Intervention de Olivier Dussopt

Réunion du mercredi 4 octobre 2017 à 16h35
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaOlivier Dussopt :

Je dirai quelques mots pour aller dans le sens du rapporteur, Fabrice Brun. Ce dernier l'a rappelé, j'ai eu la chance d'être le rapporteur de la loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles (MAPTAM) mais aussi de la loi NOTRe. Parmi les objectifs de la seconde, promulguée le 7 août 2015, figuraient la spécialisation des compétences du département et de la région, la réaffirmation, après la loi MAPTAM, de la montée en puissance du fait métropolitain et la volonté de garantir la montée en puissance de l'intercommunalité à fiscalité propre, tant par un relèvement du seuil démographique minimal pour les communautés de communes que par l'adjonction de compétences nouvelles aux blocs des compétences optionnelles et des compétences obligatoires.

Lors de la présentation du texte initial, les articles devenus 64 et 66 prévoyaient notamment, pour les communautés de communes comme pour les communautés d'agglomération, que devienne obligatoire l'exercice des compétences en matière de construction et de gestion des offices du tourisme, de collecte et de traitement des ordures ménagères mais aussi – parce que cela ne relevait que des communes de plus de 5 000 habitants seulement – de création et de gestion des aires d'accueil des gens du voyage.

Nous avons discuté pendant les deux lectures au Sénat puis à l'Assemblée nationale de ces articles.

En première lecture, le 4 mars 2015, le Gouvernement a proposé en séance publique un amendement visant à compléter les articles 64 et 66 en ajoutant les compétences « eau » et « assainissement » au bloc des compétences obligatoires et en prévoyant que ce transfert de compétences serait obligatoire au 1er janvier 2018. J'avais insisté à l'époque sur le fait que cela présentait un double danger. D'une part, il n'y avait pas d'étude d'impact concernant la réorganisation des plus de 30 000 services publics d'eau potable répartis sur le territoire national. D'autre part, la loi prévoyait la réorganisation des intercommunalités, le redécoupage des schémas départementaux de coopération intercommunale et l'application de nouveaux périmètres au 1er janvier 2017. Partant du principe qu'il s'agissait de compétences de réseau, le délai d'un an me paraissait trop court.

À l'occasion de la seconde lecture, nous avions, avec quelques collègues du groupe Socialiste et plus largement de la majorité, modifié ces dispositions pour aménager ce transfert de compétences dans le temps. C'est ainsi que la compétence « eau » est devenue optionnelle dans la loi au 1er janvier 2018, pour les communautés de communes et les communautés d'agglomération. La compétence « assainissement » est, quant à elle, devenue optionnelle pour les communautés de communes au 1er janvier 2018, sachant qu'elle l'était déjà pour les communautés d'agglomération. Nous avions renvoyé à 2020 le transfert obligatoire de l'eau et de l'assainissement pour ces deux types d'intercommunalités.

Le Gouvernement poursuivait des objectifs louables, que nous partagions. D'abord, la volonté de rationaliser la carte de l'intercommunalité à fiscalité propre, mais pas seulement. L'article 16, dans la numérotation initiale du projet de loi, prévoyait aussi une rationalisation du paysage des syndicats intercommunaux – car souvent, lorsqu'on parle de millefeuille territorial, on vise les intercommunalités à fiscalité propre mais on oublie qu'il existait 12 000 syndicats intercommunaux en plus de ces 2 500 intercommunalités à fiscalité propre. Le Gouvernement avait aussi la volonté de rationaliser tout simplement le service de l'eau et de réaliser des économies d'échelle ou une forme d'harmonisation tarifaire. Mais, comme cela a été rappelé par le rapporteur, cette harmonisation souffre d'exceptions puisque dans une décision de 1996 relative à la ville de Narbonne, le Conseil d'État a rappelé qu'en fonction des circonstances, les tarifs pouvaient être différenciés.

