Intervention de Alain Juppé

Réunion du jeudi 21 février 2019 à 15h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Alain Juppé :

Je crois savoir que la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur le droit local d'Alsace-Moselle est constante : il considère ce droit comme parfaitement compatible avec la Constitution et estime qu'il ne doit pas être remis en cause, sauf extension le cas échéant. Faut-il l'inscrire dans la Constitution ? Il ne revient pas au Conseil d'en décider mais au constituant ou au législateur.

L'une des missions du Conseil constitutionnel est bien de veiller aux droits de l'opposition puisque les Règlements des assemblées parlementaires lui sont automatiquement soumis avant leur mise en application. Il exerce donc son contrôle sur ce point. L'extension, en 1974, de la saisine du Conseil à soixante députés ou soixante sénateurs a été un droit nouveau, de fait utilisé essentiellement par l'opposition.

L'équilibre des dépenses publiques est un principe constitutionnel, l'article 34 de la Constitution prévoyant que la loi doit aller dans le sens de l'équilibre des comptes des administrations publiques. Ce principe est-il suffisamment mis en oeuvre ? Le débat sur la réduction des dépenses échappe largement à la compétence du Conseil constitutionnel. Pour la taxe d'habitation, le Conseil a jugé que sa suppression par étapes était compatible avec le principe de libre administration des collectivités locales parce qu'il y a dégrèvement, donc prise en charge totale par l'État, parce qu'il n'y a pas modification des bases de l'impôt, et parce que la collectivité peut augmenter les taux au-delà de cette mesure. Je suis incapable de dire ce qui se passera ensuite et quelles ressources fiscales seront substituées à la taxe d'habitation.

M. Bernalicis, vous comprendrez que je ne me mêlerai évidemment pas à un débat qui est essentiellement politique, même s'il peut comporter des aspects institutionnels relatifs à la séparation des pouvoirs.

M. Schellenberger a mentionné la diminution de l'autonomie financière des collectivités locales. Je vous dirai à ce sujet, dans une brève rétrospective de mes fonctions de maire, que la part des ressources de ma métropole provenant des dotations est passée en quelques années de 34 % à 17 % du total de ses ressources ; c'est un séisme budgétaire qui s'est produit. Le Conseil constitutionnel a cherché à concilier les principes de libre administration des collectivités locales et de maîtrise des dépenses publiques. Il a jugé que la contractualisation des dépenses avec l'État était acceptable parce que les critères adoptés étaient appropriés. Premièrement, le pourcentage de 1,2 % retenu se réfère à la réalité des années précédentes – il ne rompt donc pas avec l'évolution des dépenses des collectivités territoriales. D'autre part, parce que le taux de croissance annuel des dépenses de fonctionnement retenu pour chaque collectivité peut être modulé pour tenir compte de plusieurs paramètres, la croissance démographique par exemple – on est ainsi monté à 1,35 % dans ma collectivité. Ensuite, parce que la retenue éventuelle, en cas de non-respect du contrat, est limitée à 2 % des recettes propres de la collectivité. Enfin parce qu'elle donne lieu, s'il y a contentieux, à un débat contradictoire. Pour ces raisons, le Conseil constitutionnel a validé la disposition. Mais il est évident que l'on ne peut aller au-delà de de cet équilibre.

Oui, il fallait consulter les collectivités locales avant de modifier les limites territoriales locales. Les instruments de coopération intercommunale et la loi le prévoient, et il faudra évidemment faire respecter ce principe.

M. Rebeyrotte m'a jugé jacobin, mais je suis devenu de plus en plus girondin au fil du temps. Si j'ai dit que mon expérience d'élu local peut être utile, c'est d'abord parce que l'on reproche vigoureusement aux élus enfermés dans les donjons de l'Élysée, de Matignon ou des ministères d'être complètement coupés des réalités. L'expérience d'élu local assure que l'on n'est pas coupé des réalités, et cela peut être utile dans l'appréciation du droit et dans la mise en oeuvre de certaines dispositions législatives. D'autre part, cette expérience a quelque peu assoupli mon comportement. Il m'est arrivé d'être parfois un peu raide ; on me l'a reproché. Quand on est obligé de gérer une collectivité avec vingt-huit maires, il faut avoir le sens du dialogue et du consensus, mais aussi de la décision. C'est tout l'art du bon gouvernement local : concilier le besoin de concertation et le fait qu'un moment vient où quelqu'un décide. Voilà ce que mon expérience peut apporter aux délibérations du Conseil constitutionnel.

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