Intervention de Dominique Potier

Séance en hémicycle du mercredi 13 mars 2019 à 21h30
Croissance et transformation des entreprises — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDominique Potier :

Vous avez plusieurs fois rendu hommage à la précision de nos amendements : nous la devons à ces bénévoles qui, à partir de leur expérience du monde du travail, ont proposé des solutions correspondant aux idées que nous défendions pour qu'on n'en reste pas au stade des déclarations évanescentes et qu'on passe aux travaux pratiques.

Je voulais leur rendre hommage : c'est ce parcours-là, monsieur le ministre, qui nous permet d'être au rendez-vous d'un diagnostic avec vous. Nous le partageons : oui, le monde a changé sous l'effet de mutations techno-scientifiques. Oui, il y a des inégalités scandaleuses à un point qui n'est plus supportable. Là-dessus on peut être d'accord avec Roland Lescure. J'y ajouterais la crise écologique, qui n'est pas une question de plus mais une question qui sous-tend et surdétermine toutes les autres. Vous ne l'avez pas énoncée mais vous l'aviez forcément en tête.

Le monde a effectivement profondément changé. Je parlais de l'Europe tout à l'heure. Invité à l'Assemblée il y a peu, Enrico Letta, encore, nous rappelait qu'à la fondation de l'Europe, à l'époque de Robert Schuman, les Européens représentaient un Terrien sur cinq. En 2050 nous serons 5 % de l'humanité. C'est un bouleversement radical. Vous rappeliez par ailleurs que la production asiatique sera passée de 15 à 30 % en un demi-siècle. Voilà ce nouveau monde dans lequel nous sommes et personne ne le méconnaît.

Nous sommes dans un monde de mutations techno-scientifiques. La révolution numérique, la révolution robotique, d'autres révolutions scientifiques autour des nanotechnologies nous amènent à penser comme un défi extraordinaire, au-delà du désoeuvrement et du chômage qui laissent des personnes sur le côté aujourd'hui, une société de pleine activité. Je le dis sans concertation avec ma formation politique, le parti socialiste : je pense que la question du partage du travail sera inévitablement posée à nouveau à nos sociétés dans les années qui viennent.

Vous avez évoqué les inégalités. Il serait par trop indigeste de citer ici Le Capital de Piketty mais nous pouvons observer ensemble la déformation dans la répartition de la valeur entre le capital et le travail, notamment depuis trois décennies, sous l'empire de la pensée néolibérale. Nous pourrions évoquer ce que Louis Maurin, directeur de l'Observatoire des inégalités, nous rappelait samedi lors de la réunion du grand débat national qui s'est tenue dans ma circonscription : la création un peu partout d'une société de maîtres et de serviteurs, deux classes sociales dont l'une serait au service de l'autre, dans des poches de précarité que nous n'avons pas à décrire ici.

Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur général, madame la présidente, nous avons eu de vraies controverses, que nous avons traitées avec une certaine civilité, hauteur de vue et précision. Je voudrais vous rendre hommage pour cela. Nos débats ont été de bonne tenue. Le Gouvernement a cherché à chaque fois à répondre à nos questions. Nous avons eu le temps de nous exprimer. Nous voulions vous en remercier, même si cela devrait aller de soi dans cette assemblée.

Nous avons trouvé des accords sur 5 à 10 % des propositions mais pour l'essentiel nous avons eu des controverses que nous avons su assumer et gérer.

La question essentielle sur laquelle je voudrais m'arrêter quelques minutes, c'est peut-être celle des mots, esquissée tout à l'heure par Boris Vallaud. Je le ferai d'une autre façon – chacun son tempérament. Vous évoquez avec une certaine emphase une réinvention du capitalisme. Que diable ! Le séminaire des Bernardins avait des propositions autrement radicales et posait des principes autrement révolutionnaires que ceux que nous avons adoptés.

Vous faites dans certains domaines un petit peu de tout, mais trop peu pour que ça change quelque chose. Pour le reste, ce sont des dérégulations plus idéologiques que pragmatiques. Pour rester dans la mesure et la poésie, je dirais que vous êtes plus dans l'affichage d'un fanion post-capitaliste que dans le changement de direction du navire de notre économie.