Une des motivations du Gouvernement pour défendre cet amendement tenait aussi au fait qu'une même autorité organisatrice – en l'occurrence, une intercommunalité – pouvait préserver sur son territoire plusieurs modes de gestion différents, régies ou délégations.

Depuis, ces transferts ont commencé – ou du moins sont à l'étude – et il apparaît que leur caractère obligatoire se heurte à quatre types de difficultés.

Une première difficulté, qui a été rappelée par le rapporteur, tient à la différence de périmètre géographique entre les intercommunalités à fiscalité propre et les établissements de gestion de l'eau, notamment les syndicats. Pour faire simple, au risque d'être un peu caricatural, beaucoup des syndicats sont organisés en fonction des bassins versants alors que les intercommunalités répondent plutôt à des logiques de bassin d'emploi, de bassin de vie et, parfois, à des découpages hérités des anciens cantons. Nous avons donc une véritable difficulté d'harmonisation et de coordination des périmètres.

La deuxième difficulté tient à une forme de liberté de maintien des modes de gestion. Les intercommunalités pourraient, à l'avenir, si le transfert était obligatoire, maintenir sur leur territoire des régies ou des délégations et les gérer de manière simultanée. Mais l'on sait aussi qu'il y a, pour réaliser des économies, une volonté d'harmoniser les modes de gestion sur un même territoire. Le risque est réel, pour une commune ayant un service en régie, que ce service soit absorbé et quasiment conduit de fait à intégrer une délégation de service public si le reste de l'intercommunalité est en délégation.

J'ajoute une troisième difficulté qui n'a pas été évoquée par le rapporteur et qui tient au droit des syndicats, et notamment au mécanisme de représentation des communes dans les syndicats. A été entériné par la loi NOTRe, mais en reprenant un régime juridique qui existait précédemment, le principe de la représentation-substitution. Si un syndicat a un périmètre inférieur ou égal à celui d'un établissement public de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre, il doit disparaître – car il n'y a aucune raison qu'il soit maintenu. Lorsqu'il recouvre un périmètre regroupant des communes issues de deux EPCI, il est prévu de demander aux EPCI de prendre en charge directement ce syndicat et il n'y a pas de représentation-substitution. Mais dès lors que des communes sont issues de trois intercommunalités différentes, il y a représentation-substitution et dans ce cas-là, les délégués des communes, dans les conseils syndicaux de ces fameux syndicats, sont remplacés par des délégués de l'intercommunalité. Et force est de constater que le nombre de syndicats reste le même. Ce sont simplement les modalités de désignation de ceux qui participent à la gouvernance qui sont modifiées.

Paradoxalement, je pense que l'objectif du Gouvernement, que je partage, qui consistait à rationaliser la carte des syndicats intercommunaux, se trouve freiné par le mécanisme de représentation-substitution puisqu'il y a finalement un encouragement au maintien de syndicats en veillant parfois, avec une forme d'opportunité, à ce que des communes issues d'une troisième intercommunalité intègrent les syndicats de manière à garantir leur préservation. On constate donc – il faut le reconnaître – un certain échec. L'obligation de transfert se caractérise par une confusion et des risques de complexité – tout cela pour une harmonisation qui ne sera pas véritablement aboutie et qui prendra du temps.

Je citerai une quatrième et dernière difficulté. L'objectif de rationalisation passe aussi par l'harmonisation des modes de gestion – je l'ai évoqué il y a un instant. Sur les territoires qui ne seraient gérés que par des délégations de service public et des intercommunalités dans lesquelles toutes les communes auraient fait le choix d'une délégation de service public, les économies d'échelle et la rationalisation passent par l'établissement d'une seule délégation de service public. Sauf que le droit des contrats l'emportant sur l'ensemble des autres droits, les intercommunalités qui se voient transférer une compétence précédemment exercée par les communes reprennent à leur compte tous les engagements contractuels pris par ces dernières. Cela signifie que lorsqu'une intercommunalité reprend la compétence « eau » ou « assainissement », y compris de manière facultative, si une commune de son territoire a signé une délégation de service public pour quinze ans, l'intercommunalité est engagée par cette délégation dans les mêmes termes et pour la même durée. Il est donc quasiment impossible d'organiser une convergence calendaire puisque pour aboutir à une délégation de service public unique, il faudrait que l'ensemble des délégations du territoire finisse, à un moment ou un autre, par se clôturer – avec paiement de soulte ou pas – à la même date.

