Intervention de François Baroin

Réunion du mercredi 4 octobre 2017 à 10h35
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

François Baroin, président de l'Association des maires de France, AMF :

En termes de finances publiques, les collectivités territoriales constituent, comme le président Éric Woerth vient de le rappeler, l'une des trois sources de dépenses de notre pays. Elles viennent derrière la sécurité sociale, qui représente un volume de dépenses de l'ordre de 630 milliards d'euros par an, et derrière l'État, dont les dépenses s'élèvent, hors les 50 milliards de dettes et pensions, à 280 milliards. Les collectivités locales qui dépensent environ 230 milliards se classent donc au dernier rang.

Quelle part prennent-elles dans la structuration d'une dette qui ronge notre économie, qui asphyxie l'investissement et constitue un handicap pour le pays ? Une dette équivalant à 100 % de la richesse nationale est difficile à réduire et signale un pays qui commence à rencontrer des difficultés. Aucun élu local sérieux parmi les maires de France, quelle que soit sa couleur politique, ne conteste la nécessité, s'agissant de cette source de dépenses, d'apporter sa contribution à la maîtrise de l'assainissement des finances publiques. Peu d'entre eux savent, en revanche, comment se répartit la responsabilité des 2 200 milliards d'euros de dette publique. Aujourd'hui, 80 % de la structuration de ce montant revient à l'État, 10 % au bloc sécurité sociale au sens large, et moins de 10 % relève des collectivités territoriales. Le rapport de la Cour des comptes, publié à la fin de l'année dernière, constate une baisse de ce dernier ratio et le fixe à 9,4 % – la part propre aux communes et aux intercommunalités est inférieure à 4,5 %.

C'est dire que l'immense part de l'effort attendu doit être entreprise par l'État. Si notre responsabilité existe bien, et qu'elle justifie des politiques de réduction de nos dépenses publiques, il faut la mesurer à l'aune de la structuration que je viens d'évoquer. Cette mise en perspective est d'autant plus importante que nous sommes soumis à une règle d'or qui nous interdit tout déficit : dans le cas où nos dépenses seraient supérieures à nos recettes, nous passerions sous le contrôle du préfet et de l'État.

Aujourd'hui, en moyenne, le budget d'une collectivité locale dépend à plus de 60 % de dotations extérieures. Cette réalité résiste assez mal au principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales. Les dotations ne constituent ni une aumône ni une subvention destinée à financer nos fins de mois. Elles entrent dans le cadre juridique validé par notre loi fondamentale, qui a amené l'État, au fur et à mesure qu'il décidait de supprimer des impôts, à s'obliger à compenser ces suppressions – la représentation nationale a été particulièrement attentive en la matière. Les dotations sont donc de l'argent dû aux collectivités locales au nom même du lien constitutionnel qui, dans une République décentralisée, unit l'État et les collectivités locales auxquelles il a confié des missions. Les communes, agissent au nom de l'État dans un certain nombre de domaines. Elles bénéficient encore aujourd'hui de la clause de compétence générale, et développent à ce titre des politiques souverainement administrées.

Depuis la crise de 2008-2009, tous les gouvernements ont demandé un effort à chaque source de dépenses. À l'époque, en tant que ministre du budget en charge de la préparation de la loi de finances, j'ai sans doute porté le texte le plus exigeant en la matière. En effet, après que la crise eut provoqué l'effondrement des recettes de l'impôt sur les sociétés, le déficit public avait atteint 8,2 % du PIB. J'ai défendu un budget comportant 40 milliards d'euros de réduction du déficit. En un exercice budgétaire, nous sommes passés de 8,2 % à 4,2 % de déficit.

J'ai été le premier ministre du budget à proposer le gel des dotations de l'État aux collectivités locales dans la loi de finances pour 2011. Cela m'avait valu « le goudron et les plumes » au Comité des finances locales (CFL), et l'accueil réfrigéré du congrès des maires de France. Jusqu'à cette période, la progression des dotations aux collectivités locales correspondait à l'inflation augmentée d'un taux qui faisait tous les ans l'objet d'une discussion avec l'État. Dans une période où l'inflation s'élevait à 1,7 %, le gel correspondait à un effort budgétaire de 1,5 milliard d'euros. Autrement dit, en un seul exercice, l'État s'octroyait le droit d'imposer aux collectivités une diminution des dotations de 1,5 milliard.

