Intervention de Roch-Olivier Maistre

Réunion du mardi 29 janvier 2019 à 16h15
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Roch-Olivier Maistre :

Vos propos me touchent. Madame Kuster, la directive SMA est une étape majeure : elle étend la régulation à de nouveaux acteurs – plateformes de partage de vidéos sur les réseaux sociaux ou services de diffusion en direct ; elle assure une meilleure protection des mineurs contre les contenus qui peuvent porter atteinte à leur bon développement ; elle sanctionne les contenus incitant à la haine ou à la violence ; elle reconnaît l'importance de la régulation puisqu'elle invite tous les pays de l'Union européenne à se doter d'une structure de régulation indépendante du type du CSA. En outre, les objectifs culturels de l'Union européenne sont renforcés puisqu'elle impose un quota de 30 % d'oeuvres européennes dans les catalogues et oblige à les mettre en valeur.

Il s'agit de perspectives intéressantes. La directive permettra surtout de réguler des acteurs situés hors de notre territoire mais qui y diffusent leurs contenus. Ce changement de perspective de régulation va nous permettre de corriger les actuelles asymétries de régulation.

Le président Schrameck et le CSA ont souhaité aller plus loin et, dans la perspective du futur projet de loi audiovisuel, le collège a formulé une vingtaine de propositions. Après avoir pris mes fonctions, je prendrai mon bâton de pèlerin pour plaider notre cause.

S'agissant de la corégulation, la directive SMA l'encourage. Je crois beaucoup à cette responsabilisation des acteurs et m'attacherai à établir des liens de confiance – et non de connivence, car nous sommes une autorité indépendante – avec eux. Qu'est-ce que le droit souple et la corégulation, défendus par Olivier Schrameck et le collège du CSA ? Des engagements sont négociés avec les acteurs et, grâce à ses pouvoirs, y compris de sanction, le régulateur s'assure de leur respect.

Vous avez également évoqué notre collaboration avec les autres régulateurs. C'est le charme de la France : le paysage de notre régulation est une mosaïque riche de nombreux régulateurs qui interviennent dans différents secteurs. Certes, comme le disent les mathématiciens, il y a des zones d'intersection avec la HADOPI, la CNIL, l'Autorité de régulation des jeux en ligne (ARJEL) – pour ce qui concerne le sport sur internet ou e-sport – ou l'Autorité de la concurrence.

Nous devons renforcer notre collaboration – ce point n'est pas négociable. Pourquoi ? Tout simplement car nos interlocuteurs, a fortiori lorsqu'ils sont étrangers, sont les mêmes. Une approche dispersée nous fait perdre en efficacité.

Quel doit être notre degré de collaboration ? Plusieurs formes sont envisageables : partage d'expertise, rapprochement des services ou mutualisation des services ou des compétences – par exemple par la mise à disposition de spécialistes –, dialogue renforcé ou réunions d'études communes.

Des formes d'intégration plus poussées sont envisageables, mais il faut garder en tête que chaque régulateur a une mission dominante et un champ de compétences particulier : les différentes options doivent donc être scrupuleusement évaluées.

Plusieurs rapports ont par le passé évoqué une possible fusion du CSA avec l'ARCEP, mais je constate qu'on l'évoque moins depuis quelques années. Je considère que la régulation du monde des télécoms est très spécifique, même s'il existe des zones d'intersection – les entreprises de télécommunications sont très présentes dans le monde des médias. Nous devons développer nos collaborations et l'expertise des services de l'ARCEP peut être très utile au CSA sur certains dossiers. Mais je ne suis pas convaincu par le scénario de la fusion…

Le CSA et la CNIL ont évidemment des zones d'intersection en ce qui concerne le traitement des données, puisque la CNIL assure la protection des données personnelles et la mise en oeuvre du Règlement général sur la protection des données (RGPD), et que la problématique de la valorisation des données dans la sphère audiovisuelle va prendre une importance considérable dans les années qui viennent, notamment en raison du développement des plateformes. Cependant, le CSA et la CNIL ont des métiers fondamentalement différents et, même si la Cour des comptes m'a donné le goût de la rationalisation, j'estime qu'il est suffisant que les deux institutions collaborent et qu'une fusion n'est pas souhaitable.

Un éventuel rapprochement entre le CSA et la HADOPI, évoqué dans plusieurs rapports, pourrait faire sens, puisque les deux institutions s'intéressent aux contenus et peuvent toutes deux être amenées à lutter contre le piratage, encourager le développement de l'offre légale et assumer une mission de contrôle des conditions de financement, mais aussi de protection et de valorisation de la création. Cela nécessiterait sans doute de résoudre quelques questions d'ordre juridique, mais l'idée peut sembler intéressante. En tout état de cause, elle relève de la compétence exclusive du législateur, et ce n'est pas le seul président du CSA qui pourrait prendre une décision à ce sujet.

