Intervention de Phil Hogan

Réunion du mardi 10 octobre 2017 à 11h30
Commission des affaires européennes

Phil Hogan, commissaire européen à l'agriculture et au développement rural :

J'ai déjà exposé nos projets concernant la chaîne alimentaire : nous recherchons un meilleur équilibre sur le marché, entre les agriculteurs, les intermédiaires, les distributeurs. Nous avons créé un groupe d'experts en 2016, une task force « Marchés agricoles », dans laquelle figuraient des représentants français du secteur de la grande distribution. Personne ne peut dire qu'il n'y avait pas de représentants des détaillants au sein de ce groupe, qui s'est penché sur les différentes options possibles. Je ne doute pas qu'il y ait eu de nombreux désaccords, mais nous avons quand même un rapport et des recommandations. Nous allons fonder notre futur travail sur ces recommandations. Je vais faire des propositions au premier semestre 2018 pour traiter cette question.

Je suis d'accord avec vous quant à la nécessité d'une transition écologique et de plus grandes ambitions environnementales. Lorsque l'on attribue l'argent des contribuables européens pour atteindre un objectif, il faut d'abord pouvoir identifier la performance et les résultats escomptés. L'Union européenne sera extrêmement ambitieuse dans la détermination de ces objectifs. Les États membres vont avoir l'occasion de répondre à ces objectifs européens. Quant aux implications financières, vous aurez également la possibilité de répartir plus souplement, au niveau national, les financements apportés par Bruxelles. Vous pourrez ainsi vous rendre dans les ministères français plutôt qu'à Bruxelles pour faire entendre votre voix.

Chaque année, l'Union européenne verse des fonds au Gouvernement français – la France est le plus grand bénéficiaire de la PAC – encore faut-il que ces fonds arrivent aux exploitants. Comme tous les États membres, vous devez investir dans un système intégré de gestion et de contrôle pour identifier les parcelles. Il faut moderniser vos systèmes informatiques car, sinon, vos agriculteurs ne disposeront jamais des fonds européens. Je sais qu'il y a beaucoup de débats sur ces questions en France. À l'avenir, nous pourrons peut-être vous donner d'avantage de flexibilité si le Conseil « Agriculture » et le Parlement européen se mettent d'accord.

Je souscris à l'usage du mot « équitable ». Vous avez raison, 80 % des subventions bénéficient à 20 % des agriculteurs. C'est un problème foncier : 80 % des terres sont détenues par 20 % des agriculteurs… Les paiements sont fondés sur les superficies, découplés de la production. Or, se cantonner à la taille des parcelles n'est évidemment pas juste.

Nous pouvons faire plus, en ciblant les plus petits exploitants et en recherchant plus de diversité. Récemment encore, nous avons proposé de plafonner l'aide maximale, mais le conseil des ministres a refusé. Nous n'allons pas baisser les bras : nous réessaierons.

L'étiquetage nutritionnel et la labellisation d'origine sont des problématiques françaises très sensibles : bien sûr, nous devons fournir un maximum d'informations aux consommateurs français et européens, mais il faut également protéger le marché intérieur. Vous ne voulez pas vous retrouver isolés : il faut que vos produits puissent s'écouler sur le marché européen et mondial le plus vaste possible. Une bonne labellisation reflète de bonnes normes de qualité.

Je tiens à souligner un point très important s'agissant de nos accords commerciaux : le CETA est un accord exigeant en matière de normes. C'est par ailleurs le plus important accord conclu par l'Union européenne avec un grand pays. Les négociations avec le Mercosur sont en cours et représentent huit fois les enjeux financiers du CETA ! C'est considérable. Mais, in fine, ce seront les États membres qui signeront, ou pas, ces accords. En outre, la Commission publie les mandats, mais ils doivent ensuite recevoir l'aval du Conseil, donc des gouvernements des États membres : ce sont eux qui mandatent la Commission pour ces négociations et qui donnent leur aval.

