Intervention de M'jid El Guerrab

Séance en hémicycle du mercredi 19 décembre 2018 à 15h00
Modification de l'acte portant élection des membres du parlement européen — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaM'jid El Guerrab :

« La République n'aime pas l'exclusion économique ou sociale, encore moins l'exclusion civique », écrivait Jean-Louis Hérin dans un article paru en 2006 sous le titre « Les exclus du droit de vote ». Douze ans plus tard, cette assertion est plus vraie que jamais, comme en témoigne la crise que traverse notre pays.

Les risques d'exclusion du droit de vote sont multiples et concernent différentes catégories de Français, dont les Français de l'étranger en raison de leur éloignement géographique des centres de vote.

En mai prochain, lors des élections européennes, les Français établis hors de France ne pourront voter que s'ils se déplacent au bureau de vote ouvert au consulat ou à l'ambassade, ou par procuration, parce que vous refusez d'étendre le vote électronique aux élections au Parlement européen, comme vous y autorise pourtant l'article 4 bis de la décision du Conseil modifiant l'acte portant élection des membres du Parlement européen au suffrage universel direct.

Vous avez préféré étendre le vote par procuration qui offre, il est vrai, de meilleures garanties de fiabilité que le vote électronique, notamment par internet. Mais, comme vous le savez, il n'est pas simple pour un Français de l'étranger de trouver dans une ville éloignée de son lieu d'habitation – celle où se trouve un bureau de vote – un mandataire de confiance. C'est cela, la réalité des Français de l'étranger en ce qui concerne les élections ! Les bureaux de vote ne se trouvent pas au coin de la rue, près du domicile de chacun de nos compatriotes, mais dans des consulats ou des ambassades, bien souvent à plusieurs centaines de kilomètres de leur lieu d'habitation.

Si cet éloignement géographique est une cause d'exclusion civique des Français qui vivent hors de notre territoire, ce n'est pour autant pas une fatalité !

Il est en effet possible de permettre aux Français de l'étranger d'exercer pleinement leur droit de vote, et ainsi de contribuer à la construction européenne comme chaque citoyen européen, en mettant en place le vote par internet pour les prochaines élections européennes.

D'ailleurs, le concept de citoyenneté de l'Union a introduit formellement dans l'ordre constitutionnel le droit des citoyens de l'Union de participer aux élections européennes. Le droit de participer à l'élection du Parlement européen est indissociable de la capacité à exercer pleinement ce droit. Or, à ce jour, ce n'est pas le cas pour les Français de l'étranger.

Victor Hugo n'affirmait-il pas en 1850, devant l'assemblée législative : « Sur cette terre d'égalité et de liberté, tous les hommes respirent le même air et le même droit » ?

C'est pourquoi il ne doit pas y avoir d'exclus du droit de vote, en particulier pour des raisons essentiellement géographiques, parce que le Quai d'Orsay a opéré une recentralisation des consulats.

Pour le groupe Libertés et Territoires, cette recentralisation, qui a pour corollaire l'exclusion d'une partie de nos concitoyens des prochaines élections européennes, n'est pas acceptable.

Vous avez choisi de ne pas instituer un vote en ligne en raison de la cyber-attaque subie par les États-Unis lors des élections de 2016. Or, des États comme l'Estonie le pratiquent depuis plusieurs années. Dans un État de droit comme la France, le Gouvernement a les moyens de renforcer les capacités sécuritaires de nos réseaux numériques et de contrer les éventuelles cyber-menaces.

Proposer le vote par internet permettrait de garantir le droit fondamental qu'est le droit de vote, institué, dans notre pays, par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Du reste, le Conseil d'État, dans son rapport public de 2010 relatif à l'activité juridictionnelle et consultative des juridictions administratives, rappelle qu'en raison de « l'extrême difficulté, voire de l'impossibilité pratique, auxquelles peuvent se heurter les Français établis hors de France, non seulement de se rendre dans les bureaux de vote, mais encore de donner procuration à un compatriote de confiance [... ] le vote par voie électronique pouvait apparaître, dans nombre de cas, comme le seul moyen pour les Français résidant hors de France d'exercer effectivement un droit qu'ils tiennent désormais de la Constitution ».

La France est le pays des libertés, aussi permettez-moi de paraphraser le commissaire du gouvernement dans le célèbre arrêt Benjamin du 19 mai 1933, en vous disant que la liberté de voter doit être la règle et les restrictions du vote électronique l'exception.

Cependant, on constate depuis plusieurs années que la restriction n'est pas l'exception pour les Français de l'étranger, car si en 2012, le vote par internet a pu avoir lieu pour les élections législatives, en 2017, ce mode de scrutin a finalement été supprimé à quelques mois du scrutin.

Voulez-vous généraliser ce qui doit rester une exception ou voulez-vous appliquer la règle, à savoir le plein exercice du droit de vote pour les Français établis hors de France ?

Cette position, qui ne paraît pas proportionnée au regard des enjeux et des risques encourus, peut porter atteinte à un droit fondamental qui relève du pacte démocratique inhérent à la citoyenneté européenne.

De plus, ne pas mettre en place un vote par internet pourrait avoir pour conséquence d'accentuer le taux d'abstention des Français de l'étranger aux élections européennes et d'éloigner davantage nos compatriotes des institutions européennes.

Pourtant, plus que jamais, l'Union européenne a besoin de surmonter la défiance d'une partie des citoyens européens et le déficit démocratique qui semble la caractériser. Si cela passe par un renforcement des pouvoirs du Parlement, il est également essentiel de permettre à chaque citoyen européen de choisir ses représentants au sein de cette institution.

Le Brexit a fragilisé les fondations de la construction européenne, car nous n'avions jamais envisagé qu'un État membre puisse souhaiter quitter l'Union européenne.

Madame la ministre, vous ne pouvez laisser les Français de l'étranger regarder passer le train de la construction européenne sans leur permettre d'y monter, sous peine de faire écho à la défiance des Britanniques, qui ne se reconnaissaient plus dans l'Union européenne.

Le groupe Libertés et Territoires, profondément attaché à l'idée d'une Europe unie et proche des citoyens, souhaite que vous reveniez sur votre décision de ne pas mettre en place un vote par internet pour les élections européennes de mai prochain.

Parce que nous souhaitons donner plus de légitimité au Parlement européen pour accompagner l'Europe dans la prise en mains de son destin à un moment crucial de son histoire, notre groupe approuvera néanmoins votre projet de loi.

Pour conclure, madame la ministre, je citerai le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, qui expliquait, au cours de son discours sur l'état de l'Union en 2018, que « nous sommes tous, les uns et les autres, responsables de l'Europe telle qu'elle est et que nous serons tous responsables, les uns et les autres, de l'Europe qui sera ».

Notre groupe prend donc ses responsabilités dans l'Europe de demain et invite le Gouvernement à prendre les siennes à l'égard des Français de l'étranger, des Français de tous les territoires de France et de tous les citoyens européens.

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