Intervention de José Angel Gurría

Réunion du mardi 13 novembre 2018 à 17h00
Commission des affaires étrangères

José Angel Gurría, Secrétaire général de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) :

Je vous remercie de m'avoir invité. Je suis déjà venu parler devant vous – ou plutôt certains d'entre vous, la démocratie étant… dynamique. (Sourires.) À l'OCDE, nous avons toujours considéré que travailler avec les parlementaires était essentiel pour établir la connexion entre les initiatives de coopération internationale et la vie quotidienne des citoyens.

Deux fois par an, le réseau parlementaire mondial de l'OCDE, espace d'échanges pour des parlementaires du monde entier, se retrouve à notre siège à Paris. Une fois par an nous nous retrouvons dans un autre pays. Puisque, de façon symbolique, le Parlement français est le « parlement hôte de l'OCDE », nous avons toujours collaboré de façon étroite avec lui. Hier encore, nous rencontrions le Président du Sénat.

À quelle épreuve est donc confrontée la gouvernance de la mondialisation ? En premier lieu, chacun a à l'esprit les fortes tensions que subit le commerce mondial. Tensions entre les États-Unis, la Chine et l'Europe, remise en cause de l'ALENA suivie de la renégociation d'un accord entre le Canada, les États-Unis et le Mexique, remise en question, par certains, de l'efficacité de l'OMC, Brexit, cette discorde commerciale révèle que nous sommes à un moment critique de la gouvernance économique mondiale.

L'OCDE a d'ailleurs revu à la baisse ses prévisions de croissance mondiale. Nous établissons des prévisions formelles en novembre, mais aussi des prévisions informelles en mars et septembre. Il y a quatre ou cinq mois, notre prévision pour 2019 était de 4 %. Dès septembre, nous avons ramené la prévision à 3,7 % pour 2018 et 2019. Dans quelques jours, nous publierons notre prévision pour l'année. Nous allons aussi donner notre prévision pour 2020, et cette tendance se poursuivra, alors qu'auparavant on pensait que le décollage observé allait durer un peu plus longtemps.

La croissance du commerce mondial est, d'ordinaire, du double de celle de l'économie. Avec une croissance économique de 3,7 %, celle du commerce devrait être de 7 % à 8 %. Fin 2017, elle était de 5 %, ce qui était satisfaisant après des années de stagnation ou de très faible croissance. Dans la première moitié de 2018, cette vitesse de croissance est passée à 3 %. Bref, les échanges commerciaux ne jouent pas le rôle de locomotive qu'on attendrait. Le phénomène est plus général : on investit pour produire afin de vendre. L'incertitude commerciale freine l'investissement, socle de la croissance de demain. Cela, on le mesure déjà, depuis six mois, parce que les menaces qui pesaient ont commencé à se réaliser.

Les chiffres que je viens de citer ne sont pas encore inquiétants en eux-mêmes. Néanmoins, des mesures protectionnistes additionnelles engendreront une baisse de l'investissement, de l'emploi, de la croissance, et du bien-être. Il est donc fondamental que l'on s'attelle collectivement à continuer à faire fonctionner ce système sous l'égide de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), qu'il faut renforcer et non affaiblir.

Au-delà, il faut approfondir l'analyse pour comprendre les tendances au repli. Bien sûr, les entorses aux règles du jeu, les distorsions du marché n'aident pas à construire la confiance entre pays. Mais les causes de la crise actuelle sont plus profondes. Laissez-moi tenter de les expliquer par ce que j'appellerais un effet de ciseaux à trois bandes : D'abord, une accélération de la mondialisation et des changements technologiques ; ensuite, une croissance des inégalités ; en troisième lieu, des politiques nationales plus contraintes et une gouvernance économique mondiale qui n'ont pas suffisamment évolué vers un nouveau modèle de croissance plus inclusive et une meilleure gestion des flux entre les pays.

D'abord, au cours des trois dernières décennies, la mondialisation a progressé rapidement, facilitée par, et facilitant le changement technologique. Les flux d'échanges et d'investissement direct étranger sont passés respectivement de 17 % et 0,9 % du PIB mondial en 1990 à 28 % et 3,2 % en 2016, soit en moins d'une génération. Ces échanges ont permis de faire des gains de productivité et d'innovation, de sortir de la pauvreté des centaines de millions de personnes, et de mieux intégrer les pays émergents.