Ce n'est certes pas ce qu'a dit l'un d'entre vous, mais c'est bien ainsi que les choses se passent. Nous procédons toujours ainsi : la Commission propose et le Conseil donne son accord, puis la Commission négocie et le Conseil et le Parlement européen doivent valider le résultat des négociations. Nous opérons donc en toute transparence.

Vous avez raison, la viande bovine est un sujet très sensible. J'ai mandaté des études d'impact pour évaluer les conséquences des accords de libre-échange passés et futurs dans ce secteur. Ma collègue en charge du commerce est également consciente des enjeux. Pour ces produits sensibles, comme le boeuf, le sucre ou l'éthanol, nous estimons qu'il faut fixer des limites, tout en veillant à maximiser les perspectives pour les agriculteurs européens. J'appelle très régulièrement les autres commissaires européens à être extrêmement sensibles à ce secteur important.

Personne n'a évoqué le Japon. Pourtant, notre accord avec ce pays a débuté sur la base de 1 500 tonnes de viande bovine ; aujourd'hui, nous avons atteint 65 000 tonnes. Le commerce des fromages à pâte dure, des alcools, du vin et des produits agricoles transformés est totalement libéralisé et nous disposons de belles opportunités pour le lait écrémé en poudre, le blé et les produits laitiers.

Vous le voyez, il convient de trouver le juste milieu pour aller vers un « donnant-donnant ». Les acteurs extérieurs au secteur agricole vont vous interpeller : pourquoi privez-vous l'industrie ou les services financiers de 4 milliards d'euros de revenus supplémentaires qui découleront de l'accord avec le Mercosur ? Il faut faire des compromis et des concessions en matière agricole pour que les secteurs financiers et industriels, créateurs d'emplois en France comme ailleurs en Europe, bénéficient également de ces accords.

Mais, je le répète, la viande bovine est un sujet très sensible. Je suis parfaitement conscient des risques encourus. Nous verrons quels seront les résultats de la négociation et, in fine, la France et les autres États membres décideront.

Dans tous les accords de libre-échange, nous mentionnons les indications géographiques, importantes pour la France. Le CETA, par exemple, comporte 443 références à des produits alimentaires disposant d'une indication géographique protégée (IGP) au niveau européen. Au départ, les Canadiens, qui n'ont pas d'IGP, n'acceptaient pas notre système. Au bout d'une journée, ils ont changé d'avis. Nous aurions refusé d'avancer dans les négociations tant que les IGP et nos normes n'étaient pas acceptés. C'est la même chose avec le Mercosur et pour tous les autres accords : nous demandons aux autres pays d'accepter notre système. Les Américains ne sont pas d'accord et veulent continuer à utiliser les noms génériques, qui n'offrent pas la protection nécessaire aux produits français et européens.

Nos outils de résilience en faveur des exploitants agricoles font pour le moment l'objet de paiements directs en soutien aux revenus des agriculteurs. Cela sera-t-il le cas dans le futur ? Le Conseil et le Parlement européen doivent l'accepter, mais pour ma part, je vais le proposer. Cet outil est un filet de sécurité pour garantir un certain niveau de revenu aux petits et moyens exploitants. Il nous faut également étendre les outils assurantiels existants et les autres outils de stabilisation des revenus pour que les agriculteurs puissent rapidement disposer d'une source de revenus en cas de crise. Nous devons tirer les leçons des dernières crises, qui ont touché les produits laitiers et la filière porcine.

Par ailleurs, pour que l'agriculture soit pérenne dans certaines zones spécifiques, comme la montagne, celles-ci doivent disposer d'une protection supplémentaire, car les agriculteurs y travaillent dans des conditions difficiles. La qualité y est également primordiale. J'étais il y a peu en Savoie. Le lait produit pour fabriquer du fromage y est acheté 70 centimes le litre aux agriculteurs. On voit que la qualité et les IGP sont profitables aux communautés rurales.

