Intervention de Alain Juppé

Réunion du jeudi 21 février 2019 à 15h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Alain Juppé :

S'agissant du déport d'un membre du Conseil constitutionnel lorsque l'examen d'une affaire peut constituer pour lui une sorte de conflit d'intérêts, ma position est nette. Pour le contrôle a priori, n'étant plus législateur depuis une bonne décennie, je risque peu de me trouver confronté à cette situation. En revanche, la question pourrait se poser à l'occasion de l'examen en QPC d'un texte ancien à l'élaboration ou au vote duquel j'aurais participé, ou d'un contentieux électoral. Je suivrai alors les usages du Conseil avec détermination et me déporterai chaque fois que cela sera nécessaire.

Votre deuxième question est plus complexe. Vous avez évoqué les cavaliers législatifs et la règle de l'entonnoir qui veut qu'après la première lecture on ne puisse déposer d'amendement que sur des dispositions n'ayant pas déjà fait l'objet d'un accord. J'observe que certaines de ces dispositions proviennent des règlements des assemblées, qui ont voulu, elles aussi, concilier deux principes : la liberté d'amender d'une part, la clarté et la sincérité du débat parlementaire d'autre part. L'initiative n'émane donc pas toujours du Conseil constitutionnel, et il me semble même que dans certaines décisions récentes, en particulier sur un projet de résolution du Sénat, le Conseil s'est posé en défenseur du droit d'amendement, rappelant que c'est une prérogative fondamentale des parlementaires et du Gouvernement. Il a même émis des réserves sur l'une des propositions de cette résolution, qui était de limiter le temps de parole lors de l'examen des textes. Je me situerai plutôt dans la ligne de cette doctrine du Conseil, pour réaffirmer que le droit d'amendement est un droit essentiel. J'ai peu d'empathie, vous le savez, envers MM. Poutine et Orbán.

J'ai dit tout à l'heure que le devoir de neutralité ne m'empêchait pas de rester fidèle à mes convictions. Je me rattache toujours à la famille gaulliste et, comme vous le savez, le général de Gaulle avait fait du référendum un instrument essentiel d'expression de la souveraineté nationale, avec des bonheurs divers. Je continue de penser que c'est un moyen essentiel. Deux articles de la Constitution encadrent strictement le recours au référendum : il doit s'agir de réviser la Constitution – c'est l'article 89 – ou de se prononcer sur « l'organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent » – c'est l'article 11. Le président du Conseil constitutionnel a rappelé il y a peu que la question ne devait pas porter sur une question d'ordre général ou un objectif flou, mais sur un projet de loi clairement identifié. La révision constitutionnelle de 2008 a introduit, vous l'avez rappelé, le référendum d'initiative partagée. Peut-être y a-t-il à ce sujet une voie de progrès ? Peut-être peut-on assouplir les pourcentages aujourd'hui exigés – un cinquième des parlementaires et un dixième du corps électoral – pour organiser cette nouvelle forme de référendum ? Le référendum d'initiative citoyenne, à tout propos et hors de propos, y compris pour destituer des élus récemment investis dans leur charge, n'emporte pas la même sympathie de ma part.

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