Intervention de Didier Guillaume

Réunion du mardi 11 décembre 2018 à 16h15
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Didier Guillaume, ministre de l'agriculture et de l'alimentation :

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie pour votre invitation et je suis ravi de venir devant votre commission des affaires culturelles et de l'éducation, comme je l'ai fait avec celle du Sénat, et rappeler combien l'enseignement agricole est partie intégrante du ministère de l'agriculture et de l'alimentation, et même un de ses joyaux ; il est donc essentiel qu'il reste au sein et dans le budget du ministère de l'agriculture.

Immédiatement après ma nomination, j'ai fixé trois priorités : premièrement, mieux répartir la valeur, dans le droit fil des États généraux et de la loi du 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite loi EGALIM ; deuxièmement, engager la transition agro-écologique et à faire progresser la quadruple performance économique, sociale, environnementale et sanitaire : face à une demande sociétale aussi forte et irréversible, l'agriculture doit se transformer si elle veut progresser et passer le cap de cette transition ; troisièmement, renouveler les générations et, pour ce faire, intégrer des jeunes dans les formations aux métiers de l'agriculture.

Mon objectif est de rendre leur fierté aux agriculteurs et de rendre les Français fiers de leur alimentation. L'« agri-bashing », comme on dit en patois drômois (Sourires) n'est pas acceptable. On ne peut tolérer que les agriculteurs et les agricultrices soient montrés du doigt tous les jours et accusés d'empoisonner les sols et de ne pas produire de la bonne qualité. J'entends, et le Gouvernement avec moi, être le bouclier entre ceux qui, sans cesse, prennent les agriculteurs et les agricultrices pour des boucs émissaires et les agriculteurs eux-mêmes, engagés dans la transition. Avancent-ils assez vite ? Je ne sais pas, mais ils avancent. En leur rendant leur fierté, nous ne verrons plus demain ou après-demain des agriculteurs se suicider parce qu'ils vivent mal ou qu'ils ont des difficultés. Un agriculteur se suicide tous les deux ou trois jours ; c'est absolument inacceptable.

Rendre leur fierté aux agriculteurs, c'est faire en sorte qu'ils vivent des revenus de leur travail, que les Françaises et les Français soient convaincus que l'agriculture de notre pays est une richesse et que les produits qu'ils consomment sont de première qualité.

Vous comprendrez dès lors pourquoi la formation générale et l'enseignement agricole sont résolument une priorité pour mon ministère.

L'enseignement agricole représente 35 % du budget du Ministère de l'Agriculture et de l'Alimentation (MAA) – près de 1,8 milliard d'euros, dont 315 millions d'euros pour l'enseignement supérieur et la recherche et 1,47 milliard d'euros pour l'enseignement technique. Il occupe 60 % des fonctionnaires du ministère.

Je l'ai dit en introduction : l'enseignement agricole est un joyau, une pépite. Du reste, le législateur lui a confié, outre sa vocation classique de formation et d'insertion professionnelle, une mission souvent méconnue d'animation du territoire, d'expérimentation et de coopération internationale. C'est une de ses spécificités et une de ses richesses.

L'enseignement technique recouvre 806 établissements et scolarise 160 000 jeunes, de la quatrième au BTS. 40 % des établissements sont publics ; les autres se répartissent entre les maisons familiales rurales (MFR) et les lycées privés. Et j'entends bien, tant que je serai au ministère, ne jamais faire de différence entre lycées d'enseignement privés, lycées d'enseignement publics et maisons familiales et rurales. Les trois ont un rôle déterminant sur le territoire, les trois accueillent des jeunes garçons et des jeunes filles aux profils très différents, les trois participent à l'aménagement du territoire.

L'enseignement agricole forme 34 000 apprentis et 250 000 adultes, ce qui est également souvent méconnu de beaucoup de Français. Il faut savoir que dans nos établissements, on ne trouve plus que 10 % d'enfants d'agriculteurs : c'est dire le rôle majeur qu'il faut lui assigner dans la formation des jeunes de milieux modestes des zones rurales et périurbaines, auxquels il offre de bonnes chances de réussite aux examens et des taux d'insertion professionnelle remarquables ; il a également une tradition d'encouragement des jeunes à poursuivre des formations supérieures. Les passerelles mises en place fonctionnent à merveille.