Mais on constate que cela ne suffit pas à convaincre les populations. Si l'expression d'opinions négatives à l'égard de la mondialisation n'est pas nouvelle, c'est la première fois en quatre-vingts ans que des gouvernements de grandes économies avancées prennent des mesures à l'encontre du processus de libéralisation des échanges.

Comment le comprendre ? Tout d'abord, le revenu réel disponible médian des ménages n'a que très lentement progressé depuis vingt-cinq ans dans de nombreux pays de l'OCDE ; parallèlement, certaines dépenses essentielles telles que le logement, l'éducation et la santé ont connu une hausse durable, réduisant d'autant le pouvoir d'achat des classes moyennes.

On le constate plus encore depuis la crise de 2008, dont les conséquences se font encore sentir – chute de la croissance, destruction d'emplois, accroissement des inégalités, défiance envers les institutions et responsables politiques, parlements, partis, banques, multinationales, montée d'une attitude de cynisme général en particulier chez les jeunes. Les perspectives pour les 40 % de la population en bas de l'échelle de revenus se sont obscurcies dans de nombreuses économies avancées, tandis que les revenus et le patrimoine des plus aisés ont continué de croître. De plus, plus de la moitié des emplois créés depuis le milieu des années 1990 concernent des formes de travail avec des contrats atypiques, euphémisme pour dire que ces contrats apportent moins de sécurité aux travailleurs. Enfin, la faiblesse du taux de chômage moyen dans les pays de l'OCDE, qui est de 5,3 % en moyenne, dissimule qu'il existe un nombre élevé de travailleurs à temps partiel qui aimeraient travailler à plein temps ou qui ont arrêté de chercher du travail.

Doit-on en conclure, comme certains le font, que les échanges économiques sont à l'origine de ces difficultés ? Le commerce est-il coupable ?

Les études montrent que la mondialisation a contribué à la réduction de la part du travail dans le revenu national – la masse salariale représente une moindre part du produit intérieur brut (PIB) – et que la croissance des échanges a eu, comme c'est attendu, des coûts de transition pour certains travailleurs, certaines entreprises et certaines régions. Par ailleurs, le changement technologique rapide, comme à d'autres moments de l'histoire, perturbe aussi les économies et le marché du travail. Néanmoins, il n'y a là rien d'ingérable par les politiques publiques nationales dans des économies ouvertes.

Dans ce cadre, l'OCDE accomplit un travail important depuis de nombreuses années sur un nouveau modèle de croissance inclusive. Elle a publié, en juin 2018, son Cadre d'action pour la croissance inclusive, qui recommande des actions sur plusieurs thèmes : l'investissement dans les personnes et les localités et régions, le soutien au dynamisme des entreprises et à un marché du travail inclusif, et la prise en compte préalable de ce qui relève de l'inclusion et de la redistribution dans les politiques publiques. Nous avons aussi lancé hier au Forum de Paris sur la Paix, avec Emmanuel Faber, président-directeur général (PDG) de Danone, et Jeffrey Sachs, célèbre universitaire américain, la nouvelle plateforme de l'OCDE « Entreprises pour la croissance inclusive », qui proposera un ensemble de recommandations sur la manière dont les entreprises peuvent agir afin de maximiser la croissance inclusive.

Mais aujourd'hui, il ne s'agit pas seulement d'améliorer les politiques nationales. La mondialisation et l'interconnexion des pays ont créé un certain nombre d'enjeux qui ne peuvent plus être traités qu'au niveau mondial, ce qui demande l'adhésion de toutes les grandes économies. Comment gérer les migrations, le commerce, l'investissement, le changement climatique, sinon de façon multilatérale ? Essayer de le faire seul, ou même en bilatéral, c'est méconnaître la nature des défis à relever. C'est le cas pour la fiscalité à l'échelle globale. L'OCDE y travaille beaucoup, avec le projet sur l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices – Base Erosion and Profit Shifting (BEPS). Le transfert de bénéfices permet l'optimisation fiscale. Le problème est que c'est tout à fait légal.

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