Intervention de Michel Castellani

Séance en hémicycle du jeudi 7 mars 2019 à 9h30
Rétablissement de l'isf et renforcement de la progressivité de l'impôt sur le revenu — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichel Castellani :

L'imposition des grandes fortunes est, de longue date, dotée d'une dimension symbolique indéniable, au-delà des problématiques qu'elle soulève en termes d'équilibre des finances publiques. Souvenons-nous des débats ayant entouré la création de l'impôt sur les grandes fortunes en 1982, sa suppression en 1986, puis la création de l'ISF en 1989. Ces dernières semaines, les revendications exprimées par le mouvement des gilets jaunes et les remontées du grand débat national confirment la prégnance des thématiques relatives à la justice fiscale. Cette actualité donne lieu à un certain nombre de propositions visant à réformer notre édifice fiscal. Un tel chantier ne peut être entrepris qu'en gardant à l'esprit les deux composantes du principe d'égalité devant l'impôt : le principe d'égalité devant la loi fiscale et le principe d'égalité devant les charges publiques.

Avec la présente proposition de loi, nos collègues du groupe GDR entendent poser à nouveau la question du traitement fiscal réservé à nos compatriotes les plus aisés.

Depuis juin 2017, le Gouvernement a multiplié les avantages fiscaux en leur direction. Plusieurs études, dont celle de l'Institut des politiques publiques publiée en octobre dernier, ont bien montré que le quatre-vingt-dix-neuvième percentile était celui dont le pouvoir d'achat avait le plus progressé depuis juin 2017 alors que, dans le même temps, les 20 % des ménages les plus pauvres – ceux qui gagnent moins de 545 euros par mois – ont vu leur revenu disponible diminuer d'environ 1 %.

La suppression immédiate de l'ISF dès la loi de finances pour 2018, c'est-à-dire avec un an d'avance sur la date initialement prévue, et son remplacement par l'impôt sur la fortune immobilière couplé à l'instauration d'une flat tax de 30 % sur les revenus du capital, ont constitué un marqueur fort de la politique fiscale voulue par le Président de la République. Ces deux mesures représentent, à elles seules, environ 4 milliards d'euros de moins pour les caisses de l'État chaque année, même si le rendement de l'IFI et du PFU est supérieur aux attentes, comme l'a indiqué M. le ministre de l'action et des comptes publics devant la commission des finances le 20 février dernier.

Alors qu'en 2018, 17,7 millions de ménages se sont partagé les bénéfices de la baisse de la taxe d'habitation, ils sont à peine 330 000 à profiter de la réforme de l'ISF. Résultat : le gain annuel moyen a été d'environ 200 euros pour les premiers, mais de plus de 9 000 euros pour les seconds.

Pour autant, que penser des mesures proposées par nos collègues du groupe GDR ? L'article 1er vise à rétablir l'impôt sur la fortune dans sa version antérieure à la loi de finances pour 2018, tandis que l'article 2 prévoit un rééchelonnement de l'impôt sur le revenu. Ces mesures sauraient-elles résoudre, à elles seules, le manque de justice de notre édifice fiscal ? Ne serait-il pas plus pertinent de jeter les bases d'une imposition des revenus et du capital du XXIe siècle ?

Nous estimons que des mesures plus réalistes et plus adaptées sont à étudier. Comme vous le savez, nous avons versé au grand débat national des propositions visant à réformer de manière plus efficace notre système fiscal. Nous devons sans doute renouer avec l'ambition réformatrice de Joseph Caillaux, le père de l'impôt sur le revenu. Créé en 1914 en remplacement des « quatre vieilles », cet impôt a connu de nombreuses évolutions. Sa place, son rôle et son avenir sont de nouveau au coeur du débat public.

S'agissant plus précisément de l'article 2 du présent texte, une rapide étude des pistes proposées nous laisse perplexes.

En effet, le rééchelonnement des tranches tel qu'il est proposé n'aurait pas d'effet majeur sur l'imposition des Français les plus riches mais, au contraire, un impact variable et sans doute peu souhaitable sur la classe moyenne. Ainsi, les personnes dont le revenu se situe autour de 2 500 euros par mois bénéficieraient d'un gain, en pourcentage, parmi les plus faibles. A contrario, les plus grands gagnants, toujours en pourcentage, seraient les contribuables dont les revenus s'établissent légèrement au-dessus de 4 000 euros mensuels, avec un gain attendu de plus de 1 500 euros par an.

Par ailleurs, les contribuables les plus aisés seraient peu affectés par un passage de cinq à neuf tranches. Ainsi, une personne disposant d'un revenu annuel de 150 000 euros verrait son impôt sur le revenu diminuer de plus de 500 euros. Le point de bascule entre gagnants et perdants de la réforme, si je puis m'exprimer ainsi, se situerait autour d'un salaire annuel de 162 000 euros, soit 15 000 euros par mois. Il serait évidemment difficile de se retrouver dans un tel scénario !

Cette proposition aboutit à des diminutions d'impôt sur le revenu pour la majorité des ménages, même si ces diminutions sont contrastées, comme je viens de l'évoquer. Elle occasionnerait une baisse du rendement de cet impôt, qui s'établissait à 72,5 milliards d'euros en 2018. Son impact sur l'équilibre des finances publiques pose donc un certain nombre de questions.

De surcroît, notre groupe considère que la lisibilité est, avec la justice, une condition du consentement à l'impôt. À cet égard, un nombre trop élevé de tranches aurait sans doute pour inconvénient de rendre notre système complexe. Hors de nos frontières, nous constatons d'ailleurs que les pays semblables au nôtre ont réduit le nombre de tranches ces dernières années.

Dans une démarche constructive, le groupe Libertés et territoires estime que plusieurs pistes de réformes coexistent.

Je veux tout d'abord évoquer la proposition de loi de notre collègue François-Michel Lambert, que j'ai d'ailleurs cosignée, visant à créer un impôt de solidarité écologique sur la fortune. Ce dernier permettrait de combiner enjeux écologiques et taxation du patrimoine. Le produit de cet impôt serait intégralement fléché vers le financement de la transition énergétique, via un compte d'affectation spéciale dédié.

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