Pour réinventer authentiquement le libéralisme et le capitalisme comme vous y prétendez, il me semble qu'il faut à la fois avoir une visée et poser des limites, autrement dit être capable d'assumer trois partages que nous proposerons au travers de nos amendements : le partage du pouvoir, le partage de la valeur ajoutée et le partage du savoir.

Le partage du pouvoir, c'est la co-détermination. Treize pays européens l'ont déjà mise en oeuvre. On pourrait chicaner sur les modalités, les statuts etc. mais treize pays européens affrontent les mutations du monde avec la co-détermination. C'était le moment ou jamais de les suivre. Nous l'avions esquissée au cours du mandat précédent, nous aurions pu l'affirmer aujourd'hui. Si nous ne sommes pas dans les « plus de 1 000 » à 50 % d'administrateurs salariés, avec des strates, une progressivité, toutes les options possibles, nous ne sommes pas dans la co-détermination. Or, l'affirmation de la démocratie dans l'entreprise, la participation des salariés telle que les syndicats réformistes la demandaient : c'était cela la vraie révolution, la matrice de tous les autres changements que nous vous proposions et que nous étions prêts à vivre. Nous en avons introduit là encore une dose mais qui n'est pas significative.

Nous reviendrons sur le partage de la valeur ajoutée. Entre la limitation des dividendes, les écarts de rémunération tels que nous les proposons ou le reporting international, qui assurerait une vraie transparence de la fiscalité des multinationales, nous avons échoué à repenser le partage de la valeur, y compris dans la formule de la participation, qui était pourtant à notre portée sur le plan législatif.

Je voudrais terminer sur la question du troisième partage, fondamental pour transformer nos sociétés et notre économie : celui du savoir. Nous sommes passés à côté de l'essentiel, notamment au travers de la publicité, de la privatisation des normes par les entreprises, et y compris du reporting extra-financier, qui a été dévié dans des formes de RSE qui ne sont plus lisibles, qui sont confuses, qui sont avant tout de la propagande. Être une démocratie, être une puissance publique capable de piloter le changement dans le XXIe siècle, c'est créer des normes publiques, redire que ce qui est bon pour l'entreprise, ce qui est bon pour l'homme relève du Parlement, de la puissance publique, et ne relève pas de la puissance privée.

Nous pourrions réorienter notre économie en mettant notre énergie dans cette capacité de la puissance publique à fixer des normes de RSE. Je pense que ce serait une véritable révolution. C'est une visée philosophique, profondément libérale dans le sens où elle crée une capacité nouvelle des citoyens à discerner parmi les entreprises celles qui sont dans le rouge, celles qui sont en orange, donc en progression, et celles qui ont acquis un statut d'entreprise verte parce qu'elles ont respecté les droits humains, l'égalité entre les hommes et les femmes, parce qu'elles vont faire au-delà de la loi des efforts pour l'environnement – non pas le dire mais le faire réellement, avec une mesure qui a fait ses preuves dans d'autres domaines, dans l'agro-alimentaire et dans d'autres certifications. Ce serait une petite révolution, qui donnerait à notre société la capacité de transformer l'économie. Cela ne coûte rien, ou presque, en tout cas moins que les labels privés qui créent de la confusion pour les producteurs et pour les consommateurs.

Si nous sommes vraiment libéraux, si nous sommes vraiment démocrates, si nous sommes vraiment socialistes – je le suis – dans le sens de la recherche de la justice, alors nous devons construire ces normes publiques qui permettent à la société de reprendre la main sur l'économie. Nous croyons profondément en une puissance publique régulatrice, capable de donner une visée et de fixer des limites, à même d'humaniser l'économie, de porter ce plaidoyer en France et en Europe et d'en faire une boussole dans une mondialisation ressentie par les peuples comme sans foi ni loi.

Voilà la visée qui était la nôtre. Nous sommes loin du compte. Nous sommes peut-être sur un même chemin, dans un processus qui peut paraître équivalent, mais le compte n'y est décidément pas. Nous avons encore une chance dans ces trois jours qui nous rassemblent.

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