Intervention de Frédéric Reiss

Séance en hémicycle du jeudi 21 février 2019 à 21h30
Fonds de soutien à la création artistique — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrédéric Reiss :

De mère bretonne et de beau-père alsacien, Alain Bashung a su mêler les subtilités de la langue française à une musique riche et envoûtante. Quant à Auguste Renoir, issu d'une famille ouvrière de sept enfants, il débuta dans l'impressionnisme pour devenir l'un des plus grands maîtres de la peinture française.

Ces deux artistes parmi tant d'autres ont connu des moments difficiles au cours de leur carrière, ne parvenant pas à vivre de leur art pendant de nombreuses années. Je tenais à évoquer la musique et la peinture, car elles n'apparaissent pas explicitement dans l'article 1er de cette proposition de loi. La peinture y figure sous le vocable « arts plastiques, graphiques et visuels » à côté des arts cinématographiques, audiovisuels et photographiques, de la littérature et de l'illustration, mais la musique, la danse et le théâtre n'y figurent pas.

Aujourd'hui, La France insoumise nous propose une proposition de loi destinée à permettre de soutenir les artistes dans un monde envahi par une culture numérique tentaculaire.

On ne peut que partager le constat de précarité de la plupart de nos artistes-auteurs contemporains. Au gré des ministres de la culture qui se succèdent rue de Valois, et je salue là l'engagement du ministre Franck Riester, notre pays mène une politique volontariste mais les chiffres sont implacables : deux tiers des auteurs ne vivent pas de leur art et 90 % d'entre eux, touchant moins que le SMIC, doivent accepter de petits boulots pour subvenir à leurs besoins, principalement alimentaires.

Cette situation préoccupe évidemment le groupe Les Républicains. Pour autant, cette proposition de loi qui prévoit de créer un fonds articulé autour de l'indépendance, l'accessibilité, l'universalité et la solidarité ne nous convainc pas.

La vraie question qui se pose aux artistes est celle de la juste rémunération de leur travail – leurs droits d'auteur pour nombre d'entre eux, sachant que les plasticiens bénéficient d'un droit d'exposition bien inférieur aux autres artistes. La création d'une énième aide, et encore moins d'un revenu de base, ne résoudra pas le problème de précarité.

Il existe aujourd'hui de nombreuses aides à différents niveaux – commune, département, région, État, secteur privé – qui s'ajoutent à la solidarité nationale à laquelle les artistes-auteurs ont droit comme tout citoyen. La création d'un nouveau fonds pourrait être acceptable à condition d'aboutir à une simplification, avec une fusion de toutes les aides et une sorte de guichet unique, pour une plus grande lisibilité. En effet, de nombreux artistes abandonnent les demandes d'aide face à la complexité, notamment administrative.

Comme financement, la proposition de loi prévoit de créer une taxe de 1 % sur les bénéfices tirés de l'utilisation commerciale et à but lucratif des oeuvres qui ne sont plus soumises au droit d'auteur, lequel s'éteint soixante-dix ans après la mort de l'artiste.

Vos estimations, monsieur le rapporteur, fluctuent de 300 millions à 1 milliard d'euros : ce n'est pas très convaincant. Et, indépendamment de ces estimations approximatives, cette taxe parait difficilement applicable. Deux questions se posent, en effet : que décider dans le cas d'un livre d'illustration, par exemple, dont certains ouvrages seraient soumis à droit d'auteur et d'autres non ? Et comment taxer les géants de l'internet, grands utilisateurs d'oeuvres non soumises au droit d'auteur ? D'autres pays avaient déjà décidé de taxer les bénéfices, mais ils ont préféré abandonner face aux difficultés d'application : cela fait réfléchir.

La proposition de loi ne tient pas compte de la situation particulière des oeuvres musicales, qui peuvent être tombées dans le domaine public tout en faisant l'objet d'enregistrements couverts par les droits voisins. De fait, l'exploitation de ces enregistrements n'est pas exonérée de la taxe prévue à l'article 3, sans considération de l'investissement du producteur phonographique et de ses droits patrimoniaux.

La proposition de loi fait ainsi peser sur les producteurs phonographiques le risque de tripler la dépense : à la dépense initiale de la rémunération de l'artiste, viendrait s'ajouter la taxe proprement dite et enfin le risque d'être appelé en garantie par les distributeurs. Le producteur garantissant aux plateformes ou aux enseignes de distribution un droit d'exploitation sur l'oeuvre, celles-ci pourraient se retourner contre lui en cas de charge supplémentaire pesant sur l'exploitation en question.

Comme je l'ai déjà évoqué, les auteurs de cette proposition de loi ont oublié, volontairement ou non, la musique dans leur rédaction initiale de l'article 1er. En l'état, l'exploitation des oeuvres musicales contribuerait donc au financement du fonds de soutien sans que les artistes-auteurs de musique en soient bénéficiaires, cela a été dit. Et en plus de porter atteinte au modèle économique de la production phonographique, le texte crée une taxe qui risque de fragiliser l'ensemble de la chaîne de valeur bénéficiant de l'exploitation de l'oeuvre – entreprises du spectacle vivant, enseignes de vente comme la FNAC ou plateformes comme Deezer.

Rappelons que, si la filière musicale bénéficie du développement du streaming, elle subit encore la chute continue des ventes de supports physiques. Le vinyle reprend quelques couleurs mais cela reste marginal. Globalement, le marché semble en légère croissance mais il ne représente aujourd'hui que 40 % du marché du début des années 2000. Le modèle économique reste donc très fragile.

Le groupe Les Républicains n'est pas favorable à la création d'un énième statut, financé par une taxe inapplicable. Je connais bien le statut des intermittents du spectacle mais s'en inspirer pour créer un statut des artistes me semble une fausse bonne idée. Par contre, nous sommes d'accord pour participer à une vraie réflexion menée avec les artistes autour de leur situation, pour une rémunération plus juste de leur travail.

La loi prévoit que les organismes de gestion collective comme la SACEM – Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique – ou la SACD – société des auteurs et compositeurs dramatiques – versent 25 % des sommes collectées au titre de la rémunération pour copie privée à des fonds de soutien à la création. Les sommes pourraient aller à des organisateurs de spectacles ou de festivals selon des critères manquant parfois de transparence.

C'est pourquoi il faudrait commencer par améliorer la lisibilité des différentes aides dont les artistes peuvent bénéficier. Cette clarification pourrait devenir un axe de progrès motivant et pertinent pour l'avenir. Nous avons tous le devoir de soutenir nos artistes créateurs pour que la culture reste l'expression du vivant.

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