Intervention de Gilles Lurton

Séance en hémicycle du jeudi 29 novembre 2018 à 15h00
Activités agricoles et cultures marines — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGilles Lurton :

… jusqu'à Saint-Briac-sur-Mer en passant par Cancale, Saint-Malo et Dinard. Dans cette très belle circonscription, nous avons l'immense chance de pouvoir bénéficier des cultures ostréicoles et mytilicoles de la baie du Mont-Saint-Michel. C'est dire si le travail et les auditions menés par Jimmy Pahun m'ont passionné – d'autant que, dans mon secteur, les exploitations conchylicoles sont encore très convoitées tant sont appréciés par le monde entier la très fameuse huître plate, perle de la baie du Mont-Saint-Michel, et les moules de bouchot, appellation d'origine protégée – AOP.

Mais il est vrai qu'il existe aujourd'hui sur nos côtes des bâtiments anciennement utilisés pour des activités agricoles, conchylicoles ou de culture marine en déshérence et qui, si nous n'y prenons garde, seront, demain, de plus en plus convoités par la promotion immobilière. À terme, cela pourrait dénaturer un littoral pourtant particulièrement préservé grâce à une loi à laquelle nous tenons, la loi littoral qui, depuis 1986, protège nos côtes. C'est donc l'objet de cette proposition de loi qui vise à redonner à ces bâtiments leur activité initiale liée à la terre ou à la mer.

Alors, quel est le problème ? Le rapporteur et les orateurs qui m'ont précédé l'ont bien expliqué : se trouvent sur notre littoral des bâtiments accessoires à l'exercice d'une activité agricole, conchylicole ou aquacole. Plus simplement, il s'agit de remises ou de petits bâtiments désaffectés, servant antérieurement, pour l'essentiel, au stockage de matériel et des productions de l'exploitation. J'insiste bien sur cette notion : « accessoires à l'activité aquacole », car c'est bien là leur vocation. La loi littoral permet, en effet, la construction de bâti en bordure du littoral pour l'unique raison qu'il participe à l'exercice d'une activité agricole, conchylicole ou aquacole en zone littorale.

Avec nos collègues du groupe d'études « Littoral » que je copréside avec Lionel Causse, nous avons renforcé cet objectif dans la loi ELAN en apportant quelques modifications à la marge afin de conforter la possibilité, pour des activités qui ont besoin d'apport d'eau de mer ou d'accès direct à la mer, de s'installer et de travailler au plus proche du rivage. En aucun cas nous n'avons voulu dénaturer la loi littoral dont notre pays peut être fier et qui a permis de préserver du bétonnage un littoral exceptionnel.

Certes, il faut pouvoir construire des bâtiments pour des activités liées à la mer, mais il faut également que nous nous préoccupions des bâtiments désaffectés que je décrivais à l'instant. Et, il faut bien le reconnaître, s'il existe un arsenal normatif interdisant le changement d'affectation des immeubles en zone littoral, il est encore difficile de sauver de la déshérence les exploitations qui ne trouvent pas de repreneur immédiat. En effet, pour ce qui est du changement d'affectation, une meilleure formation des élus municipaux – ou du moins de ceux ayant compétence en matière de plan local d'urbanisme – reste la seule solution pour améliorer leur vigilance et lutter efficacement contre la transformation de bâtiments accessoires à une exploitation en immeubles d'habitation.

En revanche, sur le maintien de l'activité agricole et aquacole en zone littorale, la législation actuelle peut encore être améliorée. Et c'est le sens de cette proposition de notre collègue Jimmy Pahun. Le principal acteur dans ce domaine, les SAFER, dispose aujourd'hui de moyens insuffisants pour atteindre une pleine efficience. Ces sociétés peuvent d'ores et déjà intervenir lors de la mise en vente d'une exploitation afin de s'assurer de la conservation de l'usage, et même préempter des bâtiments agricoles sous certaines conditions. Ce sont ces conditions que nous sommes invités à améliorer. En effet, ce droit de préemption est actuellement valable pour des bâtiments qui ont eu un usage agricole au cours des cinq années précédant leur aliénation. Or il apparaît que ce délai de cinq ans est beaucoup trop court.