L'enseignement agricole a aussi considérablement évolué pour répondre aux nouveaux besoins du monde rural et périurbain : si 40 % des formations sont liées à l'agriculture, aux industries agroalimentaires, à la filière forêt-bois et aux métiers de l'environnement et des paysages, 30 % ont trait aux services à la personne et aux territoires et 30 % sont des formations générales et technologiques. Autrement dit, un tiers des élèves originaires d'un lycée d'enseignement agricole ne se prédestine pas aux métiers liés à l'agriculture, mais a simplement choisi un établissement de proximité pour suivre une formation générale. Quant aux 30 % de formations aux services à la personne et aux territoires, elles sont également très importantes pour nos territoires ruraux : c'est un énorme gisement d'emplois.

Après avoir rappelé les priorités, je veux maintenant affirmer nos trois ambitions pour l'enseignement agricole : former plus, former mieux, former partout.

Former plus : année après année, nous constatons que de moins en moins de jeunes s'inscrivent dans nos lycées, alors que le taux d'insertion professionnelle des diplômés est parmi les meilleurs : ceux qui entrent sont quasiment sûrs de sortir avec un emploi. Former davantage par la voie scolaire, par l'apprentissage et par la formation continue, assurer leur insertion professionnelle, tel est notre devoir. Nous devons apprendre à ces jeunes les métiers de l'agriculture, de l'élevage, de l'agroalimentaire, des services en milieu rural, du commerce, du paysage, des filières forêt-bois, de l'environnement ou de la pêche. Mais nous devons surtout faire évoluer ces formations, afin que l'agro-écologie soit centrale – j'utilise à dessein le terme d'agro-écologie, et non de transition écologique, parce que dans le terme « agro-écologie », on retrouve l'agronomie, qui est l'essence même, la base du travail au niveau des sols.

Nous allons lancer au printemps, avec les trois familles de l'enseignement agricole – enseignement public, enseignement privé et maisons familiales rurales –, une grande campagne de communication nationale, afin que les jeunes de ce pays comprennent qu'il s'agit de métiers d'avenir. Nous souhaitons également travailler en collaboration avec Jean-Michel Blanquer et le ministère de l'éducation nationale – c'était une de vos questions, monsieur le président. Je souhaite vivement que le ministère de l'agriculture garde la tutelle de l'enseignement agricole, mais nous pouvons réfléchir ensemble à la question des centres d'information et d'orientation (CIO) ou des forums des métiers, afin que les métiers liés à l'agriculture soient mis au même rang que les autres et non pas considérés comme des formations par défaut. Cette campagne de communication devrait permettre une augmentation du nombre des inscriptions à la rentrée.

Former mieux : l'enseignement agricole doit participer à la transformation de notre agriculture. Chacun a bien compris la nécessité de la transition vers l'agro-écologie et la réduction de l'utilisation des pesticides, de la formation aux aspects sanitaires ; nos concitoyens réclament de plus en plus de traçabilité, d'information sur l'origine, de qualité nutritionnelle. L'enseignement agricole est un levier, une réponse aux attentes de la société en formant aux nouvelles techniques agraires et aux nouvelles pratiques désormais indispensables.

La transformation de notre système productif – agro-écologie, quadruple performance – passe par des femmes et des hommes, par les compétences et par l'expérimentation au niveau le plus élevé possible. L'enseignement agricole est engagé avec succès dans le plan d'action « Enseigner à produire autrement ». Ce matin, j'ai participé à un colloque organisé par le consortium Biocontrôle, qui rassemble des entreprises privées et publiques, l'Institut national de la recherche agronomique (INRA) et des centres de recherche : tout le monde est désormais tourné vers ces nouvelles pratiques et ces nouvelles recherches.

L'enseignement agricole dispose de 19 000 hectares d'exploitations agricoles, dont plus de 20 % en bio. Ces fermes expérimentales font la force de nos établissements scolaires, car elles permettent, outre l'enseignement technique, d'assurer une formation pratique. Elles éprouvent parfois des difficultés pour joindre les deux bouts et assurer leur équilibre économique mais elles sont absolument indispensables.