Enfin, vous avez évoqué la loi du 22 décembre 2018 relative à la lutte contre la manipulation de l'information, qui donne au CSA une double compétence en la matière – qu'il nous reviendra de mettre en oeuvre à très brève échéance. Il va d'abord s'agir de la possibilité d'interrompre le signal d'un éditeur détenu par une puissance étrangère qui diffuserait en période électorale des messages de nature à altérer le scrutin – une responsabilité lourde, a fortiori dans un contexte électoral. Par ailleurs, le CSA sera chargé de s'assurer que les opérateurs de plateforme en ligne prennent, comme ils en ont désormais l'obligation, des mesures en vue de lutter contre la diffusion de fausses informations susceptibles de troubler l'ordre public ou d'altérer la sincérité du scrutin. Sur ce dernier point, vous comprendrez que je reste prudent dans mon expression, puisque cette évolution suppose à la fois une organisation interne au CSA pour remplir cette mission et une délibération du collège ayant pour objet d'arrêter les modalités de mise en oeuvre du nouveau dispositif – mais en tout état de cause, nous exercerons cette nouvelle compétence législative qui vient de nous être confiée.

Madame Bergé, vous m'avez interrogé sur ma qualité de magistrat à la Cour des comptes. J'espère que ce n'est pas cette seule qualité qui a conduit à ce que mon nom soit proposé : si j'ai l'esprit de corps, je ne porte pas en étendard mon appartenance à la Cour des comptes ! Plusieurs membres de la Cour ont déjà fait partie du collège du CSA mais, si vous validiez ma nomination, ce serait la première fois qu'un membre de la Cour le présiderait.

Un magistrat se trouve, par définition, soumis à des obligations particulières, notamment le devoir de respecter un principe d'indépendance et un principe d'impartialité. Plus spécifiquement, le fonctionnement de la Cour des comptes repose sur deux principes cardinaux, à savoir la collégialité et la contradiction, en vertu desquels la Cour n'émet aucune production sur laquelle il n'ait été délibéré collégialement. À titre d'exemple, le rapport public annuel de la Cour que nous allons remettre lundi prochain au Président de la République a été adopté par la Cour dans sa formation la plus collégiale – la chambre du conseil, qui rassemble l'ensemble des conseillers maîtres. Je suis très attaché à ce principe de collégialité, car il protège l'institution. J'insiste sur le fait que les productions de la Cour ne sont pas les productions d'une personne, mais toujours celles de l'institution. Pour le CSA également, la délibération collective me paraît très importante : on trouve au sein du collège des profils et des expériences différentes, qu'il faut valoriser par la délibération collective, qui fait la force de la force de l'institution.

Durant les années que j'ai passées à la Cour des comptes, j'ai consacré beaucoup de temps à l'activité juridictionnelle stricto sensu, puisque j'ai été pendant trois ans premier avocat général au parquet général de la Cour, c'est-à-dire adjoint du procureur général de la Cour, mais également membre de la Cour de discipline budgétaire et financière (CDBF) pendant un peu plus de quatre ans. Ma connaissance de la procédure juridictionnelle me sera utile au sein d'une institution qui peut elle-même être amenée à engager des procédures de sanction.

Enfin, la Cour des comptes a évidemment une dimension économique, qui conduit lorsqu'on y travaille à examiner des chiffres très fréquemment et à devenir familier des finances publiques, deux compétences également très utiles lorsqu'on aborde la sphère de l'audiovisuel public. Au cours des dernières années, la Cour a contrôlé France Télévisions, mais aussi Radio France – dont il sera question dans son prochain rapport public annuel – et le CSA – il y a deux ans, si j'ai bonne mémoire. Cette activité a nourri mon expérience, que je souhaite aujourd'hui mettre au service de l'institution.

Monsieur Garcia, vous m'avez interrogé sur mon expérience dans le secteur de la presse. Sur ce point, je vais faire un petit aparté pour souligner qu'il me paraît nécessaire de distinguer ce qui relève de la régulation stricto sensu de ce qui relève d'une problématique industrielle. Toutes les difficultés de l'entreprise Presstalis ne sont pas liées à des problématiques de régulation : ce sont les problématiques auxquelles peut être confrontée toute entreprise dotée d'une structure à coûts fixes et devant faire face à un marché en recul constant – en l'occurrence, celui de la presse. Presstalis a mis beaucoup de temps à s'adapter à son marché – finissant, si j'ose dire, par courir après – et a pour cela fait de gros efforts, tout comme l'État, qui a accompagné le financement de la réforme mise en oeuvre. L'enseignement que j'en ai tiré en matière de régulation, c'est que notre système de régulation de la distribution de la presse est compliqué – c'est un système bicéphale, où les attributions sont partagées entre le Conseil supérieur des messageries de presse (CSMP) et l'Autorité de régulation de la distribution de la presse (ARDP). Je sais qu'un projet de réforme, s'inscrivant dans le prolongement du rapport rendu à ce sujet par mon collègue Marc Schwartz, est en cours d'élaboration. Quand on imagine des schémas de rapprochement avec d'autres institutions, il faut garder à l'esprit qu'un bon régulateur, c'est un régulateur dont les missions sont clairement affichées par le législateur – ce qui me semble être le cas du Conseil supérieur de l'audiovisuel – et qui dispose de ressources adaptées pour exécuter ces missions.

