Intervention de François Ruffin

Réunion du mercredi 30 janvier 2019 à 9h30
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois Ruffin :

M. Sébastien Jumel l'a dit : ce machin nous est vendu comme une nouvelle interface, un incubateur d'idées voire une révolution. En réalité, c'est une agence qui s'ajoute à d'autres agences. Lorsque j'entends l'expression « cohésion des territoires », mon sentiment – je ne suis député que depuis peu – est d'être le député des fermetures. Fermetures de bureaux de poste, fermetures de trésoreries, fermetures de classes voire d'écoles, fermetures de collèges et fermetures de lignes de train : en réaction à cela, je me bagarre sans cesse pour que tout cela ne disparaisse pas de ma région. En ce moment, ce sont les maternités, que ce soit à Vierzon, au Blanc, à Saint-Claude, à Clermont-de-l'Oise. Tout récemment, à côté de ma circonscription, c'est la maternité de Creil que l'on a décidé de fermer alors qu'on y enregistre 1 600 naissances par an et que 40 % de la population creilloise n'a pas de moyen de transport et qu'il n'existe pas de ligne de train entre Creil et Senlis, où il faudra désormais accoucher ! Voilà la situation dans laquelle on place les habitants.

En même temps, on vient nous parler de cohésion des territoires, alors que la pratique est celle de l'exclusion, et même de l'exclusion dès la naissance ! Dès la naissance, en effet, les gens sont exclus et n'appartiennent pas pleinement à la République : il leur faut trouver un moyen de transport pour parcourir quarante kilomètres alors que 1 600 naissances se produisent chaque année dans la maternité du bassin creillois ! Oui, c'est un cri de colère que je pousse : on ne peut pas parler de cohésion tout en laissant se produire de telles choses, qui plus est dans une totale absence de démocratie : alors que 90 % des votants disent non à cette fermeture à l'occasion d'une votation citoyenne locale, que tous les élus et les professionnels de santé se mobilisent pour le maintien de la maternité, l'ARS décide qu'il en sera ainsi, sans discussion ni dialogue, sans aucune possibilité démocratique. Après cela, on veut nous mettre un machin supplémentaire pour parler de cohésion des territoires ! Que l'on commence seulement par cesser l'exclusion que l'on continue de produire au quotidien !

Je vis dans une région qui s'appelait la Picardie et qui est devenue les Hauts-de-France, et dont je vois les services s'éloigner continuellement : à peu près tous ont quitté Amiens pour Lille. Et pas seulement les institutions étatiques : de grandes entreprises comme la Caisse d'épargne et d'autres ont déplacé leur siège. C'est un mouvement général d'éloignement de tous les services publics et privés. Comment parler de cohésion alors qu'on laisse se faire un tel bouleversement ?

Enfin, je fais du mouvement en cours la lecture suivante. Il ne s'agit plus seulement d'une fracture territoriale, ni même d'une fracture sociale : nous sommes bel et bien face à une fracture morale. On a le sentiment qu'une classe s'est détachée du corps de la Nation et qu'elle ne répond plus aux lois communes. Ce qui s'est désormais instillé dans le coeur de bon nombre de Français est plus fort que le sentiment d'exclusion : c'est devenu un sentiment de dégoût. Il y a des lois pour nous et des lois pour eux, mais ce ne sont pas les mêmes lois, comme ce ne sont pas non plus les mêmes impôts qui s'appliquent aux uns et aux autres. Encore une fois, nous sommes au-delà de la fracture sociale : c'est devenu une fracture morale.

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