Intervention de Hélène Pauliat

Réunion du mercredi 16 janvier 2019 à 9h35
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Hélène Pauliat :

Je suis particulièrement honorée de me présenter devant vous afin que vous puissiez vous prononcer sur la proposition formulée par M. le Président de l'Assemblée nationale de me nommer au Conseil supérieur de la magistrature en qualité de personnalité qualifiée.

Pour un professeur de droit public, dont une grande partie de l'activité a consisté à enseigner le droit administratif et plus spécifiquement le droit des services publics, envisager d'exercer des fonctions au sein d'une institution constitutionnelle qui assiste le Président de la République dans la préservation de l'indépendance de l'autorité judiciaire, le replace au coeur des questions fondamentales de son métier : le service public, la justice, l'autorité judiciaire, son organisation, son fonctionnement, la confiance que les citoyens ont dans l'action publique et dans leur justice.

Agrégée de droit public, je suis professeure à l'Université de Limoges depuis 1992. Les principales thématiques sur lesquelles j'ai travaillé sont de deux ordres. D'une part, je m'intéresse, au titre de mes fonctions d'enseignement principal, au droit administratif général, à son évolution, à sa transformation progressive mais constante sous l'influence d'un certain nombre de mutations de l'action publique et surtout de l'évolution du rôle et des missions de l'État. Cette analyse englobe les évolutions qui affectent les services publics, les mutations se réalisant sous l'influence non seulement du droit de l'Union européenne mais aussi des évolutions économiques, avec un certain nombre d'éléments que l'on retrouve régulièrement : la recherche de la performance, de la rentabilité, de l'efficacité, et les questions qui accompagnent ces éléments.

Ce premier centre d'intérêt englobe l'analyse de l'évolution des structures en charge des missions d'intérêt général ainsi que l'étude des structures territoriales et locales, en particulier ces strates superposées qui donnent parfois à nos concitoyens le sentiment d'une administration complexe et peu lisible. Il englobe de surcroît une réflexion sur la fonction publique et son devenir.

À côté de ce premier thème d'investigation, je m'intéresse également à la justice, ce qui, pour un publiciste, semble relativement logique puisque le droit administratif est essentiellement lié à la justice et à la jurisprudence administratives. Toutefois, mes recherches ont porté, depuis plus de quinze ans, sur un aspect un peu moins traditionnel du point de vue académique : l'administration de la justice. Cette thématique apparaît moins classique, même si maintenant la question est totalement d'actualité, pour plusieurs raisons.

La première est que ce thème est aux confins d'une distinction qui est essentiellement académique et n'a plus grand-chose à voir avec la réalité : la distinction entre le droit public et le droit privé. J'ai eu l'occasion, dans une thèse soutenue il y a bien longtemps, qui portait sur le droit de propriété dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel et du Conseil d'État, de m'interroger sur cette distinction qui n'a finalement pas tellement de sens lorsque l'on parle, par exemple, du droit constitutionnel ou du droit de l'Union européenne. L'administration de la justice emprunte aux deux, au droit privé et au droit public. L'objectif est alors de s'interroger sur le lien entre l'administration de la justice, l'organisation des juridictions, leur fonctionnement, leur gestion, et les procédures juridictionnelles mais aussi l'indépendance de la justice.

Ces réflexions sur l'organisation de la justice sont indissociables de celles sur l'État de droit. En clair, la garantie de l'indépendance de la justice passe-t-elle par un mode d'administration spécifique ? Et, en allant plus loin, quelle administration de la justice est la mieux à même de susciter la confiance des justiciables dans la justice ?

J'ai tenté d'aborder ces questions dans une perspective à la fois nationale et européenne, en essayant de comprendre les différents systèmes retenus et leur finalité, en Europe principalement, en conservant, tout d'abord, une profonde humilité parce que, quand on ne pratique pas au quotidien un système étranger, il est difficile de porter une appréciation définitive, mais surtout en ayant à l'esprit qu'aucun modèle, même s'il nous paraît séduisant, ne peut être implanté ou transposé tel quel dans un État qui n'a pas forcément la même culture, la même tradition, les mêmes préoccupations…

Ces différentes recherches ont été développées principalement pendant la période au cours de laquelle j'étais membre de l'Institut universitaire de France, dans les années 2005-2010.

À ces activités scientifiques et académiques se sont ajoutées des activités plus administratives, de gestion ou d'administration. J'ai d'abord été doyen de la faculté de droit et des sciences économiques de Limoges, ce qui m'a donné une première approche globale de l'administration. J'ai ensuite assumé des fonctions administratives au sein de l'Université de Limoges, en tant que vice-présidente du conseil d'administration tout d'abord, puis comme présidente de l'Université, avec ce que cette fonction implique en termes quotidiens de gestion administrative – budget, ressources humaines… –, mais aussi avec des interrogations peut-être plus importantes du point de vue de la stratégie : quelle stratégie pour les universités ? comment peut-on anticiper certaines évolutions ? comment définir des principes à suivre ou des objectifs ?