Madame Pau-Langevin, je vous remercie de votre appréciation positive sur ma candidature. La régulation au niveau européen est indispensable, et je vais me mettre dans les traces de mon prédécesseur pour prendre une part active au sein du réseau ERGA, reconnu par la directive SMA et qui aura vocation à jouer un rôle en matière d'interprétation de cette directive afin de faciliter son application.

Si le fait d'évoquer le CSA fait tout de suite penser à la télévision, on oublie parfois qu'il a également des attributions en ce qui concerne ce média formidable qu'est la radio, que je vous remercie d'avoir cité. Les Français sont très attachés à la radio, à laquelle ils consacrent près de trois heures par jour en moyenne, ce qui n'est pas négligeable, et chaque auditeur est en général très fidèle aux antennes qu'il affectionne. Comme tout le monde, j'ai mes habitudes en la matière, je me lève avec la radio et je m'endors souvent avec elle. C'est un média chaleureux, dont la force réside précisément dans le fait de ne pas diffuser d'images, et qui possède une tonalité particulière – cela m'a beaucoup frappé quand j'ai entendu la présidente de Radio France évoquer la façon dont le conflit des Gilets jaunes a été couvert : la lecture radiophonique est très particulière par rapport aux autres modes de lecture audiovisuelle.

La radio est un média confronté à des éléments spécifiques, qu'il faut prendre en compte. Il s'agit des tensions constatées sur le marché publicitaire ; d'un certain vieillissement de l'auditorat de la radio – dont il faut prendre la mesure et qui est assez largement lié au développement des nouvelles plateformes de streaming musical, qui présentent un attrait important pour les plus jeunes en raison de leurs prix raisonnables ; enfin, du fait que la modernisation de la bande FM à laquelle a procédé le CSA arrive à son terme, et qu'il devient extrêmement difficile d'attribuer de nouvelles fréquences, en particulier dans certaines zones – je pense à Lyon, à Strasbourg ou à Lille –, un problème auquel on envisage de remédier au moyen de deux solutions.

La première solution est celle du DAB+, c'est-à-dire la radio numérique terrestre, une technologie qui est longtemps restée la Belle au bois dormant, si je puis dire : si elle a fait l'objet de nombreux rapports, elle est restée au point mort pendant des années. Les choses ont enfin fini par se mettre en mouvement, et des appels ont été lancés sur les multiplexes nationaux et locaux, suscitant de nombreuses candidatures – 40 au niveau national, 170 au niveau local. Ce dossier sera l'un des plus importants parmi ceux qui attendront le nouveau collège et son président. Le DAB+ offrira une qualité sonore exceptionnelle, tout en permettant aux utilisateurs en mobilité d'éviter toute rupture du signal. Dans ce domaine, nous avons franchi une étape et, de ce point de vue, 2019 sera sans doute considérée comme une année charnière.

Pour ce qui est des quotas, comme vous le savez, j'ai eu l'occasion de conduire il y a peu de temps une mission portant sur le projet de création d'un Centre national de la musique – vous m'aviez d'ailleurs auditionné ici même à ce sujet. J'estime que la question des quotas va devoir être remise à plat : le fait d'avoir intégré dans la loi autant de paramètres contraignants dans un univers par nature mouvant, et qui se trouve totalement bouleversé par le développement des plateformes de streaming, change la donne. Si nous sommes tous attachés à la défense de la chanson française, le sujet est très délicat, et nous allons devoir définir des modes de régulation plus souples et pouvant s'adapter aux évolutions du marché et des technologies.

Vous m'avez demandé, madame Descamps, si mon profil en matière culturelle donnerait une coloration particulière à la fonction que je suis appelé à exercer. Je dirai que je le souhaite : je suis très attaché à ces questions, j'ai beaucoup d'admiration pour les créateurs et beaucoup d'amis dans la sphère de la création, notamment dans le milieu du théâtre – j'ai dirigé la Comédie-Française, où j'ai laissé une partie de mon coeur – et si je peux apporter au CSA une sensibilité particulièrement attentive à la défense de la création, ce qui correspond déjà à l'état d'esprit de cette institution, j'en serai très heureux.

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