Le texte que nous allons étudier propose par conséquent de relever ce délai à vingt ans pour les exploitations aquacoles et agricoles en zone littorale. Pourquoi vingt ans ? C'est une question que nous avons eu l'occasion de nous poser tout au long des auditions menées par le rapporteur.

Un consensus s'est formé autour de cette durée. Elle a été retenue parce que vingt ans équivalent à peu près à une génération, et qu'il paraît difficile de connaître l'affectation d'un bâtiment dans un délai plus long. Je prends acte de ce choix, même si je pense, pour ma part, que l'expérience nous montrera qu'il reste insuffisant sur le long terme. À titre personnel, j'aurais préféré qu'aucun délai spécifique ne soit mentionné ou qu'il soit fixé à trente ans pour éviter des spéculations d'investisseurs. Finalement, en matière d'investissement, vingt ans, c'est très court ! Je vous laisse imaginer les envies que peut créer chez certains un littoral aussi exceptionnel. Il reste qu'un premier pas est fait, et qu'il faut le saluer.

Avec le groupe Les Républicains, nous considérons que cette proposition dépasse largement tous les clivages politiques. Il s'agit d'une évolution de bon sens, qui devrait permettre aux SAFER d'agir plus efficacement dans leurs prérogatives de maintien de l'activité agricole sur nos territoires. Cependant, cette proposition de loi ne sera certainement pas suffisante pour régler durablement le problème. En effet, les auditions menées par le rapporteur nous ont, à plusieurs reprises, rappelé que les SAFER ne disposent pas forcément des ressources suffisantes pour mettre en oeuvre seules leur droit de préemption. Elles peuvent en particulier rencontrer des difficultés pour des bâtiments qui auraient changé d'affectation depuis plus de cinq ans, qu'il leur faudrait préempter sur un marché de l'immobilier d'habitation et non plus sur le marché du foncier agricole.

Cette situation pourrait en partie être réglée grâce à la contractualisation des SAFER avec le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres. Je considère que cette solution mérite d'être étudiée, et même expérimentée. Elle peut paraître compliquée à mettre en oeuvre en l'état actuel des choses, mais je formule le voeu que nous puissions y revenir, sous forme d'une expérimentation, sans doute dans le cadre d'un autre texte de loi.

Nous avions aussi émis le souhait que l'article 3 de la proposition de loi initiale, qui concernait plus spécifiquement les exploitations agricoles en zone de montagne, soit purement et simplement supprimé ; avec M. André Chassaigne, nous pensons que les élus de la montagne que nous avons auditionnés connaissent certainement mieux leur territoire que nous. Ils ont estimé que la loi du 28 décembre 2016 de modernisation, de développement et de protection des territoires de montagne, dite « loi montagne II » avait permis de trouver un équilibre. Nous pensons donc qu'il n'y a pas lieu de modifier ce texte aujourd'hui. Je remercie notre rapporteur de sa compréhension, puisqu'il a accepté la suppression de l'article 3 en commission. C'est le résultat d'un travail partagé que nous avons apprécié.

Compte tenu de cette compréhension mutuelle, compte tenu de ce travail mené en concertation avec tous les groupes parlementaires, mais également avec les interlocuteurs concernés – je pense principalement au comité national de la conchyliculture – , le groupe Les Républicains soutiendra la proposition de loi de notre collègue Jimmy Pahun. Elle va dans le bon sens, et elle devrait permettre, je l'espère en tout cas, de maintenir des activités conchylicoles et aquacoles en bordure de notre littoral, tout simplement parce qu'elles ont besoin de la mer pour se perpétuer.

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