Intervention de Didier Migaud

Réunion du mercredi 6 mars 2019 à 16h15
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes :

Il ne faut pas retenir de mon propos seulement la déception que j'ai exprimée. J'ai essayé de faire un constat objectif de la situation telle que la Cour la perçoit. Dans ma position de contrôleur, j'exprime un point de vue collégial.

Il ne faut pas non plus tout attendre d'un même texte. La LOLF est un outil pertinent, encore faut-il savoir l'utiliser pleinement et correctement. Si vous avez perçu un peu d'affect, c'est peut-être que l'on peut éprouver de la déception à voir que les deux objectifs de la LOLF – mieux équilibrer les pouvoirs budgétaires entre l'exécutif et le législatif ; avoir une action publique la plus efficiente possible –, qui sont fondamentaux, ne sont pas pleinement atteints alors que cette loi permettrait qu'ils le soient.

Tout n'est pas, bien sûr, qu'une question de texte. Les pratiques, les mentalités, les cultures comptent aussi beaucoup et nous voyons bien que la France connaît des rigidités sur un certain nombre de sujets.

S'agissant des pouvoirs budgétaires du Parlement, je crois pouvoir dire en toute honnêteté que presque tout est déjà dans la LOLF. Je relisais avant de venir ses articles 57, 58 et 59 : ils vous donnent des pouvoirs considérables pour peu que vous les utilisiez. Avec Alain Lambert, nous avions pris beaucoup de précautions pour les renforcer. C'est une évolution qui, au départ, n'était pas souhaitée par les gouvernements. Je me souviens de quelques discussions que j'ai eues avec un ancien ministre de l'économie et des finances qui me disait que le renforcement de l'efficacité de l'action publique l'intéressait bien plus que celui des pouvoirs du Parlement. Dans le groupe de travail que Laurent Fabius, alors Président de l'Assemblée nationale, avait mis en place, et dont j'étais le rapporteur, nous avions mis ces deux objectifs sur le même niveau.

Toutes les questions budgétaires supposent un dialogue entre le Parlement et le Gouvernement puisque le budget est proposé par le Gouvernement au Parlement pour qu'il le vote. Il faut faire en sorte que les conditions dans lesquelles ce dialogue se déroule soient équilibrées. D'où l'importance de l'information, de la transparence, de la capacité des commissions parlementaires à expertiser telle ou telle estimation avancée par Bercy. Cette dernière dimension manque d'ailleurs peut-être d'ailleurs à la commission des finances de l'Assemblée.

La LOLF permet donc beaucoup de choses. Après, des questions de calendrier et d'organisation se posent.

Le calendrier est, je l'ai dit, perfectible. Le programme de stabilité fige beaucoup de choses. Le débat d'orientation des finances publiques est souvent un exercice formel mais il pourrait l'être beaucoup moins si le Parlement s'appuyait sur les propositions du Gouvernement, les réactions de la Commission mais aussi sur les enseignements que vous-mêmes avez tirés des travaux d'évaluation de telle ou telle politique publique afin de faire, le cas échéant, des propositions d'ajustement en vue de la prochaine loi de finances. Le Printemps de l'évaluation a, dans cette perspective, toute son importance

La plupart des pays européens procèdent régulièrement à des revues de dépenses. Je pense que c'est un exercice utile, comme la Cour l'a suggéré à maintes reprises. L'analyse des travaux d'évaluation que vous avez menés peut vous conduire à proposer des ajustements nécessaires. Certains objectifs n'ont plus la même pertinence deux ou trois ans après qu'ils ont été fixés, soit qu'ils créent des effets d'aubaine, soit qu'ils ne sont pas atteints.

Ce travail, seul le Parlement peut le faire. Les travaux d'évaluation de la Cour et d'autres institutions ou organismes l'aident, bien sûr, mais il faut voir que beaucoup de travaux parlementaires ne sont pas suffisamment exploités par le Parlement lui-même. Je pense à ceux de la MEC ou du Comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques (CEC). Ce n'est pas simple car cette question touche à l'organisation de vos travaux – je sors un peu ici de mes fonctions actuelles et fais davantage appel à mon expérience. Cela tient à une raison simple : les travaux organisés par la Conférence des présidents le sont souvent sur proposition des groupes politiques et cela ne les intéresse pas toujours de reprendre des études pour partie consensuelles. Il serait intéressant que la commission des finances ou le CEC fassent des propositions pour inscrire à l'ordre du jour des semaines de contrôle des réunions et séances consacrées à vos propres travaux.

