Intervention de Paul Christophe

Réunion du mercredi 28 novembre 2018 à 9h30
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPaul Christophe, rapporteur :

Madame la présidente, mes chers collègues, il y a très exactement un an, nous examinions la proposition de loi visant à étendre le dispositif de dons de jours de repos non pris aux aidants familiaux, que j'ai eu l'honneur de rapporter et dont l'issue a été positive. Après un vote à l'unanimité en séance publique à l'Assemblée puis un vote conforme au Sénat, la loi a été promulguée en février dernier. Je ne peux que souhaiter une issue aussi favorable à la proposition de loi que nous allons examiner maintenant !

J'ai en effet l'honneur de rapporter aujourd'hui une proposition de loi visant à favoriser la reconnaissance des proches aidants, déposée à l'initiative de notre collègue sénatrice Jocelyne Guidez, dont je tiens ici à saluer l'implication et la qualité du travail, et rapportée par notre collègue sénateur Olivier Henno. Cette proposition de loi, adoptée à l'unanimité en séance publique lors de sa première lecture au Sénat, a trait avant tout à un sujet de société, qui dépasse de loin les clivages partisans et politiques. J'appelle de mes voeux à ce qu'un vrai débat de société s'engage aujourd'hui, car le sujet des proches aidants nous concerne tous.

Qui n'a pas dans sa famille ou dans son entourage une personne venant en aide quotidiennement à une personne âgée ou en situation de handicap ? Et parmi nous, qui peut se croire prémuni du risque de devoir un jour se tourner vers un proche pour obtenir un soutien et une aide indispensable ? Nous le voyons bien, devant le risque de la perte d'autonomie, nous sommes tous égaux. L'enjeu du vieillissement de la population impose de se préoccuper davantage et dès à présent de la situation des quelque huit à onze millions de Français qui aident quotidiennement un de leurs proches à faire face à la perte d'autonomie.

Les nombreux travaux parlementaires sur les proches aidants témoignent de l'implication de notre assemblée – et singulièrement de notre commission – ainsi que de celle du Sénat, sur cette question centrale de l'enjeu de la perte d'autonomie.

J'évoquais en préambule l'adoption de la proposition de loi relative au don de jours de congé. En parallèle, notre commission lançait une mission flash sur les aidants familiaux, pour laquelle notre collègue Pierre Dharréville fut nommé rapporteur. Les travaux de cette mission et la communication rendue en janvier dernier ont été riches d'enseignements sur les besoins prioritaires des proches aidants et sur leurs attentes. À l'issue de cette mission, Pierre Dharréville a déposé une proposition de loi pour une reconnaissance sociale des aidants, qui fut malheureusement renvoyée en commission lors de son examen en séance publique, au motif notamment que les travaux menés par le Gouvernement n'avaient pas encore abouti.

Depuis, la mission conduite par Dominique Gillot, présidente du Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH), a remis au Gouvernement un rapport très attendu consacré aux proches aidants. Le constat qui y est dressé est le même que celui auquel a abouti la mission flash, à savoir un manque de reconnaissance des aidants, un sentiment d'isolement et de culpabilité, ainsi qu'un épuisement physique et moral, auquel s'ajoute un risque très fort de désinsertion, voire de rupture professionnelle, entraînant les proches aidants dans des situations de précarité et d'incertitude insoutenables.

Dans son rapport, Dominique Gillot appelle de ses voeux l'institution d'un cadre unifié du statut de proche aidant, ciblant les besoins de l'aidant. Sa dernière recommandation appelle à une mise en oeuvre au moyen d'un projet de loi spécifique. Loin d'invoquer une réforme globale de la perte d'autonomie, au sein de laquelle serait traitée la question des proches aidants, c'est un texte spécifique consacré aux proches aidants qui est aujourd'hui attendu : cette proposition de loi en est la matérialisation.

Nous avons bien conscience que des travaux sont actuellement menés par le Gouvernement dans le cadre de la concertation « Grand âge et autonomie » devant aboutir à une grande réforme sur la dépendance. Toutefois, il nous semble que le calendrier de cette réforme est plus qu'incertain, et que les constats relatifs aux besoins et aux attentes des proches aidants sont aujourd'hui clairement établis.

Notre assemblée a pris le temps de la concertation, de l'écoute et des débats. Aujourd'hui, il est urgent d'agir et de réformer le cadre juridique applicable aux proches aidants car nos concitoyens, qui font face au quotidien aux défis, et parfois aux drames, de la perte d'autonomie, ne sont plus en mesure d'attendre l'arrivée d'une « grande réforme globale » alors que des mesures concrètes peuvent être prises dès à présent.

Le Défenseur des droits, que j'ai sollicité dans le cadre de mes travaux sur ce texte, souligne lui-même qu'il est régulièrement saisi de réclamations provenant d'aidants familiaux et que le statut des aidants demeure encore trop précaire. Il appelle même de ses voeux « l'adoption de ces mesures qui, si elles ne répondent pas à l'ensemble des enjeux, constituent déjà de réelles avancées ».

J'en viens à présent au contenu de la proposition de loi visant à favoriser la reconnaissance des proches aidants. Ce texte s'articule autour de quatre axes principaux. Premièrement, la reconnaissance du statut de proche aidant au travail, avec l'indemnisation du congé de proche aidant et une meilleure prise en compte de la conciliation de la vie privée et professionnelle ; deuxièmement, l'amélioration des droits sociaux du proche aidant, notamment au regard de la retraite ; troisièmement, le droit à l'information du proche aidant et l'amélioration de son identification ; quatrièmement, enfin, le droit au répit, avec l'extension du dispositif de relayage.

