Intervention de Amiral Christophe Prazuck

Réunion du mercredi 17 octobre 2018 à 9h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Amiral Christophe Prazuck, chef d'état-major de la marine :

L'avenir de la patrouille maritime a été esquissé par le président de la République et la chancelière allemande autour d'un projet commun qui devrait arriver dans les années 2030. La rénovation de nos avions de patrouille maritime, qui a été lancée, nous permettra de tenir jusqu'à cette échéance. Le PLF 2019 prévoit la réception des deux premiers Atlantique 2 rénovés. En outre, la LPM que vous avez votée il y a quelques mois portait de quinze à dix-huit le nombre de ces avions de patrouille maritime à rénover. D'ici aux années 2030, nous avons le temps de spécifier avec les industriels à quoi ressemblera notre patrouille maritime du futur et quelle sera la place des moyens non habités, notamment les drones de moyenne altitude et longue endurance (MALE), dans notre capacité à surveiller nos approches maritimes. Pour l'instant, nous en sommes encore au niveau de l'expression des besoins opérationnels.

Des échanges réguliers se tiennent entre l'état-major de la marine libanaise et les autorités navales françaises, pour apporter le soutien de la France dans l'expression des besoins libanais. Nous sommes donc partie prenante dans cette montée en puissance de la marine libanaise. Viendra ensuite le temps de la mise en oeuvre de la commande et de la formation des équipages, grâce à des escales de bateaux et à des entreprises comme DCI. Deux officiers libanais devraient embarquer au titre de la mission Jeanne d'Arc.

Sur la fidélisation des femmes et le plan « Famille », je dirais que nous apprenons en marchant. Je ne sais pas si ce plan répondra à tous les besoins des femmes qui sont dans la marine. Il vient d'être lancé. En tout cas, j'y veillerai avec beaucoup d'attention. Ce plan fait partie de nos outils de fidélisation. Vous avez évoqué les catastrophes en Manche et en mer du Nord. L'amiral Ausseur a accompli un travail énorme, notamment en faisant de Cherbourg un port d'avenir, en redonnant une dynamique à l'action de l'État en mer mais aussi à la vocation de port nucléaire. Cherbourg est également un port où l'on expérimente et met au point les techniques d'intervention immédiate en cas d'attaque terroriste sur un bateau en mer. Ce port dispose en permanence d'équipes formées et aptes à être projetées au milieu de la Manche pour intervenir. Une étude conduite par l'amiral Ausseur et l'administration des affaires maritimes montre que l'investissement dans la sécurité maritime en Manche permet d'éviter des catastrophes dont le coût est de l'ordre de 200 euros par euro investi.

J'en viens à Aspretto. Je suis ravi que le commandant de Gaullier des Bordes, qui est un excellent camarade, ait pris ce commandement. Nous ne remettrons pas d'école aéronautique à Aspretto. En revanche, je constate que les opérations après la collision entre l'Ulysse et le Virginia ont été commandées depuis la Corse. Non seulement les affaires maritimes y opèrent dans un centre opérationnel de surveillance et de sauvetage en mer (CROSS), mais nous avons la capacité de mettre en place une cellule au profit du préfet maritime pour commander une opération. Je ferai le point avec le commandant de Gaullier des Bordes pour voir comment résoudre les difficulés que vous soulevez.

Le trafic de stupéfiants dans les Antilles est assez ancien, mais il y en a désormais un peu partout dans le monde. Nous luttons également contre ce type de trafics en océan Indien. Nous y avons saisi en un an 15 tonnes de haschich et d'héroïne en provenance d'Afghanistan, partant sur des boutres vers l'Afrique de l'Est et remontant ensuite vers l'Europe. Grâce au dispositif législatif dit de dissociation que vous avez mis en place, nous pouvons détruire la drogue en pleine mer sans avoir à ramener le bateau à La Réunion. Nous commençons aussi à intercepter des cargaisons de drogue dans le Pacifique, qui partent d'Amérique du Sud et qui vont vers l'Australie et la Nouvelle-Zélande. Nous sommes très vigilants dans ce domaine. Dans les Antilles, nous poursuivons les opérations que nous menons depuis plusieurs années. Il existe un véritable jeu du chat et de la souris avec les trafiquants, qui partent d'Amérique du Sud à destination des Antilles ou des États-Unis. En fonction de la pression, les trafiquants passent soit par le golfe du Mexique, en contournant l'arc antillais, soit par le Pacifique. Nous avons récemment envoyé une frégate de surveillance de Polynésie française participer aux opérations mises en place par les Colombiens et les Américains sur la façade Pacifique pour lutter contre le trafic de drogue. Nous sommes donc très impliqués, avec des avions de surveillance maritime Falcon 50, des frégates de surveillance, des commandos envoyés depuis la métropole et le concours des autres administrations, notamment les douanes qui jouent naturellement le premier rôle. Dans cette région, le trafic de drogue emprunte deux moyens de transport : le go fast et le slow mover. Pour arrêter un go fast, c'est-à-dire un bateau avec quatre moteurs de 200 chevaux navigant de nuit, il faut tirer dans les moteurs – ce que nous faisons depuis un hélicoptère compte tenu de la vitesse du bateau. Ce n'est pas un sport de masse, surtout de nuit ! Nous envoyons donc régulièrement, pour ces opérations, des tireurs d'élite des commandos marine de Lorient. Pour sa part, comme son nom l'indique, le slow mover va lentement. Mais il compense cette lenteur par la capacité de transporter de grandes quantités de drogue. Ils sont un peu moins fréquents en Atlantique mais l'on en trouve beaucoup dans l'océan Indien. Il y a un mois, le Floréal a intercepté 7,5 tonnes de haschich sur un boutre de la région.

