Intervention de Damien Pichereau

Réunion du jeudi 15 novembre 2018 à 10h05
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDamien Pichereau, référent de la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire :

Pour répondre à une urgence potentielle, celle de la période du 30 mars 2019 au 31 décembre 2020 en cas de non-accord, la Commission européenne, au coeur de l'été, sans étude d'impact et après une consultation préalable réduite à deux semaines et dont elle n'a aucunement tenu compte des résultats – majoritairement négatifs puisqu'émanant principalement d'intérêts français –, a proposé de gérer la situation née d'une potentielle discontinuité géographique brutale du corridor MNM sur des critères très étroits.

Retenant les seules liaisons maritimes directes entre les ports irlandais appartenant au réseau central et le continent déjà existantes au sein de ce corridor, elle a donc tracé une ligne belle, directe, allant de l'Irlande aux ports belges et néerlandais du corridor « Mer du Nord – Méditerranée » ! Non seulement sans tenir compte de Calais et Dunkerque, mais je dirai même en les ignorant superbement : il suffit de regarder la carte pour noter leur plus grande proximité géographique avec l'Irlande, et partant, relever qu'il serait plus rapide, donc moins polluant et moins coûteux, de s'arrêter à Calais ou Dunkerque. Quitte à tracer ainsi à main levée de nouveaux corridors, elle aurait pu aussi intégrer au corridor MNM l'axe Le Havre-Paris, déjà au sein du corridor Atlantique, permettant ainsi d'assurer cette continuité géographique du corridor MNM recherchée par la Commission européenne. Mais non… Lobbying efficace des ports belges et néerlandais, canicule de juillet amoindrissant les facultés de réflexion de la Commission européenne, je m'interroge, et je ne suis pas le seul, sur les raisons de cette « maladresse ».

Les réactions françaises ont été virulentes. La ministre chargée des transports a immédiatement saisi la Commissaire Bulc du sujet, en demandant une prise en compte de l'ensemble des ports concernés par le trafic vers l'Irlande, de Dunkerque à Brest, soit les ports bretons (Brest- Roscoff) et normands (Caen-Ouistreham-Cherbourg, Dieppe, Saint-Malo), compte tenu des circonstances exceptionnelles, je reviendrai sur ce point. Les députés des régions concernées, les collectivités locales, les autorités portuaires sont montés au créneau. Face à ce tollé général, la Commission a rouvert sa consultation, et de nouvelles contributions françaises ont réaffirmé notre position très ferme. Au Conseil, la Présidence autrichienne a jusqu'à présent fait preuve d'attentisme, tout comme la commission Transport et Tourisme du Parlement européen, qui n'a pas encore désigné de rapporteur sur un texte transmis le 10 septembre. Si nous avons finalement un accord de retrait ordonné, ce texte deviendrait pratiquement sans objet puisque nous en resterons à la situation qui prévaut aujourd'hui, jusqu'au 31 décembre 2020.

À ce stade et sur ce point, les Vingt-Sept et le Royaume-Uni ont enregistré hier un progrès majeur, avec l'accord dont Ludovic Mendes a parlé en introduction. Mais des difficultés demeurent et nous sommes encore loin du point final. Mme May doit obtenir l'accord de son Parlement, elle s'adresse aujourd'hui même à sa Chambre des Communes. Les 27 États membres vont étudier l'accord, et doivent l'agréer également. Selon les informations de ce matin, les ambassadeurs des États membres se réuniront d'ici la fin de la semaine pour discuter du projet d'accord sur le Brexit, avec pour objectif un accord sur la déclaration politique concernant le futur accord d'ici mardi. Le président du Conseil européen, Donald Tusk, a déclaré que les 27 pays de l'Union tiendraient un sommet d'urgence le 25 novembre « si rien d'extraordinaire ne se produit » avant. Le Parlement européen doit lui aussi donner son feu vert.

Si nous n'avons pas d'accord, et si la Commission maintient ce texte qui n'a pas grand sens (rien aujourd'hui n'empêche le trafic de se réorganiser vers tous les ports appartenant à la façade maritime nord du corridor Mer du Nord Méditerranée), alors il faudra faire preuve d'une ferme volonté politique pour que la future relation ne soit pas préemptée par une décision prise à la va-vite au cours de l'été dernier. Le Gouvernement y est prêt. Même si nous avons un accord, reste la suite, c'est-à-dire la période post 31 décembre 2020. Cette question se pose déjà, et cette fois encore la Commission européenne fait les choses d'une façon qui n'est sans doute pas la plus pertinente ! En effet, si la discussion est déjà ouverte pour ajuster les tracés des corridors dans une situation sans le Royaume-Uni, celle pour revoir le RTE-T lui-même ne sera pas engagée avant 2023. Or la seconde influence la première !

La proposition de règlement « mécanisme pour l'interconnexion en Europe » pour la période 2021–2027 est d'ores et déjà en cours de discussion. Elle est en effet liée au cadre financier pluriannuel. Déposée le 6 juin dernier, elle est bien « présentée pour une Union à 27 États membres, compte tenu de la notification par le Royaume-Uni de son intention de se retirer de l'Union européenne ». Mais la Commission européenne n'a toutefois pas voulu faire de proposition d'ajustement « qui serait spécifiquement liée au Brexit », selon le raisonnement suivant : tant que l'on ignore quelles seront les modalités précises de la nouvelle relation entre l'Union et le Royaume-Uni, il est difficile de prévoir quels seront les nouveaux flux.

Les discussions sont engagées en groupe de travail, pour le Conseil, comme au Parlement européen, où l'examen de ce deuxième texte est inscrit le 22 novembre. Elles portent notamment sur l'inclusion nouvelle dans les corridors des ports français dont j'ai parlé. Cette inclusion se heurte toutefois à une difficulté juridique : seuls les ports faisant partie du réseau central du RTE-T peuvent être inclus dans les corridors pour la perspective financière 2021-2027. Or ces ports bretons et normands font partie du réseau global. Une lecture juridique stricte implique donc de revoir au préalable la définition des réseaux du RTE-T, afin d'inclure les ports concernés dans le réseau central. Or cette révision est prévue pour 2023, et la Commission n'envisage pas jusqu'à présent d'avancer ce délai. On peut tout de même s'étonner du calendrier retenu par la Commission européenne, qui, à toute allure, en plein mois d'août, s'empresse de tracer un nouveau corridor pour tenir compte du Brexit, et ne propose pas de manière simultanée pour le mécanisme d'interconnexion européen 2021-2027 une révision du RTE-T limitée qui tienne compte de cet événement majeur.

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