Intervention de Jean-Pierre Raffarin

Réunion du mardi 25 septembre 2018 à 17h10
Commission des affaires étrangères

Jean-Pierre Raffarin, ancien Premier ministre, représentant spécial du Gouvernement pour la Chine, président de Leaders pour la paix :

Madame Tanguy, vous avez raison, le projet de nouvelle route de la soie inquiète. Ce qui nous a inquiétés auparavant, dans les années 1960, c'était la puissance des États-Unis, et j'ai beaucoup de reconnaissance à l'égard de Jean-Jacques Servan-Schreiber d'avoir alerté la jeunesse avec son livre Le Défi américain. Avec le temps, nous nous rendons compte que nous avons su prendre des choses utiles dans la culture américaine et nous réajuster. Ce qui est très important, c'est de se préparer à des évolutions. Je regrette qu'on ne dise pas aux jeunes, sur la place publique, la part de Chine qui sera leur avenir comme on nous a dit, à nous, la part d'Amérique qui serait notre avenir.

Il est d'autant plus nécessaire de faire ce travail que les Chinois n'ont pas le même système de pensée que nous. Nous étions beaucoup plus proches des Américains à cet égard. Ce qui va venir avec les produits chinois, c'est un autre système culturel auquel nous devons nous préparer non seulement pour l'apprivoiser mais aussi pour défendre nos propres idées.

La peur est chose courante. Par le passé, nous avons eu peur des Japonais. Et récemment, la France, effrayée par la foire internationale des importations de Shanghai, a pris des décisions trop tardives et s'est retrouvée avec un stand plus petit que ceux de l'Allemagne et de l'Italie.

Pourtant, la peur n'est jamais une solution. Les Chinois sont certes ambitieux et puissants mais rien ne nous empêche de mettre au point des stratégies. À cet égard, décider d'une stratégie globale européenne est décisif. Le principal concurrent de la France en Chine, c'est l'Allemagne et inversement. Lorsque des taxes européennes ont été imposées aux panneaux photovoltaïques chinois, les Chinois ont répliqué en sanctionnant le vin de Bordeaux et en épargnant les Allemands. Ils ne comprennent pas nos prises de position face à l'Allemagne, pas plus que la décision des Britanniques de quitter l'Union européenne ou la volonté des Catalans d'être indépendants, car ils valorisent l'unité.

Jean-Yves Le Drian a été le premier à ouvrir la voie quand il a reçu son homologue chinois. Il a déclaré que la France était d'accord pour participer à la construction de la nouvelle route de la soie mais il a insisté sur la nécessité de développer les projets avec nos entreprises et avec nos normes. Le port de Marseille souhaite nouer une coopération avec Shanghai : peut-elle prendre place, dans l'intérêt des deux parties prenantes, dans le projet de route de la soie ? Keolis, qui a gagné des contrats d'exploitation de lignes de transport à Shanghai, peut-elle participer au projet ? Qu'en est-il d'Alstom ? Le ministre des affaires étrangères chinois a approuvé ce principe, et cette attitude de la France a aidé à renforcer la position européenne.

Bérengère, je te remercie pour tes propos – si tu permets cette familiarité affectueuse – car il est très important de souligner le rôle de la culture. Les Français ont un moteur à trois temps : thèse, antithèse, synthèse, dialectique qui existe depuis Aristote et qui s'est développée avec Descartes puis Marx. Les Chinois, eux, ont un moteur à deux temps : thèse et antithèse, yin et yang. Ils considèrent que le mal et le bien cohabitent : « Cet homme, je le connais bien, il a de bons côtés, mais je sais qu'il est malicieux et que je dois m'en méfier car moi-même je suis malicieux ; et si je veux être ami avec lui, il faut harmoniser ce qu'il y a de positif en nous. » Les Occidentaux essaient d'extirper le mal hors d'eux-mêmes quand les Chinois considèrent que le mal est en eux et qu'il forme un système avec le bien. Cela implique pour eux que la vérité est relative quand, pour nous, elle doit être objective.

En Occident, prédomine le concept de création : il y a un point zéro, un créateur, un big bang. Pour les Chinois, le monde est circulaire et n'est fait que de transformations : vous étiez serpent et vous deviendrez lapin, chacun se doit de s'adapter.

Il est primordial aujourd'hui de s'intéresser à la culture chinoise. Quand la Chine deviendra la première économie du monde, la pensée chinoise occupera une place majeure. Il faudra la comprendre, ne serait-ce que pour s'y confronter. Faute de cela, nous réagirons par la peur.

En matière d'environnement, les Chinois raisonnent là encore selon le yin et le yang. Cela ne les gêne pas d'avoir un pays qui est à la fois le plus pollueur du monde et le plus en pointe dans les technologies de l'environnement comme les panneaux photovoltaïques ou les éoliennes. À Pékin et à Shanghai, dans la continuité de la COP21, ils mènent des actions fortes de lutte contre la pollution mais cela ne les empêche pas de construire des centrales à charbon. Nous cherchons toujours la pureté et la vie bonne ; eux sont portés par la vie paradoxale et l'ambivalence.

Quant au commerce du bois, il dépend beaucoup de la coordination au sein de l'Union européenne. Un pays qui vend son bois à des prix compétitifs, c'est qu'il le veut bien. On ne peut pas toujours reprocher aux uns et aux autres d'acheter peu cher alors que c'est nous qui ne parvenons pas à organiser nos propres marchés. C'est la raison pour laquelle une stratégie européenne fondée sur la réciprocité et l'équilibre des relations a toute son importance. Il est clair toutefois que nous en sommes encore loin.

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