Intervention de Nicole Belloubet

Séance en hémicycle du vendredi 23 novembre 2018 à 15h00
Programmation 2018-2022 et réforme de la justice — Avant l'article 52 (amendements appelés par priorité)

Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice :

Contrevenant à notre accord de ce matin, je prendrai un peu de temps pour présenter cet amendement qui habilite le Gouvernement à modifier et à compléter les dispositions applicables à la justice pénale des mineurs et à les regrouper dans un code de la justice pénale des mineurs. Pour m'expliquer sur cette demande d'habilitation, je voudrais préciser la volonté du Gouvernement, vous faire part de quelques convictions de fond, enfin évoquer la procédure que je souhaite vous proposer.

S'agissant de la volonté du Gouvernement, j'ai entendu et compris les inquiétudes et les incompréhensions qui se sont exprimées hier sur les bancs de l'opposition quant au choix de cette méthode. Ce qui anime le Gouvernement et la majorité, c'est la nécessité d'ouvrir ce chantier qui a trop attendu. L'ordonnance de 1945 a été souvent modifiée ; de ce fait, elle s'est complexifiée et a perdu de sa cohérence. Elle est aujourd'hui peu compréhensible pour les mineurs et leurs familles. Devenue difficilement utilisable par les professionnels du droit, elle apparaît en décalage avec l'évolution de la délinquance des mineurs.

Cela fait des années que ce travail est annoncé et qu'il ne se passe rien. En 2008, une commission avait été installée, avec des parlementaires de tout bord, sous la présidence du recteur Varinard. Le premier ministre de l'époque, François Fillon, avait annoncé la refonte de l'ordonnance de 1945 pour créer un code de justice pénale des mineurs. Sous la précédente législature, la création d'un code de justice pénale des mineurs avait également été envisagée, mais ce projet n'a pas abouti. Depuis le début de ce mandat, des missions parlementaires ont été créées au Sénat, avec la sénatrice Catherine Troendlé et le sénateur Michel Amiel. Votre commission des lois a également lancé une mission d'information confiée à Jean Terlier et Cécile Untermaier. Le ministère de la justice travaille déjà avec des parlementaires et des professionnels depuis quelques mois sur ce sujet.

Voilà pourquoi je souhaite que cette réforme nécessaire soit réalisée plutôt que reportée une fois de plus en raison d'un calendrier parlementaire trop chargé compte tenu de la politique de transformation conduite par le Gouvernement. Je vous propose donc de nous habiliter à refondre l'ordonnance de 1945 par ordonnance. Disant cela, je reste en cohérence avec les propos que j'ai tenus devant vous, y compris en commission, il y a plusieurs jours. J'ai dit alors qu'il fallait réformer l'ordonnance de 1945 – constat que nous partagions – , mais que je n'étais pas prête à effectuer ce travail, trop important, dans le cadre du projet de loi actuel. La procédure que je vous propose permet d'atteindre cet objectif avec certitude et par un travail collaboratif. Voilà pour la volonté du Gouvernement, que je fais mienne.

Je voudrais maintenant m'arrêter sur le fond. Nous savons tous, et vous l'avez hier admis avec honnêteté, que les oppositions ont des conceptions différentes de la justice des mineurs. J'ai, pour ma part, trois grandes convictions sur cette refonte de l'ordonnance de 1945, que je voudrais vous livrer. Première conviction : il ne faut pas remettre en cause les principes essentiels de la justice des mineurs, qui sont au coeur de la jurisprudence du Conseil constitutionnel et que celui-ci a encore répétés dans sa récente décision relative à l'affaire Murielle Bolle.

Je ne veux pas modifier l'âge de la majorité pénale. Il existe un principe d'atténuation de la responsabilité pénale des mineurs et nous pensons qu'il doit continuer à s'appliquer aux mineurs entre seize et dix-huit ans. Un adolescent de seize ans, même s'il est délinquant, n'est pas un adulte. Je rappelle d'ailleurs que le juge peut déjà décider de déroger à cette atténuation s'il l'estime nécessaire. Il n'hésite pas à le faire puisque, j'ai déjà eu l'occasion de le souligner, ce sont près de 900 mineurs qui sont actuellement en détention dans notre pays. On ne peut donc pas accuser la justice de laxisme dans ce domaine.