Dans un nouveau contexte, après l'élection de François Hollande, l'objectif des 3 % de déficit a été repoussé à 2014. Le gouvernement de l'époque a alors négocié avec Bruxelles un cadre général d'efforts et de réformes à l'horizon de 2017. Pour parvenir à ses fins, il s'est engagé à accomplir de grandes réformes qui ont principalement concerné les collectivités territoriales. Il y a eu la loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles, puis celle du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République. Cette loi dite « NOTRe » a donné lieu à un bonneteau généralisé, et elle a favorisé le développement de très grandes intercommunalités. Elle a correspondu à un considérable effort budgétaire puisque, au lendemain des municipales, sans prévenir personne, l'État a annoncé, en présentant la trajectoire de finances publiques, que les collectivités perdraient 11 milliards sur trois ans. Nous sommes tombés de l'armoire, et nous avons constaté que le véritable chiffre était bien supérieur : les collectivités perdaient au total 28 milliards.

J'ai rappelé ces éléments car il est essentiel de comprendre que nous ne venons pas de nulle part. Dans de nombreux domaines, ceux qui ont désormais en main le destin du pays doivent écrire sur des pages blanches. C'est à la fois le sens de l'histoire et une merveilleuse aventure collective. Cependant, s'agissant des collectivités locales, il n'y a pas de pages blanches ; elles viennent plutôt de clore un chapitre très douloureux durant lequel elles ont dû se battre. Pour la première fois de leur histoire, les maires ont dû mobiliser leurs populations et faire signer des pétitions pour protéger l'investissement et les services publics communaux.

Lorsque l'État décide, de manière unilatérale, d'une chute libre du montant des dotations sans même prévoir un calendrier qui permette aux collectivités de s'adapter, il leur refuse ce que la Constitution a prévu, et il ne respecte pas sa parole. Les conséquences sont immédiates : les collectivités sont obligées de faire un choix. Elles doivent soit augmenter la fiscalité locale, soit réduire l'investissement. Elles ne peuvent pas faire de plans sociaux, car le personnel de la fonction publique territoriale bénéficie des garanties de son statut. De fait, 70 % des mesures relatives à ses propres agents échappent à l'exécutif de la collectivité. À l'époque, nous avons alerté le Gouvernement des menaces que faisait peser sa décision, non seulement sur les services publics de proximité, mais aussi sur l'investissement.

Je rappelle que 51 % des Français vivent dans des communes de moins de 10 000 habitants, et 36 % dans des communes comptant moins de 2 500 habitants. Ces derniers sont aussi nombreux que ceux qui résident dans les douze métropoles françaises. Ils paient des impôts, ils ont le droit aux services publics, à la continuité territoriale, et à une couverture numérique. Leurs attentes sont légitimes, et il s'agit souvent de populations plus fragiles et plus âgées qu'ailleurs, qu'il faut accompagner.

Des augmentations spectaculaires de la fiscalité locale ont pu être observées, mais nous avons tenu un discours responsable et lucide refusant le transfert de « l'impopularité fiscale », car ces augmentations étaient directement liées à des mesures décidées par l'État, que nous n'avions pas voulues.

Depuis le début du mandat municipal en cours, il y a trois ans, en 2014, l'investissement est en chute libre. La Cour des comptes constate dans son rapport de 2016 un recul de 25 % de l'investissement public local en deux ans ; c'est du jamais vu !

