Parlement au réel. Pour aller vite, il faut donc soutenir ce texte car en plus d'être une loi d'habilitation qui donne mandat au Gouvernement de dialoguer avec les représentants syndicaux, il est, à nos yeux, une loi de réhabilitation de gouvernants qui choisissent désormais de mieux entendre ce que les entreprises disent et attendent au-dehors de nos assemblées.

Je crois en outre, madame la ministre, que le Gouvernement a visé juste dans ses priorités. D'abord, le dialogue social : entre vous et les syndicats, ai-je dit, pour aujourd'hui, mais bien sûr au sein même des entreprises pour demain. Si l'on veut bien rechercher les causes de cette exception française que nous rappelions tout à l'heure – la sous-production récurrente d'emplois, même en temps de croissance mondiale –, nous pouvons nous instruire des travaux de nombreux économistes qui analysèrent les composantes de la croissance depuis la Seconde Guerre mondiale. Le modèle de Solow, corroboré par les Français Carré, Dubois et Malinvaud, a depuis longtemps montré que le capital humain est plus important pour soutenir le développement que le seul couple capital et travail. Le progrès technique, l'éducation, la créativité et la culture bonifient et amplifient – ou non – la croissance produite par la seule addition quantitative du capital et du travail. Ces éléments moins mesurables – la qualité des personnes et des institutions, le capital humain – forment le principal, qui doit pouvoir s'exprimer dans un vrai dialogue social, porteur de fructueuses réussites collectives dans les entreprises.

Le mal français, celui qui fait que nous traînons quand les autres courent, c'est bien de vivre sous un droit fondé sur la confrontation entre un capital et un travail aux intérêts prétendument inconciliables, dont il faudrait réguler les contentieux. Mais non, l'entreprise n'est pas un ring dont le code du travail serait l'arbitre ! Dans une PME comme celle que je dirige, lorsque le comité d'entreprise se réunit, c'est entre des personnes censées s'affronter sur des intérêts divergents, alors qu'une heure plus tard, dans une réunion de management, les mêmes s'efforceront de convenir de la meilleure organisation possible et de la meilleure façon de l'expliquer à tous les autres, pour que l'entreprise assure son activité, la qualité de son travail et les salaires de chacun. L'entreprise n'est pas le synonyme du patron dans son acception la plus péjorative, une sorte de voyou prédateur face à des salariés qu'il convient de protéger via des syndicats qui seraient forcément conservateurs et inconscients de l'intérêt général. Non, une entreprise est un bien commun, qui croît et perdure si et seulement si un dialogue itératif y vit en permanence.

J'entends bien sûr des moqueurs dénoncer cette description comme forcément angélique, uniquement adaptée aux PME. Elle ignorerait les lourdes luttes parmi de grands groupes, où actionnaires et salariés peuvent moins se côtoyer. Il est utile de rappeler que dans ces groupes, le dialogue social est déjà organisé en s'appuyant sur des DRH et des syndicats structurés et que les accords d'entreprise y sont la plupart du temps plus favorables que les préconisations de branche. Mais fabriqué pour les excès éventuels des gros, le code du travail est principalement utilisé – et son épaisseur, voire ses contradictions, subies – par les petits. Pour la première fois, en adoptant un nouveau modèle, puisse ce texte faire la loi non pour ceux qui la connaissent par coeur, mais pour ceux, madame la ministre, qu'elle inquiète quand ils l'appliquent !

Oui, nous avons besoin d'accords d'entreprise qui s'adaptent au terrain, aux différences et aux évolutions permanentes des entités économiques. Nos ennuis naquirent de l'uniformité de règles s'appliquant à des situations variées. Il ne s'agit pas d'une inversion de la hiérarchie des normes : la loi, la convention, la branche devront demeurer pour sécuriser le salarié et garantir sa mobilité professionnelle, autant que pour préserver l'entreprise d'éventuelles concurrences déloyales. Il s'agit simplement de nous donner une chance de nous adapter à la complexité des situations. Oui, nous avons besoin d'organes de représentation de salariés simplifiés, agiles et donc mieux respectés, pour qu'ils deviennent des conseils d'entreprise où l'on décide ensemble pour réussir ensemble plutôt que de se perdre en réunions successives et artificiellement conflictuelles. Oui, nous avons besoin de plafonds et de planchers pour les conflits prud'homaux : d'abord pour éviter que les mêmes causes ne produisent des effets différents selon les entreprises ou les territoires ; ensuite, pour avoir des planchers solides et rassurants et des plafonds qui incitent à la conciliation plutôt qu'à l'embouteillage des tribunaux. Les prud'hommes doivent sanctionner les attitudes graves, le harcèlement ou la discrimination, d'où qu'ils viennent, plutôt que de manoeuvrer entre des sons de cloche ou des procédures instables.

En revitalisant le dialogue social au plus près du terrain et en sécurisant ses règles, nous poserons le premier acte de la nouvelle société économique dont la France a besoin. Elle passera obligatoirement – et nous y serons tout particulièrement attentifs – par une vision globale intégrant la baisse des charges salariales pour mieux rémunérer le travail, par l'ouverture de l'assurance chômage aux démissionnaires et aux indépendants, par la profonde réforme de notre formation professionnelle et de l'apprentissage, par un nouveau système de retraites. Nous pouvons réinventer le modèle social français, solidifier ses bases, garantir son financement équitable, adapter son organisation aux nouveaux modèles de travail, mais l'appuyer sur un dialogue social enfin moderne et confiant. Que la loi préserve des excès, mais que le contrat reconnaisse enfin la vraie richesse de notre économie : son capital humain.

En fixant au Gouvernement le cadre des ordonnances, nous rappelons que c'est l'esprit de la loi et cette vision globale qui doivent nourrir la discussion entamée entre le Gouvernement et les partenaires sociaux, pour que la France retrouve, selon la belle formule de l'ancien garde des sceaux, autant de liberté que possible et autant de solidarité que nécessaire, et qu'enfin tout progrès économique dans notre pays se traduise en emplois pour nos concitoyens.

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