Vous avez évoqué le Rhône. Nous sommes très fiers que le Rhône soit, à notre connaissance, le premier bateau militaire non russe à avoir franchi le passage du Nord-Est sans assistance d'un brise-glace. Il l'a fait au moment où la banquise est la plus reculée et la plus éloignée des côtes. Il s'agit d'une route maritime dont tout indique qu'elle sera stratégique. Nous voulions voir par nous-mêmes ce que cela signifiait, et si elle était aisément praticable. Le Rhône a d'ailleurs croisé, chemin faisant, un porte-conteneurs de la compagnie Mærsk qui faisait le voyage en sens inverse, escorté pour sa part par un brise-glace russe. Ce n'est pas encore le jardin d'enfants ! Ce n'est pas demain la veille que cette route deviendra une autoroute maritime ! Ce n'est pas prochainement non plus que les porte-conteneurs qui, aujourd'hui, passent par l'océan Indien et le canal de Suez y transiteront, car ils ont besoin de hubs, ces ports-relais dans lesquels ils peuvent décharger une partie de leur cargaison pour qu'elle soit prise en charge par des bateaux plus petits chargés de les emmener dans les pays qui ne sont pas accessibles aux grands porte-conteneurs.

Vous m'avez aussi demandé à quoi sert un BSAH. C'est un bateau logistique qui sert à remorquer. Il doit être capable de remorquer un SNLE – le plus gros de nos sous-marins. Tel est son objectif. Nous n'avons jamais eu à le faire, mais nous voulons disposer d'un moyen qui en soit capable. Lorsqu'il ne fait pas cela, il participe à l'action de l'État en mer, au sauvetage des bateaux en difficulté et au soutien logistique. Lorsque j'envoie un SNA en océan Indien, par exemple, et qu'il traverse le canal de Suez, les Égyptiens demandent systématiquement qu'il soit accompagné par un remorqueur. Ces bateaux logistiques sont vraiment les « bateaux à tout faire » de la marine.

Est-il cohérent d'avoir retiré les Exocet de nos frégates de surveillance ? Oui. Est-ce cohérent avec une marine de combat ? Oui. Tous les moyens de la marine n'ont pas vocation à faire du combat de haute intensité. Sinon, vous devriez multiplier le budget ! Notre caractéristique est que nous avons des moyens différenciés. Nous avons des frégates extrêmement performantes avec des radars de très haut niveau, que nous pouvons envoyer en Méditerranée orientale ou en Atlantique Nord, ou encore escorter des bateaux précieux à Bab-el-Mandeb. Mais pour faire de la police des pêches et de la surveillance de nos zones économiques exclusives, je n'ai pas besoin de frégates de premier rang. En mer de Chine, le contexte n'est pas le même qu'en Méditerranée orientale. Pour l'instant, ma priorité serait plutôt de différencier nos moyens – sachant que les Exocet qui étaient sur les frégates de surveillance étaient de première génération, avec une portée assez réduite qui ne serait plus adaptée aux situations opérationnelles que nous rencontrons aujourd'hui.

Trimaran n'est pas un moyen d'action, mais un moyen d'observation. Il ne remplace évidemment pas un moyen d'action. Par ailleurs, Clipperton est très loin de Papeete. Je ne sais donc pas entretenir des moyens d'action permanents autour de Clipperton. Je le fais de manière régulière au cours de l'année et j'observe les habitudes et l'activité de pêche autour de Clipperton, notamment par des moyens satellitaires dont les images sont recoupées avec l'analyse des transpondeurs.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.