Intervention de Nicolas Lebourg

Réunion du mercredi 30 janvier 2019 à 11h55
Commission d'enquête sur la lutte contre les groupuscules d'extrême droite en france

Nicolas Lebourg :

Le Front national était, à la base, un compromis nationaliste : toutes les tendances des extrêmes droites devaient s'y retrouver. Le parti est créé par Ordre nouveau, non par Jean-Marie Le Pen, que l'on est allé chercher et qu'il a été question de virer avant même que le Front soit fondé. Jean-Marie Le Pen parvient à réaliser le compromis nationaliste que personne n'avait réussi auparavant ; il est reconnu comme l'arbitre de tous les courants et de toutes les tendances. Ordre nouveau envisage de devenir l'école des cadres de l'extrême droite. Dans les années 1980, c'est dans les groupuscules que sont les meilleurs militants de l'extrême droite néo-fasciste – ils ont été formés par Duprat qui leur faisait lire Lénine et Trotski pour savoir ce que l'on pensait « en face », Goebbels et d'autres –, alors que l'extrême droite réactionnaire et conservatrice est désordonnée : il n'y a pas plus anarchique qu'un mouvement d'extrême-droite modérée.

Mais, lors de la scission de 1998, tous les radicaux partent avec Mégret ; il n'y a alors plus de compromis nationaliste et le Front national se réorganise sur la base de la soumission à la famille Le Pen. Après 2011, la question première n'est pas l'exfiltration des radicaux néo-fascistes mais celle des nationaux-catholiques qui soutiennent M. Gollnisch et exècrent Mme Le Pen, laquelle veut se faire de la place pour accéder à la présidence. M. Benedetti déclare à la presse qu'il va s'occuper de l'organisation de la campagne de M. Gollnisch. Issu de l'Œuvre française, il y retourne et déclare à la presse qu'il est antisioniste, antisémite, anti-juif ; cela fait beaucoup, mais c'est sincère. Il y a donc nécessité d'évacuer les radicaux, qui seront, si j'ose dire, « privatisés ». Aujourd'hui, les radicaux ne sont pas dans le parti : ils sont prestataires de services, si bien qu'ils n'entachent pas le parti directement. On les trouve aussi dans les fonctions d'encadrement.

On en revient à ce qui est à mon sens la question centrale : la gestion de l'ordre public. Le citoyen que je suis préfère lire le nom de Martin Durand sur le bulletin de vote d'un parti extrémiste légal plutôt qu'à la page des faits divers après qu'il a commis un crime ou un délit sanglant. En République, la « digestion » des radicaux par des partis politiques légaux n'est pas négative : elle permet de transformer des gens violents mais intelligents – « Nous devons être intellectuels et violents », disait Charles Maurras – en des élus du peuple exprimant des idées un peu radicales, certes – mais, comme pour la dissolution, c'est d'une transaction qu'il s'agit. En échange d'un meilleur ordre public dans la rue, on digère les contestations, moyennant quoi le discours public général se radicalise. Le Parti socialiste s'est longtemps nourri des maoïstes et des trotskistes qui avaient appartenu à des mouvements dissous pour avoir commis des actions violentes à la fin des années 1960 et au début des années 1970, et qui ont fait, ensuite, d'excellents élus du peuple. Aussi convient-il, lorsqu'on parle des partis légaux et de leurs liens avec les radicaux, de sortir d'une posture, que nous eûmes collectivement dans les années 1980 et 1990, consistant à les pointer du doigt. En réalité, quand on observe les choses sur longue période, on se rend compte que réussir à intégrer la contestation est la meilleure manière d'obtenir l'ordre public tranquillement.

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