Pour gérer les risques climatiques, nous voulons continuer à nous appuyer sur les assurances. Mais je souhaite également octroyer une certaine souplesse aux États membres confrontés aux problèmes climatiques, comme le gel, pour qu'ils puissent proposer des mesures adaptées à leurs zones rurales. Nous donnons déjà beaucoup de flexibilité aux États membres dans le cadre du programme de développement rural, puisqu'ils peuvent modifier les règles une fois par an, s'ils rencontrent une situation ou un problème particulier. Je ne pense pas que la Commission ait été particulièrement exigeante en la matière au cours des deux dernières années.

L'Union européenne est impliquée dans les recherches scientifiques autour de la molécule qui entre dans les mélanges au glyphosate. L'Union ne s'est penchée que sur cette molécule et nos études scientifiques montrent qu'elle est sans risques pour la santé humaine. Nous l'avons revérifié de différentes façons, la pression politique étant forte sur ce sujet. Le commissaire que je suis a dû gérer cette crise et a été particulièrement attentif aux études menées sur cette molécule. Mais d'autres composés entrent dans la production de la mixture finale. Ces autres produits sont rajoutés au niveau des États membres. Ce sont donc les États membres qui décident de la composition du mélange.

Que va-t-on faire si ce produit est interdit ? Malheureusement, je ne connais ni la réponse, ni les alternatives. La recherche pour trouver de nouvelles molécules est encore insuffisante. Le débat est hautement politique ; il a pris le dessus sur le débat scientifique. Or, je fonde d'abord mon raisonnement sur des bases scientifiques.

La réforme de la PAC a bel et bien débuté. Nous ferons une communication le 29 novembre. Le cadre budgétaire 2020-2027 sera publié en mai 2018, je ferai une proposition législative en juin 2018 et, entre cette date et les élections européennes, nous aurons un débat sur ces propositions. La fenêtre d'opportunité sera de neuf mois. La grande campagne de consultation publique que nous avons lancée a porté ses fruits puisque 322 000 personnes ont répondu, contre à peine 5 500 la dernière fois. Vous le voyez, tout le monde peut participer à cette consultation ouverte !

S'agissant de la déréglementation du secteur laitier, nous continuons à mener des interventions dans le secteur, à offrir des aides au stockage privé, à opérer des paiements directs ainsi qu'à proposer des produits d'assurance qui aident les agriculteurs à stabiliser leurs revenus. Cela fait partie du deuxième pilier de notre politique agricole commune.

Je ne vois d'ailleurs pas, pour l'avenir, de libéralisation totale du secteur laitier. Je compte au contraire pas moins de vingt-trois mesures prises pour le soutenir, notamment, je l'ai dit, l'aide au stockage privé. Près de 380 000 tonnes de poudre de lait écrémé sont stockées de manière privée à l'heure actuelle. Que dois-je en faire ? Si je ne trouve pas de solution pour écouler ce produit, cela peut entraîner un risque de pression sur les prix en 2018, et faire du tort à nos producteurs. Car l'industrie agroalimentaire s'attend à la libération, tôt ou tard, de ce surplus. Nous réfléchissons donc à des solutions pour écouler ces produits dans les six à neuf mois afin d'éliminer cet excédent en souffrance sans peser sur les prix et nuire aux exploitants. En définitive, c'est ce qui nous importe plus : maintenir le niveau élevé de prix que nous connaissons à l'heure actuelle.

J'en termine par la hausse récente du prix du beurre. Cette augmentation est allée jusqu'à 50 % à travers l'Union européenne, mais ne s'est élevée en France qu'à 12 %, où la baisse n'avait certes pas été aussi prononcée. Il me semble cependant que c'est un sujet à débattre en France, peut-être dans le cadre des discussions sur la chaîne alimentaire : comment remédier à la concentration du marché. Le débat ouvre peut-être des possibilités.

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