Intervention de Aude Bono-Vandorme

Réunion du mercredi 21 novembre 2018 à 16h35
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAude Bono-Vandorme, rapporteure :

Le second aspect concerne les méthodes d'innovation. Ce sujet a été le fil conducteur des déplacements conduits dans le cadre de ce rapport, qui a privilégié les sites techniques et industriels. Le « new space » est en effet la combinaison gagnante de la transition numérique et du progrès technologique, soutenus par des fonds privés mais également par des subventions publiques, avec une double caractéristique jusqu'à présent étrangère à nos sociétés européennes : une culture du risque, et – cela va ensemble –, un rythme d'innovation soutenu.

La capacité d'innovation du secteur spatial européen, et notamment français, est réelle et bien visible. Réelle, les agences comme la filière industrielle se sont organisées pour faciliter l'innovation et sa diffusion. Visible, j'en veux pour preuve le fait que sur les exemples illustrant pour nos collègues Christine Hennion et Sophie Auconie, dans leur rapport d'information, l'excellente qualité de la recherche européenne, la moitié relèvent de la politique spatiale européenne.

Si la capacité d'innovation existe bien, le rythme nous est toutefois apparu insuffisant, dans un contexte où les procédures sont très institutionnalisées et l'environnement encore insuffisamment favorable au décloisonnement des filières et aux rencontres multisecteurs. Or vitesse d'innovation et réactivité sont les facteurs clés de l'innovation. Chez SpaceX comme à la DARPA, le modèle est léger. Moins de 250 personnes travaillent à la DARPA, dont une majorité de directeurs de programmes, qui n'ont pas vocation à mener toute leur carrière professionnelle en son sein. Les recherches ne sont pas menées en interne mais confiées à des entités compétentes (entreprises, start-up, laboratoires, universités…), selon les doubles principes de mise en concurrence et de financement partagé (peu de financements initiaux, mais des sommes importantes peuvent toutefois être consacrées aux projets prometteurs). La vitesse et la réactivité sont deux de leurs quatre facteurs clé de réussite. Les deux autres empêchent toutefois une transposition « telle quelle » du modèle DARPA. D'abord, l'échelle des capacités budgétaires. 2,9 milliards de dollars en 2017 ; 3,44 milliards de dollars demandés pour l'exercice financier 2019. Nous ne jouons pas à armes égales. Ensuite, le droit à l'échec. C'est un sujet crucial. Cette culture de l'essaierreur peine à s'installer en Europe. Les Américains ont su prendre des voies inexplorées jusqu'alors, y croire, avoir une communication positive. L'Europe a toujours été frileuse en termes de risque, et cette frilosité est encore plus grande lorsque de l'argent public est en jeu. Sur les incubateurs dont l'ESA est à l'initiative, en partenariat avec le pays hôte des incubateurs, leur point problématique est le taux de succès, aujourd'hui de 80 %, car « beaucoup de succès ne signifiant pas forcément que vous innovez », pour reprendre les propos du directeur général de l'ESA. Ce dernier l'explique par les réticences des pays hôtes desdits incubateurs, qui refusent encore trop souvent une prise de risque trop importante.

Il faut rendre plus agile l'écosystème de recherche spatiale européen. Comment faire ? Pour les lanceurs, il y a deux approches, l'une, traditionnelle, reposant sur les industriels de l'espace et les agences, éventuellement associés à des start-up, l'autre mettant en concurrence des start-up entre elles, les industriels de l'espace conservant alors un rôle d'assemblage, car disposant des actifs, des procédures de contrôle et de qualité. Cette deuxième approche nous a semblé intéressante, en raison de son caractère beaucoup plus disruptif, qui est sans doute un élément nécessaire aujourd'hui pour mieux appréhender les enjeux.

Plus généralement, pour intégrer mieux et plus vite l'innovation dans le domaine spatial – outre les pistes proposées par nos collègues dans leur rapport sur l'innovation de rupture –, il nous semble indispensable de faire rentrer le spatial dans tous les écosystèmes d'innovation existants et d'assumer des financements publics y compris à perte. À ce sujet, je dirai juste un mot sur le CFP 2021-2027. Le budget dédié à la recherche et à l'innovation dans le prochain cadre financier pluriannuel non seulement ne subit pas l'impact né de la sortie programmée du Royaume-Uni de l'Union européenne, mais est en hausse notable, le programme Horizon Europe étant doté de 100 milliards d'euros dans la proposition de la Commission européenne. Mais la thématique espace, jusqu'à présent clairement identifiée dans les programmes-cadres de recherche, n'est plus identifiée en tant que telle dans ce programme Horizon Europe, qui ne comporte pas de pré-allocation à ce stade. Cette absence n'est pas dramatique en soi, mais elle suscite des inquiétudes, c'est donc aussi un sujet qui nécessitera un suivi du groupe de travail sur le cadre financier qui doit savoir où en est la « boîte de négociation » sur ce sujet !

Il est en outre indispensable d'apporter un soutien à la phase cruciale de la démonstration de faisabilité en orbite, qui s'avère être un goulet d'étranglement pour nombre de projets innovants, dans les start-up comme dans les grands groupes d'ailleurs. L'Union européenne n'est pas inactive sur ce sujet, mais compléter l'engagement européen relatif à l'agrégation des commandes institutionnelles par deux commandes de lancement en vue de démonstration en orbite. Enfin, il faut favoriser les transferts de savoir-faire et le maintien en Europe des entreprises innovantes.

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