Intervention de Nicole Belloubet

Séance en hémicycle du mercredi 16 janvier 2019 à 21h30
Programmation 2018-2022 et réforme de la justice — Article 6

Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice :

En dépit de l'heure tardive, étant donné l'intérêt du sujet, je tiens à développer les raisons qui nous ont poussés à vous proposer ce dispositif.

Madame Obono, pourquoi le proposons-nous ? Ce n'est évidemment pas pour offrir un service dégradé aux couples parentaux qui souhaitent faire réviser une pension alimentaire : il est de l'intérêt de l'enfant qu'une décision rapide puisse être rendue. Nous l'avons souligné à plusieurs reprises : avec ce dispositif, le délai pourra être ramené de six à deux mois environ, ce qui est également dans l'intérêt des mères – ce sont souvent elles qui demandent la révision de la pension alimentaire. Nous prenons d'ailleurs appui sur des exemples étrangers : ce dispositif existe déjà dans différents pays, notamment au Québec, où il donne toute satisfaction.

Le Gouvernement n'est pas non plus dans une logique gestionnaire. Si le fait de confier aux CAF la révision des pensions alimentaires à titre expérimental peut aboutir à décharger les juges aux affaires familiales, en revanche, ce n'est pas pour décharger les JAF que nous proposons cette expérimentation. Ce ne sera qu'une conséquence.

Comme Mme la rapporteure, j'ai entendu vos réticences, qui portent sur la mise en oeuvre d'un dispositif qui confie, à titre expérimental, à un organisme comme la CAF, il est vrai chargé d'une mission de service public, la possibilité de moduler les pensions alimentaires. Plusieurs éléments me conduisent à juger que ces réticences ne sont pas fondées.

Sur le plan juridique, tout d'abord, cette expérimentation ne bouscule en aucune façon les principes établis. Il est possible de confier une telle mission à une autorité non judiciaire : le Conseil constitutionnel l'a reconnu à plusieurs reprises, notamment en 1999, lors de son examen de la loi instituant la CMU. Je rappelle également que, depuis 2018, le directeur de la CAF peut émettre un titre exécutoire en matière d'allocations familiales, lorsque les deux parents sont d'accord.

Vous avez argué, également, d'un risque de partialité des CAF. Cette crainte est à mes yeux infondée. Comme je l'ai déjà souligné en première lecture, toute personne morale chargée d'une mission de service public, comme la CAF, est soumise au principe d'impartialité, qui s'impose. Les conditions de nomination des directeurs des caisses, nomination qui suppose un agrément ministériel, impliquent ce professionnalisme, cette compétence, cette responsabilité et cette impartialité, qui me paraissent de nature à constituer de sérieuses garanties pour l'exercice de cette mission.

Troisième élément : le nouveau montant de la pension sera fixé par application d'un barème national. Celui-ci existe déjà, vous le savez, et il est très utilisé par le juge. Nous le proposons aux CAF, en appui à leurs décisions, en précisant qu'elles n'auront aucune marge d'appréciation. Un amendement parlementaire proposera d'inscrire dans la loi que la CAF « constate » simplement l'évolution des ressources. Sur la base de ce constat, elle fixera le nouveau montant de la pension alimentaire en s'appuyant sur le barème. Dès que la situation sera considérée comme complexe, il conviendra de retourner devant le juge : la CAF n'interviendra donc que dans les situations les plus simples.

J'entends également que la CAF aura intérêt à surévaluer le montant de la pension alimentaire. Ce raisonnement ne me semble pas pertinent, puisqu'une majoration de la pension alimentaire pourrait avoir pour effet un défaut de paiement du débiteur. Or, dans le cas d'un parent défaillant, la CAF doit verser l'allocation de soutien familial. Elle n'aura donc aucun intérêt à moduler, dans un sens ou dans l'autre, le niveau des pensions sans tenir compte de la réalité.

D'aucuns ont par ailleurs invoqué le droit européen, pour en déduire que seul le juge devrait intervenir en la matière. Or la notion de juridiction, mentionnée dans le règlement européen relatif aux obligations alimentaires, permet d'inclure les autorités administratives comme la CAF, lorsqu'elles remplissent les conditions, notamment, d'impartialité et de respect du contradictoire.

L'argument le plus fort, que j'ai pu entendre, est que nous créerions un dispositif qui permettrait de revenir sur la décision d'un juge. Je n'ai pas ce sentiment. Si une telle affirmation me paraît erronée, c'est que les CAF auront pour mission de constater une évolution, non de trancher un litige. Les CAF ne reviendront pas sur la décision du juge : elles auront pour mission de l'adapter à une nouvelle situation, sur la base d'un fait nouveau. Leur rôle ne sera pas de revenir sur l'autorité de la chose jugée.

Pour terminer, je tiens à souligner, comme en première lecture, que ce dispositif n'est pas nouveau dans son principe. Les commissions de surendettement, dont le statut peut être considéré comme analogue à celui des CAF, peuvent déjà modifier un plan de surendettement ordonné par le juge, si un changement important dans la situation du débiteur le met dans l'impossibilité d'exécuter le plan. Des dispositifs en ce sens existent donc déjà.

La construction de ce dispositif, son caractère expérimental et la possibilité d'un recours devant le juge, la possibilité donc que la décision de la CAF ne soit pas exécutoire, constituent des garanties suffisantes pour envisager cette expérimentation avec grand intérêt. J'émets donc un avis défavorable sur les amendements de suppression.

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