Cette activité m'a également permis de prendre en charge, au sein de la conférence des présidents de l'Université, la commission des moyens et des personnels, c'est-à-dire tout l'aspect budgétaire et l'aspect des ressources humaines. J'ai achevé mon mandat en 2016 avec une conviction, résultant de mon expérience limitée en durée dans la pratique administrative, qui est que si, certes, les finances ont un rôle essentiel dans toute institution, il y a peut-être une dimension encore plus essentielle qui est la dimension des ressources humaines et la dimension humaine tout court, dans les relations au sein d'un établissement.

Cette activité administrative s'est poursuivie après mon mandat par un défi complexe mais passionnant qui a été la contribution à la réalisation de la fusion entre deux grosses universités parisiennes, l'Université Paris IV et l'Université Paris VI, dont la fusion au 1er janvier 2018 a donné naissance à Sorbonne Université.

J'ai également été amenée à assumer certaines responsabilités en matière d'administration de la recherche, en particulier avec la direction adjointe de la mission de recherche Droit et Justice, dans les années 2000, ce qui a m'a permis de prendre conscience des thématiques qui pouvaient intéresser les différentes directions du ministère.

Ces divers éléments de parcours me permettent d'envisager de participer dans une mesure que j'espère utile aux missions du CSM et principalement aux missions qui incombent aux personnalités qualifiées au sein de cette instance. Je suis universitaire, et par mes recherches j'ai pu appréhender un certain nombre d'éléments, mais il me semble aussi que les activités d'administration que j'ai assumées pourraient être utiles ou pourraient en tout cas être mises au service du CSM. Le CSM est une institution collégiale et les éléments que je viens de rappeler peuvent apporter une pierre à l'édifice dans la mesure où la composition est aussi le reflet de la diversité des compétences sur lesquelles le Conseil pourrait ou peut s'appuyer.

Le CSM est une institution fondamentale puisqu'il contribue à garantir l'indépendance de l'autorité judiciaire. Cette indépendance doit être réelle. Elle est au fondement même de la confiance que les citoyens ont en leur justice, les enquêtes auprès des justiciables ou les sondages d'opinion depuis quelques années en témoignent. Il apparaît clairement que l'élément fondamental demeure l'exigence de déontologie, largement traduite dans l'actuel recueil des obligations déontologiques des magistrats. Cette exigence s'est renforcée ces dernières années dans la société française en général et dans le monde politique en particulier, au regard d'affaires récentes. L'exigence de déontologie ne peut qu'être attendue de la part de ceux qui jugent au nom du peuple français.

Siéger au sein du CSM implique de remplir ces missions, me semble-t-il, avec humilité, en dialogue étroit avec les autres membres de l'institution et principalement les personnalités qualifiées. Un certain nombre de principes sont évidemment requis pour les assumer dans les meilleures conditions. Elles sont rappelées dans la loi organique relative au CSM : indépendance, impartialité, intégrité, dignité. J'allais dire que ces principes et exigences devraient être ceux de toute personne qui travaille au sein d'une institution quelconque et, en tout cas, depuis la loi du 20 avril 2016, elle s'applique désormais à tout fonctionnaire. C'est peut-être mieux en l'écrivant mais on peut supposer que c'était pratiqué antérieurement.

Le questionnaire qui m'a été soumis accordait une attention particulière à ces principes déontologiques fondamentaux. L'indépendance postule l'absence de liens inappropriés avec un certain nombre de pouvoirs. Elle implique également de ne pas entretenir de relations privilégiées avec les magistrats eux-mêmes, pour éviter de donner à croire que telle prise de position ou tel avis serait dicté par des considérations d'ordre personnel et non strictement professionnel.

L'impartialité implique la neutralité et la prise de distance pour assurer ces missions. L'analyse d'un dossier ne peut reposer que sur son contenu, et sur l'aptitude du magistrat à exercer telle ou telle fonction de direction ou de responsabilité ou profil particulier, et non sur des éléments personnels ou qui ne seraient pas vérifiés.

L'intégrité et la dignité sont en lien avec la probité, le secret professionnel et la réserve, indispensables à toute mission au sein d'une institution constitutionnelle. Des exigences de comportement s'imposent aussi puisque la dignité implique non seulement que la manière d'être et de se comporter ne porte pas atteinte à la dignité de la personne mais également, me semble-t-il, de manière encore plus importante, à la dignité de l'institution elle-même.

Si votre commission me faisait l'honneur de me juger digne d'être membre du CSM, il me reviendrait de mettre à disposition de l'institution ces compétences que j'ai pu acquérir dans les différentes fonctions qu'il m'a été donné d'exercer, tout en gardant à l'esprit de manière constante que la justice est une mission fondamentale dans un État de droit et une démocratie. Elle mérite donc d'être indépendante. Elle mérite que tout soit mis en oeuvre pour que les institutions qui garantissent cette indépendance soient irréprochables. L'objectif qui pourrait être fixé serait d'aider à ce que nos concitoyens aient confiance dans la justice, avec un CSM exigeant au regard des garanties de compétence et d'impartialité, de respect des règles déontologiques par les magistrats.

J'ai conscience de l'importance et de l'ampleur de la mission qui m'attend si vous choisissez de donner votre approbation à la proposition de M. le Président de l'Assemblée nationale. Je mesure également l'honneur qui me serait donné de contribuer à une réflexion collective sur la justice, avec toute l'humilité que cet engagement requiert.

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