La principale avancée de cette proposition de loi est la mise en place d'une indemnisation du congé de proche aidant. Dans le dispositif proposé, cette indemnité est calquée sur le régime de l'allocation journalière de présence parentale. Un mode de financement original est proposé, sans impact pour les charges publiques, reposant sur un dispositif mutualisé avec l'instauration d'une taxe sur les primes des contrats individuels et collectifs de retraite professionnelle supplémentaire. L'assiette large et le taux bas proposé devraient permettre une mise en oeuvre quasi indolore pour les assurés, tout en garantissant un financement pérenne.

Je voudrais insister ici sur l'importance de l'instauration d'une indemnité pour le congé de proche aidant. Aujourd'hui, sur les quelque 270 000 salariés potentiellement éligibles au congé de proche aidant, seule une dizaine auraient pris un congé à ce titre depuis la mise en place du dispositif en 2016 ! On sait aujourd'hui que l'absence d'indemnisation est un obstacle rédhibitoire à la mobilisation de ce congé ; la perte de revenu inévitable contraint les salariés devant s'absenter pour s'occuper de leur proche à recourir à un arrêt maladie, avec toute la culpabilité et l'inconfort que cette démarche engendre.

La proposition de loi répond aussi au besoin d'une meilleure prise en compte des aidants par les entreprises au niveau des branches professionnelles. Si certaines grandes entreprises se sont déjà emparées de la situation des salariés proches aidants, cette prise en compte est encore loin d'être systématique, notamment au sein des PME-TPE. L'article 1er vise ainsi à intégrer au champ obligatoire de la négociation collective de branche le thème de la conciliation entre la vie professionnelle et la vie personnelle des salariés proches aidants.

Les articles 3 et 4 visent à harmoniser les dispositifs existants par un alignement des droits sociaux des aidants, quel que soit le statut de la personne aidée.

L'article 3 élargit au proche aidant d'une personne atteinte d'une perte d'autonomie la possibilité de bénéficier d'une majoration de ses périodes d'assurance pour le calcul de ses droits à pension, à l'instar du dispositif existant pour les proches aidants d'une personne en situation de handicap.

L'article 4, complémentaire de l'article 3, vise à ouvrir le droit à l'affiliation obligatoire à l'assurance vieillesse du régime général à tous les profils de proches aidants.

Le volet « droit à l'information des proches aidants » est également enrichi par cette proposition de loi. L'article 6 a ainsi pour objet d'améliorer l'identification des proches aidants et des personnes aidées par l'ajout de cette mention dans la carte Vitale, qui pourrait faire gagner un temps précieux dans l'identification d'un aidant, par exemple en cas d'accident ou d'hospitalisation. Un guide de l'aidant et la mise en place d'un site internet destinés aux proches aidants sont également prévus.

J'en profite pour souligner que si des outils d'information existent déjà, tel le guide « Aidant familial : votre guide pratique » édité par le ministère – 168 pages pour un prix de 8 euros –, je déplore leur manque de lisibilité et d'accessibilité, en particulier pour répondre aux questions du quotidien des aidants. Il est urgent de mettre à disposition des proches aidants des guides faciles à lire et à comprendre, ainsi que des sites internet fournissant une information simple, et si possible géolocalisée.

Les avancées contenues dans cette proposition de loi s'adressent essentiellement aux salariés proches aidants. Si le texte proposé envoie un signal positif et encourageant, il est loin d'épuiser la problématique des proches aidants, et beaucoup d'autres mesures seront attendues dans le cadre de la future réforme dépendance.

Pour ma part, j'ai identifié trois autres pistes qui mériteraient d'être poursuivies. Premièrement, la future réforme systémique des retraites devra être l'occasion de sécuriser la reconnaissance des proches aidants, notamment dans son volet « solidarité ». Comme nous l'a confirmé le haut-commissaire à la réforme des retraites, Jean-Paul Delevoye, lors de son audition, seule l'instauration d'une indemnisation du congé de proche aidant permettra l'ouverture de droit à des points pour la retraite. L'objectif sera d'éviter une double peine pour les proches aidants interrompant leur activité professionnelle et pénalisés lors de la liquidation de leurs droits.

Deuxièmement, le droit à la formation des proches aidants doit encore être amélioré. Trop souvent, les proches aidants renoncent à des dispositifs auxquels ils ont droit, faute d'une information ou d'un accompagnement suffisant. C'est pourquoi il est crucial de renforcer à la fois l'offre de formation en direction des aidants pour les accompagner dans leur rôle d'aidant, mais également lors de leur retour à l'emploi.

Troisièmement, enfin, il me semble indispensable de sortir de la logique binaire qui oppose actuellement le maintien à domicile et la prise en charge en établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) pour les personnes en perte d'autonomie. Il faut aller vers l'ouverture d'établissements médico-sociaux et le développement de solutions intermédiaires avec des formes de relais EHPAD « hors les murs ». Seule la diversification des options de prise en charge permettra de soulager le poids qui repose aujourd'hui sur les aidants s'efforçant d'assurer le maintien à domicile de leurs proches, souvent par crainte d'un placement en établissement.

Avant de conclure, je voulais souligner, mes chers collègues, que je suis convaincu que la question des proches aidants nous concerne tous, et ne doit pas être analysée au travers du prisme des clivages politiques. Cette proposition de loi n'est pas un texte en opposition au Gouvernement, mais vise exclusivement à faire avancer la question de la reconnaissance de nos concitoyens proches aidants, et je vous invite donc à l'adopter.

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