Intervention de Gilles Carrez

Réunion du mercredi 28 novembre 2018 à 9h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGilles Carrez, rapporteur spécial (Patrimoines) :

Je remercie la Cour des comptes pour la qualité de son travail, qui va nous être très utile.

Pour avoir vécu l'élaboration de la « loi Aillagon », je peux vous dire que cette loi a dépassé les espérances de ses auteurs.

Si nous reconnaissons la nécessité d'encourager le mécénat d'entreprise, qui est indispensable, nous sommes toutefois confrontés à la question qui doit en permanence animer notre commission : comment dépenser mieux en dépensant moins ? Tous les ingrédients sont réunis pour que la dépense fiscale liée au mécénat continue de progresser, pour dépasser bientôt le milliard d'euros, sans aucun contrôle et en dehors de tout cadre de politique publique assumée – ce qui, à mes yeux, est encore plus grave.

En 2003, une dépense fiscale a été mise en place par une loi spécifique, et non par la loi de finances, pour éviter, précisément, le passage en commission des finances, et ce sans aucune étude d'impact. Le coût annoncé à l'époque était de 20 ou 30 millions d'euros, mais a atteint, dès 2004, 80 ou 90 millions d'euros.

Nous avions mauvaise conscience, ce qui nous avait conduits, ainsi qu'il arrive souvent dans notre beau pays, à passer d'un extrême à l'autre. Ce n'est qu'en 1987 que la France a reconnu le mécénat et favorisé les fondations. Auparavant, la France était à la traîne des autres pays. Nous nous sommes donc rattrapés et, en 2003, nous avons donc mis en place d'un seul coup, sans étude d'impact, le système le plus avantageux d'Europe, à savoir une réduction d'impôts de 60 % à laquelle s'ajoutent des possibilités de contreparties pouvant atteindre 25 %. Ainsi, sur une somme versée de 100 000 euros, le donateur peut récupérer 85 000 euros : 60 000 euros sous forme de réduction d'impôt et 25 000 euros sous forme de locations ou de billets gratuits, indépendamment des retombées commerciales pour l'entreprise.

Depuis 2003, une suite d'évolutions a rendu ce dispositif fiscal encore plus avantageux, ce qui a conduit à la multiplication des fondations d'entreprise. En 2000, sous une précédente majorité, nous avons permis aux fondations d'entreprise de porter le nom de l'entreprise elle-même. Vous imaginez ce qui s'est passé : il s'en est créé par centaines, sinon par milliers.

De plus, aux termes de l'arrêt Persche rendu en 2009 par la Cour de justice de l'Union européenne, un Français qui a une action de mécénat, par exemple, au Portugal ou aux Pays-Bas peut la déduire de ses impôts. Les groupes multinationaux peuvent donc bénéficier de ce dispositif extrêmement favorable pour l'ensemble de l'Union européenne.

Depuis, on a progressivement abaissé le taux de l'impôt sur les sociétés, action qui se poursuivra dans les prochaines années et qui est une bonne chose. Mais il faut se rendre compte que plus le taux de l'impôt sur les sociétés est faible, plus l'avantage comparatif d'une réduction d'impôt de 60 % est fort.

Par ailleurs, la notion d'intérêt général est, dans notre pays, plus qu'extensive. Par curiosité, je me suis procuré le formulaire CERFA 11580 sur les reçus au titre des dons à certains organismes d'intérêt général. La liste est sans fin, on peut donner à qui l'on veut. Singularité française, un organisme bénéficiaire peut déclencher la dépense publique sans même avoir besoin d'attestation ni d'agrément fiscal. Par ailleurs, de par l'extension de la RSE, notamment dans le cadre de la loi PACTE, la frontière entre l'intérêt commercial de l'entreprise et le mécénat sera de plus en ténu. Les entreprises qui avaient la taille suffisante se sont structurées en créant des directions du mécénat, souvent liées à leur direction commerciale même si elles en sont apparemment indépendantes, et ont construit de véritables politiques de mécénat d'entreprise. Près de la moitié de la dépense fiscale, estimée à 900 millions d'euros, est concentrée sur vingt-cinq entreprises. LVMH représente 8 % de la dépense fiscale depuis 2004. Je vous invite à visiter le musée construit par Frank Gehry, c'est superbe ! La première annonce concernant le musée, en 2006, faisait état d'un montant de 100 millions d'euros. À la fin, la facture s'élevait à un peu plus de 900 millions, soit une augmentation des coûts supérieure à celles du Grand Paris Express ou de la Philharmonie de Paris, à cette différence que, sur ces 900 millions d'euros, 60 % bénéficient de réductions d'impôts. Le musée a donc été financé pour plus de 500 millions d'euros par des crédits publics, sans que personne, à aucun moment, ait été au courant de l'évolution progressive de l'enveloppe !

Il n'y a en effet aucun suivi de l'administration : Bercy a renoncé. Il faut être très clair : tous les arbitrages depuis quinze ans sur ces sujets sont systématiquement perdus par Bercy. La dépense est rattachée à la DJEPVA, dont l'enveloppe budgétaire doit avoisiner les 200 millions d'euros. Comment demander à ces malheureux qui ne sont dotés que de 200 millions de crédits budgétaires de critiquer une mesure qui leur rapporte des centaines de millions par la voie de la dépense fiscale ?

Le système en lui-même ne permet aucun dispositif de contrôle. Pour l'avoir vécu depuis quinze ans, je suis persuadé qu'aucun gouvernement n'y parviendra. Dès lors, il appartient à la commission des finances d'agir, en créant un groupe de travail qui produira un travail étayé, réfléchi, transpartisan, d'où l'intérêt extrême du rapport de la Cour, et fera des propositions en vue de la loi de finances pour 2020. Nous nous y sommes déjà un peu essayés pour le PLF 2019, et je salue les efforts du rapporteur général, même s'il s'est rendu compte assez rapidement qu'il fallait faire retraite, étant donné la difficulté d'obtenir ne serait-ce que la mise en place d'une déclaration par les organismes bénéficiaires au-delà de 153 000 euros de dons...

Mais nous aboutirons. Il faut que nous fassions un travail transpartisan et incontestable, car si le mécénat est nécessaire et doit être préservé, on ne peut laisser les choses en l'état, sans quoi cette enveloppe non contrôlée continuera d'exploser. Dépensons moins en dépensant mieux ! S'agissant du mécénat, c'est tout à fait possible.

Merci à la Cour des comptes, et merci au rapporteur général !

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