Cette impossible concordance calendaire se traduit par le maintien de plusieurs DSP et nous éloigne de notre objectif de rationalisation. Voilà pour le constat d'échec. Il faut en effet reconnaître les limites du caractère obligatoire de ce transfert.

Vous allez peut-être déceler dans la présente proposition de loi une influence ardéchoise puisque, aux côtés de Philippe Bas et Bruno Retailleau, Mathieu Darnaud – qui est ardéchois comme le rapporteur et moi-même – en est signataire. Ce texte n'en contient pas moins des dispositions de bon sens, à commencer par celle visant à ne pas maintenir le caractère obligatoire du transfert, et donc à en rester à son caractère optionnel. L'intégration au bloc optionnel des compétences « eau » et « assainissement », en termes de bonification de la DGF, me paraît suffisamment incitative, de bonne politique et juste pour permettre une bonne gestion des territoires.

Le texte propose également, et c'est important, d'autoriser les intercommunalités à dissocier l'assainissement et le traitement des eaux pluviales, ce qui devrait permettre de lever bien des freins à l'intégration de la compétence « assainissement » au sein d'intercommunalités qui l'envisagent mais que la question des eaux pluviales aura rendues rétives.

Je souhaite m'attarder sur deux autres dispositions. Je soutiens la première qui vise à relever de 3 000 à 5 000 habitants le seuil au-delà duquel les communes sont autorisées à équilibrer le budget annexe du service public industriel et commercial de l'eau par une subvention du budget général. C'est en effet une manière d'accompagner la création de communes nouvelles en fonction de seuils intéressants sans déséquilibrer les services publics de l'eau mis en place. En revanche, je suis beaucoup plus réservé au sujet d'une autre disposition : l'article 3 qui vise à autoriser la métropole de Marseille à restituer aux communes ou aux groupements de communes l'exercice de la compétence « eau » et « assainissement ». Cela signifierait que Marseille serait la seule métropole pour laquelle le transfert obligatoire de la compétence « eau » et « assainissement » ne serait pas prévu par les textes et ce décalage me paraît contraire à l'objectif d'intégration du bloc optionnel.

Je terminerai en soulignant l'urgence qu'il y a à adopter la présente proposition de loi. L'eau et l'assainissement deviendront, pour les communautés de communes, des compétences du bloc optionnel le 1er janvier prochain et, pour les communautés d'agglomération, c'est l'eau qui intègre le bloc optionnel. Sur quelque 1 300 communautés de communes ou communautés d'agglomération, plus des trois quarts ont connu des modifications de périmètre avec la réforme du schéma départemental de coopération intercommunale. Certaines intercommunalités, je pense aux communautés d'agglomération, sont des communautés de communes qui, à la faveur d'un agrandissement, ont franchi le seuil des 50 000 habitants ; or elles s'interrogent sur les compétences devant faire partie du bloc optionnel qu'elles doivent choisir au 1er janvier. Si le transfert de l'eau et de l'assainissement reste obligatoire en 2020, nombre d'entre elles seront tentées de faire un choix qui, parmi les compétences optionnelles, rassemblera l'eau et l'assainissement. Si, après 2020, le caractère optionnel est maintenu, le choix des intercommunalités, qui doivent en délibérer actuellement, sera certainement différent. Si l'on veut permettre un choix libre des compétences optionnelles par les intercommunalités qui se sont constituées au 1er janvier 2017, il est urgent, je le répète, d'adopter cette proposition de loi et de faire en sorte qu'elle soit applicable le plus rapidement possible.

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