Tout cela renvoie à la fois au calendrier, à l'organisation, aux règlements intérieurs mais aussi aux pratiques du Sénat et de l'Assemblée nationale.

La gestion par la performance n'est pas chose facile. Je suis frappé de voir que les pays qui se sont engagés beaucoup plus tôt que nous dans cette voie, comme la Nouvelle-Zélande, l'Australie ou certains pays nordiques, s'interrogent régulièrement sur la pertinence des indicateurs retenus. Il est clair qu'il y a eu au départ un trop grand nombre d'indicateurs et que la part des indicateurs quantitatifs était beaucoup trop importante par rapport à celle des indicateurs qualitatifs. Il s'agit non pas, bien sûr, de réviser les indicateurs en permanence, sinon aucune visibilité ou contrôle ne serait possible, mais de les réinterroger régulièrement.

Il y a sans doute des choses à revoir en matière de maquette. Citons quelques chiffres : trente-sept gestionnaires de programme gèrent 93 % des crédits et les trente-quatre autres gèrent les 7 % restants. Huit des trente et une missions du budget général représentent près de 80 % des crédits de paiement. Nous avons trop de très grosses missions et trop de très petites missions. Il y a sûrement des ajustements à faire en matière de définition des missions et des programmes. Je pense que la Cour sera en mesure de consacrer à ce sujet quelques développements dans son prochain rapport sur l'exécution du budget de l'État au cours de l'année 2019 et des parties plus importantes dans le bilan de la LOLF que nous avons programmé pour 2021. Mais, comme je vous l'ai indiqué, si vous éprouvez le besoin que nous avancions la date de publication de nos travaux sur la LOLF, nous serons prêts à le faire afin de vous être le plus utiles possible. Le président Briet vous le confirmera.

L'articulation entre le budget de l'État et celui de la sécurité sociale est un sujet d'importance. Dans ma vie antérieure de rapporteur général ou de président de la commission des finances, il m'est arrivé de voir des dispositions relatives au budget de l'État votées sur proposition de la commission des finances défaites la semaine suivante sur proposition de la commission des affaires sociales. Cela s'explique : il n'y a pas toujours la coordination nécessaire et souhaitable entre les commissions et leurs logiques peuvent être différentes. D'où l'intérêt de mettre en place une discussion commune portant sur l'ensemble des prélèvements, taxes et recettes. Les citoyens voient dans l'impôt sur le revenu, la contribution sociale généralisée ou la taxe sur la valeur ajoutée avant tout des prélèvements obligatoires.

J'en viens aux opérateurs et aux débudgétisations. Il pourrait peut-être y avoir des développements plus importants au sein de la LOLF sur les relations entre l'État et les opérateurs. La France a en ce domaine des lacunes par rapport à ses voisins européens. Le Royaume-Uni ou les pays du Nord de l'Europe ne distinguent pas dans leurs pratiques budgétaires les opérateurs du reste du budget de l'État. Cela permet d'avoir une vision consolidée d'une politique publique donnée. Actuellement, nous ne disposons pas de tous les éléments pour contrôler les opérateurs et voir s'ils répondent ou non aux objectifs définis par l'État, d'autant qu'ils peuvent s'affranchir de certaines règles – on a d'ailleurs mis longtemps à considérer que les règles applicables au budget de l'État devaient aussi leur être appliquées. La dissociation des opérateurs du reste de la nomenclature budgétaire est susceptible de masquer la réalité des crédits qui sont alloués par l'État à une politique publique. Il en va de même pour les taxes affectées. La multiplication des débudgétisations sous diverses formes n'est pas satisfaisante pour le Parlement car certains éléments lui échappent. C'est la raison pour laquelle nous avons formulé, à travers le Conseil des prélèvements obligatoires (CPO), des propositions visant à renforcer sa capacité de contrôle.

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