Je rappelle que le modèle économique de notre pays se fonde sur la recherche et le développement, sur le commerce extérieur, sur la consommation, mais aussi sur l'investissement. L'investissement privé, qui dépend de la conjoncture économique, va repartir, mais il était au point mort durant deux ans, au début de la présidence de François Hollande. L'investissement public représente environ 60 milliards d'euros par an, dont seulement 9 milliards sont dus à l'État, car 75 % de l'investissement public français provient des collectivités territoriales – et 60 % de l'investissement de ces dernières est consenti par le bloc communal. Or la majorité précédente a imposé une clef de répartition exigeant que 60 % de l'effort en termes de baisse des dotations soit fourni par ce bloc. On a donc provoqué un effet de ciseau terrifiant : l'effort le plus soutenu a été imposé à l'acteur le plus dynamique en termes d'investissement, l'acteur qui restitue l'argent aux contribuables et qui préserve la commande publique, l'emploi local, l'investissement local, et les très petites entreprises (TPE) – en particulier dans le secteur du bâtiment et des travaux publics.

Lors de la dernière campagne pour l'élection présidentielle, le candidat Macron s'était engagé devant les maires de France à proposer 10 milliards d'euros de baisses de dotations. Cette proposition avait été fraîchement accueillie, car nous considérions que la ponction était trop élevée.

Une fois élu, le Président de la République a retenu notre idée d'une Conférence nationale des territoires (CNT). Nous l'avons considérée avec bienveillance et intérêt, mais des tensions existent aujourd'hui avec l'État concernant deux ou trois sujets précis – auxquels il faut ajouter celui du logement social.

Nous ne contestons pas le principe de notre participation à l'assainissement des finances publiques à condition qu'elle soit à proportion de ce que nous leur avons apporté. Je vous rappelle que les dépenses des collectivités territoriales sont les seules à avoir baissé en net dans le budget de l'exercice 2017. L'État n'a pas fait sa part du travail, et le bloc social l'a fait dans une faible mesure, alors que les collectivités territoriales ont atteint leur cible au prix de l'effondrement de l'investissement. Je rappelle que 10 % d'investissement public équivaut à 0,2 point de croissance. Un recul de 25 % à 30 % de l'investissement en deux ans et demi se traduit donc par une perte de 0,5 à 0,6 point de croissance, perte directement liée aux relations entre l'État et les collectivités en matière de dotations.

Il est désormais prévu que les dotations baissent de 13 milliards d'euros, et non de 10 milliards, comme cela avait été annoncé. Cela ne correspond pas à l'engagement présidentiel – le Président de la République l'a reconnu lorsqu'il m'a reçu avant la CNT. Nous n'étions pas d'accord avec une baisse de 10 milliards ; nous le sommes encore moins pour qu'elle atteigne 13 milliards. De plus, au lendemain même de la CNT, nous avons appris le « surgel » des dotations, qui porte uniquement sur la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) et les contrats territoriaux en milieu rural.

À la fin de l'été, la question des emplois aidés a fait pas mal de bruit. Il ne s'agit pas tant d'être pour ou contre ces dispositifs, mais plutôt de respecter la continuité de la parole de l'État, car il n'a cessé d'imposer aux collectivités l'embauche de personnes en contrats aidés, par exemple pour mettre en oeuvre la réforme des rythmes scolaires que nous n'avions pas voulue.

Je ne peux conclure sans évoquer le logement social. La réduction annoncée de l'aide personnalisée au logement (APL) de 60 euros pour les locataires du parc des bailleurs sociaux pourrait avoir des conséquences en chaîne dramatiques. Je dois rencontrer le Premier ministre, à sa demande, en particulier pour discuter de ce sujet. Les bailleurs sociaux n'alignent pas leurs loyers sur le niveau de l'APL : ils se réfèrent à un modèle économique dans lequel les collectivités territoriales jouent un rôle puisqu'elles garantissent leurs emprunts. Sans ces garanties, le bailleur social ne peut pas emprunter au même taux d'intérêt. Les collectivités territoriales apportent 165 milliards de garanties en structure pour les HLM et la partie privée. La baisse de l'APL de 60 euros et l'effondrement de l'autofinancement qui s'élève en moyenne pour les bailleurs sociaux à 4 ou 5 millions d'euros mettent en danger, dans l'année qui vient, cent vingt d'entre eux. Ils risquent de mettre la clef sous la porte, et, éventuellement, de se retourner vers les collectivités locales pour un appel de fonds, ce qui menace de faire sauter la caisse.

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