Intervention de Petra De Sutter

Réunion du mardi 6 novembre 2018 à 16h15
Mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Petra De Sutter, gynécologue obstétricienne, cheffe de service Médecine reproductive de l'hôpital universitaire de Gand, membre du Sénat de Belgique et de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe (APCE) :

Je limiterai mon propos à la reproduction, mon domaine de spécialité. En Belgique, et en particulier à l'université de Gand où j'exerce, l'extension de l'AMP aux couples de femmes a eu lieu il y a vingt-cinq ans, et aux femmes célibataires il y a vingt ans. Le débat qui est le vôtre en ce moment a eu lieu, à l'époque, au sein de l'hôpital : aucune loi n'empêchait de traiter ces femmes, mais était-il éthique de procéder de la sorte ? Un enfant n'a-t-il pas besoin d'un père ? Est-il acceptable de traiter des couples de femmes ou des femmes célibataires ?

Cela m'amène à parler de la définition de la stérilité, médicale ou « sociale ». Pour tout dire, le terme « stérilité sociale » ne me plaît pas davantage que celui de congélation « sociale » des ovocytes – comme si c'était un luxe qui n'a rien de nécessaire. Quand on parle avec les femmes concernées, on se rend compte que ce n'est pas cela du tout. L'orientation sexuelle est une évidence qui s'impose aux êtres, ce n'est pas un choix, non plus que d'être célibataire : seule une très faible proportion de femmes choisit de ne pas avoir de partenaire.

Doit-on parler d'indication médicale ou d'indication prétendument sociale quand une femme dont la réserve d'ovocytes est très faible décide de les congeler à 30 ans pour éviter, cinq ou dix ans plus tard, de devoir demander un don d'ovocytes ? Pour moi, c'est bien une décision médicale. Autant dire qu'il faut déterminer avec grand soin ce qu'on doit entendre par stérilité « sociale ».

Bien entendu, il y a aussi l'aspect théorique, et certains continuent de dire qu'une famille est composée d'un homme et d'une femme, qu'un enfant a droit à un père et à une mère et qu'autoriser l'AMP aux couples de même sexe ne peut pas être bon pour le développement de l'enfant. Or, toute la recherche montre que ce n'est pas le cas. En étendant l'AMP aux couples de femmes il y a vingt-cinq ans, nous avons pris un risque : nous ne savions pas vraiment ce qu'il en résulterait puisque nous ne disposions que de quelques études conduites à Bruxelles, où certains avaient commencé avant nous. Depuis, la littérature scientifique a montré que le développement psychosexuel des enfants élevés par des couples de lesbiennes est comparable à celui des enfants élevés par des couples hétérosexuels et que le problème, c'est la discrimination par l'environnement. Pour ce qui nous concerne, nous avons tranché en décidant que nous n'opposerions pas un refus à ces femmes pour des raisons qui n'avaient pas trait à l'intérêt de l'enfant mais parce que l'environnement allait réagir négativement, et que mieux valait peut-être essayer de faire changer la société – ce qui s'est fait : désormais, dans chaque classe de Belgique, un enfant au moins a deux pères ou deux mères.

Nous traitons à Gand pas mal de couples de lesbiennes venant du Nord de la France, et vous savez mieux que moi les problèmes juridiques auxquels elles se heurtent quand la partenaire de celle qui a accouché veut adopter l'enfant. En Belgique, la loi du 5 mai 2014 portant établissement de la filiation confère automatiquement à la « coparente » – meemoeder en néerlandais, Mitmutter en allemand – les mêmes droits qu'au père dans un couple hétérosexuel.

Les traitements par sperme de donneur concernent pour 84 % des femmes célibataires et des lesbiennes et pour 16 % des couples hétérosexuels traités pour une stérilité masculine. Voilà ce qui explique les préoccupations des centres d'étude et de conservation des oeufs et du sperme humains (CECOS), qui s'inquiètent du volume de sperme dont on aurait besoin en France si l'AMP était ouverte aux femmes seules ou en couple. Mais ce sont là des problèmes pratiques qui peuvent se résoudre de différentes manières, dont on pourra discuter par la suite.

Je prépare en ce moment, au nom de la commission des questions sociales, de la santé et du développement durable de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe (APCE), un rapport qui traite de l'anonymat des donneurs de gamètes. La question est largement débattue en Belgique où les dons d'ovocytes dits directs ou dirigés sont possibles entre deux soeurs ou deux amies proches et où l'état du droit relatif à l'accès à ses origines pour l'enfant né d'un don de sperme est très critiqué. Du point de vue de l'intérêt de l'enfant, de ses droits et des droits de l'Homme en général, la seule conclusion à laquelle je peux arriver est que l'anonymat du donneur devrait être aboli. Je sais que l'on redoute la chute subséquente du nombre de donneurs, mais de nombreux pays ont résolu ce problème et une question pratique ne peut interférer dans la réflexion éthique.

En Belgique, pays compliqué, la législation fédérale préconise toujours l'anonymat des donneurs de gamètes, mais dans la région flamande, le ministre a décidé la création d'une banque d'ADN volontaire : les enfants issus d'un don peuvent ainsi rechercher si leur empreinte génétique coïncide avec celle d'un donneur. Sans aucun doute, la loi devra changer à ce sujet. Je pense que c'est imminent.

Je n'ai pas le temps nécessaire pour aborder la question du dépistage génétique et de l'outil de modification du génome CRISPR-Cas 9, mais nous y reviendrons peut-être.

Enfin, la recherche sur les cellules souches doit faire s'attendre à des changements intéressants : les gamètes artificiels viendront bousculer la reproduction et son éthique. Un moment viendra où la fécondation in vitro n'existera plus : pourquoi procéder à des stimulations ovariennes pour produire dix ovocytes quand on pourra en faire des centaines en laboratoire à partir de cellules souches ? Cela ouvrira, dans cinq à dix ans, la porte à la procréation génétique homosexuelle – dont nous pourrons reparler.

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