Je ne veux pas revenir sur la double vocation du juge des enfants, à la fois juge des mineurs en danger et juge des mineurs délinquants. Le principe d'un juge spécialisé est important, et cette spécialisation consiste d'abord à appréhender la spécificité des enfants et des adolescents. Je ne veux pas non plus revenir sur la prééminence des mesures éducatives. Comme le précise le Conseil constitutionnel, nous devons « rechercher le relèvement éducatif et moral des enfants délinquants par des mesures adaptées à leur âge et à leur personnalité ». Ces mesures adaptées sont avant tout éducatives, ce qui ne veut pas dire que les juges des enfants et les tribunaux pour enfants ne doivent pas prononcer des mesures pénales lorsque c'est nécessaire.

Deuxième conviction : la justice pénale doit être plus efficace. Nous avons tous été frappés par l'agression de l'enseignante à Créteil. Dans cette affaire, la justice a su répondre rapidement : le jeune a immédiatement été déféré et éloigné du quartier. Mais malheureusement, pour différentes raisons, la réponse judiciaire n'est pas toujours aussi rapide. Il arrive que des mineurs soient jugés des mois après la commission de leurs infractions. Entretemps, ils ont pu commettre d'autres actes délictueux et cette absence de réponse n'est pas comprise par les victimes et la société. Elle est d'ailleurs problématique pour les mineurs eux-mêmes qui ne prennent pas conscience de leurs actes. Nous souhaitons donc accélérer le jugement des mineurs pour qu'il soit statué rapidement sur leur culpabilité ; nous souhaitons aussi renforcer leur prise en charge par des mesures probatoires adaptées et efficaces avant le prononcé de leur peine. Cela améliorera la prise en compte des victimes en montrant que la justice apporte une réponse rapide et en permettant d'engager la procédure de réparation.

Troisième conviction : il me semble utile de simplifier la procédure pénale applicable aux mineurs et de doter les magistrats, les professionnels de la protection judiciaire de la jeunesse, les services d'enquête et les avocats d'un code cohérent et lisible. C'est indispensable et ce socle garantira aussi la confiance dans la justice. Voilà trois convictions fortes que je défends et qui me semblent capables de dessiner un cadre.

Enfin, en matière de méthode, je souhaite vous apporter des précisions sur la procédure que je vous propose de suivre. J'ai entendu, hier, que le Gouvernement se préparait à passer en force ; je lis aujourd'hui dans un quotidien que le projet serait écrit. Ce n'est pas le cas ; aucune de ces deux affirmations n'est vraie. Je vous propose d'habiliter le Gouvernement à refondre l'ordonnance de 1945 dans un délai de six mois. Ce délai nous permettra de mener une large concertation avec les professionnels concernés, les magistrats, les avocats et les professionnels de la protection judiciaire de la jeunesse. Se fixer un tel délai garantit notre volonté de mener à bien ce chantier, c'est là tout son intérêt.

J'ai également entendu que le Gouvernement ne respecterait pas les prérogatives du Parlement. Ce n'est absolument pas le cas. J'ai pleinement conscience qu'un sujet aussi important que la justice pénale des mineurs ne peut ni ne doit échapper à la représentation nationale. Je veux donc vous proposer une méthode originale qui nous permettra d'avancer en travaillant de concert.

En premier lieu, je souhaite m'appuyer sur les travaux déjà engagés par le Parlement : le délai d'habilitation de six mois nous permettra de tenir compte des conclusions de la mission d'information confiée à Cécile Untermaier et Jean Terlier. Mais j'aimerais aller plus loin en créant un groupe de contact ou une délégation issue de la commission des lois ou de plusieurs commissions, qui réunirait des parlementaires – députés mais aussi sénateurs – pendant l'élaboration de l'ordonnance. Cela poursuivra le travail effectué depuis quelques mois déjà à la Chancellerie et au sein des missions que j'ai évoquées. À chaque assemblée de me faire des propositions !

En deuxième lieu, je propose de laisser un temps suffisant au Parlement pour modifier l'ordonnance une fois qu'elle aura été déposée, et de ne faire entrer en vigueur ce texte qu'un an après son adoption par le conseil des ministres. Cela laissera au Parlement la possibilité de jouer pleinement son rôle. Le Gouvernement et la majorité pensent que le sujet de la refonte de l'ordonnance de 1945 doit maintenant être traité et aboutir. Comme dans d'autres domaines, nous devons retenir une méthode pragmatique pour mener à bien une réforme qui n'a que trop tardé. C'est la démarche que je vous propose et à laquelle, je l'espère, vous souscrirez.

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