Enfin, former partout : c'est un souci qui doit nous être cher, nous qui sommes élus dans les territoires ruraux ou périurbains. Les quelque 800 établissements agricoles sont présents partout sur le territoire, notamment dans des zones rurales reculées, même si certains lycées sont implantés en ville – ainsi celui de Bourg-lès-Valence dans la Drôme, que je connais bien. Pour réussir, il leur faut davantage d'autonomie, afin de mieux s'adapter aux différents environnements et contextes locaux : un lycée d'enseignement agricole en plein territoire d'élevage n'est pas le même qu'un établissement implanté dans un territoire arboricole ou une zone de piémont. C'est pourquoi les équipes enseignantes disposent de 20 à 25 % d'heures non affectés dans les référentiels, pour mener à bien des projets locaux. C'est quelque chose à laquelle je tiens beaucoup et que je souhaite encore développer. C'est notamment grâce à cette souplesse et à cette capacité d'adaptation que nous pourrons respecter le schéma d'emplois demandé cette année – c'est-à-dire moins cinquante équivalents temps plein (ETP) pour le ministère –, sans aucune fermeture nette de classe.

Nous devons continuer à former des jeunes partout, d'où l'importance de notre campagne de communication : pour continuer à former, encore faut-il qu'il y ait des nouveaux élèves ! Au demeurant, rien n'est figé : il sera possible d'ouvrir des classes en fonction des évolutions constatées sur le territoire, tout en préservant le maillage territorial.

Former plus, former mieux, former partout, c'est aussi former tous les jeunes, quels qu'ils soient et d'où qu'ils viennent. C'est ce qui fait la force de nos formations. À cet égard, les trois familles de l'enseignement agricole jouent merveilleusement leur rôle : bien des jeunes ne trouveraient jamais de boulot en zone rurale s'ils ne passaient pas par les MFR, s'ils n'étaient pas mis en internat, si on ne les récupérait pas lorsqu'ils traversent une situation difficile. L'intégration de tous ces jeunes est un enjeu essentiel ; nous devons à tout prix préserver ces différents modèles éducatifs et ces approches complémentaires. L'enseignement agricole est riche de la diversité de ses établissements ; toutes ces approches s'enrichissent mutuellement, les établissements publics, privés et les MFR ne fonctionnent pas en silo : ils se parlent et travaillent en transversalité.

La réforme du baccalauréat pilotée par le ministère de l'éducation nationale, tout comme celle de l'apprentissage issue de la loi défendue par Mme Pénicaud au printemps dernier, sont des opportunités formidables pour nos établissements et plus particulièrement nos CFA : même s'ils sont parfois en difficulté – il faut appeler un chat un chat –, ils n'en jouent pas moins un rôle fondamental en matière de formation professionnelle.

Il ne faut pas non plus oublier la recherche et d'innovation : l'agriculture se développera, exportera et évoluera aussi grâce à sa recherche et à l'enseignement supérieur agricole. L'INRA, premier centre européen de recherche, est un outil formidable. La fusion entre l'Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture (IRSTEA) – ancien Centre national du machinisme agricole du génie rural, des eaux et des forêts (CEMAGREF) – et l'INRA permettra de constituer un magnifique pôle de recherche publique. Nous y travaillons.

Dans le même esprit, durant la législature, nous allons transformer et renforcer l'enseignement supérieur agricole grâce au transfert à Saclay d'AgroParis Tech, centre de recherches d'excellence. Saclay est destiné à devenir un pôle d'excellence de niveau mondial et accueillera sur un site unique les meilleures universités et grandes écoles.

Enfin, nous procédons au rapprochement des écoles d'agronomie : ainsi, Agrocampus Ouest ou Montpellier SupAgro vont fusionner afin de n'avoir qu'un seul conseil d'administration et de devenir un important pôle national.

J'évoquerai rapidement le budget, puisqu'il vient d'être adopté. Il correspond, à 500 millions d'euros près, à celui de l'année dernière ; l'enseignement agricole notamment y est préservé. Nous pouvons ainsi continuer à avancer. Nous avons aussi beaucoup travaillé sur l'accessibilité, avec 25 équivalents temps plein d'assistants d'éducation pour accompagner les élèves en situation de handicap. L'enseignement agricole joue ainsi son rôle d'intégration sociale. Plus globalement, les crédits consacrés au handicap sont en forte hausse. Nous souhaitons en effet que l'enseignement agricole intègre l'ensemble des élèves, quelle que soit leur situation.

Nous aborderons sans doute d'autres sujets à l'occasion de vos questions.

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