Intervention de Marie-France Lorho

Séance en hémicycle du mardi 15 janvier 2019 à 21h30
Programmation 2018-2022 et réforme de la justice — Discussion générale commune

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarie-France Lorho :

Notre système judiciaire est en faillite. C'est un constat, partagé de toute part, auquel il avait été question de remédier durant la précédente législature, sans succès. C'est une défaillance à laquelle notre assemblée a tenté de répondre, vainement. De lecture en lecture, étape après étape de la construction des textes, cette simplification supposée des instances judiciaires s'est heurtée à de profonds écueils, dont les professionnels ont, à maintes reprises, révélé la gravité.

Dans le système judiciaire que vous entendez bâtir, la bureaucratie administrative culmine à son zénith et la justice de proximité, à laquelle les Français sont attachés, est encore un peu plus affaiblie. En encourageant le règlement alternatif des différends, vous dessinez les contours d'une nouvelle forme d'organisation judiciaire où les juges seront déchus de leurs prérogatives et où la médiation constituera la réponse, unique et hâtive, au désengorgement de parquets qui traiteront d'affaires hors la présence des principaux intéressés.

L'article 2 se fait l'écho de cette tentative dangereuse. À la seule fin de prévenir la judiciarisation des litiges, vous entendez, pour remplir des objectifs comptables, priver l'autorité judiciaire de son porte-parole et privilégiez une autorité tierce dénuée de légitimité.

Il en va de même avec la représentation, notion que notre code civil ne définit pourtant pas explicitement. Dans un même souci d'encourager la vitesse de traitement des dossiers, vous faites de cette fiction juridique la réponse absolue, ce qui rend moins nécessaire la présence de tous les acteurs au moment de la décision. J'entends que la célérité est un principe de notre système judiciaire, qu'il n'est pas question de remettre en question, mais en faire un prétexte à une réponse comptable est malhonnête.

La volonté de se passer de l'avis du juge dans les procédures nécessitant des actes de notoriété relève de la même hâte déplacée. Déchoir le juge de ses dernières prérogatives, tel est le maître mot de ce texte, qui confie aux organismes débiteurs de prestations familiales la tâche traditionnellement allouée aux juges aux affaires familiales. Ces organismes se verront confier un exercice dont ils ignorent les subtilités, évaluant de manière inadéquate les réévaluations et portant ainsi directement préjudice aux allocataires.

En somme, le système judiciaire auquel vous aspirez est privé de ses autorités naturelles. Il fait appel à la rapidité de l'exécution, à un traitement négligé, tributaire de la rentabilité comptable, au lieu de cet examen prudent auquel toute décision judiciaire doit être naturellement soumise et qui érige la justice au rang des vertus cardinales.

Priver les Français des autorités légitimes en matière judiciaire ne suffisait pas : il fallait aussi en déraciner les incarnations territoriales. Il fallait répondre aux exigences centralisatrices des arcanes du pouvoir parisien. Celui-ci s'exprime d'ailleurs de façon assez éloquente dans l'article 42 bis AA, qui tend à reconnaître le tribunal de grande instance de Paris comme seul compétent à juger des modalités d'indemnisation des victimes d'actes terroristes.

La disparition des échelons subsidiaires demeure d'ailleurs peut-être l'un des plus grands préjudices de ce texte : la fusion des activités des tribunaux d'instance et de grande instance que vous appelez de vos voeux s'en fait l'écho et risque d'engendrer une perte de l'exercice judiciaire de proximité nécessaire au quotidien des personnes. En l'absence d'évaluations fiables sur la question, il demeure par ailleurs impossible de savoir si une telle dénaturation de l'organisation judiciaire engendrera les économies escomptées par le Gouvernement.

Accélérer le temps judiciaire, désengorger parquets et prisons : telles sont les lignes directrices de textes aussi éloignés des administrés que des besoins exprimés par les autorités compétentes en ce domaine. Désormais, il suffira d'une année de séparation de corps pour que le divorce devienne effectif. Désormais, il suffira aux récidivistes pris en flagrant délit de consommation de substances illicites de s'acquitter d'une amende dérisoire pour s'épargner toute poursuite. Peu à peu, nos prisons se verront désertées des criminels, qui pourront jouir d'un bracelet électronique dont les effets dissuasifs demeurent encore incertains.

Hérité du quinquennat Hollande, inscrit dans la droite ligne de la modernisation de la justice espérée par les potentats socialistes de la précédente législature, ce texte signe l'explosion de notre système judiciaire que les Français regardent désormais avec suspicion. Plutôt que de libérer le système judiciaire, votre politique le cadenasse un peu plus, en faisant des Français de bon sens de simples supplétifs d'un monde qu'ils condamnent parce qu'il détruit chaque jour un peu plus le dernier arpent de nos libertés. Je partagerai cette défiance légitime en votant contre l'adoption de ces textes.

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