Intervention de Gaël Le Bohec

Réunion du lundi 11 mars 2019 à 17h10
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGaël Le Bohec, rapporteur pour avis :

La commission des Affaires culturelles et de l'Éducation s'est saisie pour avis des articles 1er et 2 du projet de loi relatif à l'organisation et à la transformation du système de santé, qui concernent très directement son champ de compétences et, en particulier, l'enseignement supérieur.

Je ferai un bref rappel de ce que sont les études de santé et de médecine aujourd'hui : une première année commune aux études de santé (PACES) regroupe les quatre filières que sont la médecine, l'odontologie, la pharmacie et la maïeutique, et débouche sur un concours qui permet à un peu plus de 20 % des étudiants inscrits de poursuivre des études dans l'une de ces filières.

Ce concours est assez difficile, puisqu'il faut, dans deux tiers des cas, redoubler pour l'obtenir. Si vous échouez, une réorientation souvent brutale est nécessaire ; si vous réussissez, il vous faudra néanmoins, dans la filière médecine, passer un second examen, dit « épreuves classantes nationales » (ECN), à l'issue des six premières années sanctionnées par un diplôme de niveau master.

Le classement à ce second concours détermine le lieu et la spécialité de l'internat qu'effectuera l'étudiant : il occupe donc aujourd'hui une place primordiale dans le cursus et joue un rôle déterminant dans l'orientation professionnelle.

Ces deux concours visent à classer et à hiérarchiser, plus qu'à valider les compétences adéquates et à motiver les étudiants à devenir médecins. Non seulement ces épreuves couperets ne contribuent pas au bien-être des étudiants, mais les volumes de professionnels de santé formés chaque année dans nos universités le sont au prix d'un enseignement largement déshumanisé – les étudiants en PACES n'ont pas de travaux dirigés et peuvent, si l'on pousse jusqu'à la caricature, faire l'intégralité de leur cursus à distance, derrière un ordinateur – et entièrement tourné vers l'accumulation de connaissances dont on peut se demander si elles sont toutes indispensables à ce stade des études.

Pa ailleurs, le système conduit à l'éviction d'excellents bacheliers. Ainsi, ils ne sont pas moins de 70 % d'entre eux à perdre deux années sur les bancs des facultés de médecine, pour finalement reprendre, en première année, des études dans une autre filière qui n'a rien à voir avec la médecine.

Il est enfin profondément inégalitaire et contribue à rehausser les barrières psychologiques qui empêchent certains étudiants, pourtant talentueux mais issus de milieux défavorisés ou en situation de handicap, de se rêver médecins. Toutes les familles n'ont en effet pas les moyens de soutenir leurs enfants dans les études de médecine, qui se révèlent une impasse pour un grand nombre d'étudiants, notamment à l'issue de la deuxième année.

Ces critiques sont connues, et le législateur a d'ores et déjà contribué à y remédier en créant plusieurs types d'expérimentations : le Pluripass, l'AlterPACES, la PACES adaptée, autant de dispositifs dont l'idée est de passer d'un système à entrée et sortie uniques à un système beaucoup plus ouvert, à entrées et sorties multiples. Il s'agissait, au travers de ces expérimentations, d'accueillir des étudiants d'horizons variés et de leur permettre également de se tourner vers d'autres horizons en cas d'échec.

Les dispositions de l'article 1er du projet de loi tirent les conclusions de ces expérimentations pour transformer un dispositif de sélection par l'échec en un dispositif d'orientation et de réussite. Ainsi plusieurs voies d'accès sont-elles prévues pour les études de santé ; plusieurs voies de sortie aussi, en cas d'échec. Le redoublement est supprimé, mais tous les étudiants conserveront deux chances d'accéder aux études de santé, tout en progressant dans leur cursus universitaire, sans perte des années acquises.

Tous les acteurs que nous avons rencontrés sont très favorables à ce principe et à cette réforme particulièrement ambitieuse, notamment parce qu'elle a un caractère systémique : ce ne sont pas simplement les études de santé qui sont touchées, mais bien l'ensemble des licences proposées par les universités.

Certaines facultés pourront très facilement mettre en oeuvre cette réforme, notamment lorsqu'elles ont déjà embrassé les expérimentations ; d'autres auront plus de difficultés, en particulier lorsque leur filière santé pèse beaucoup plus que les autres licences. C'est la raison pour laquelle le texte proposé par le Gouvernement est très souple : la mise en oeuvre de la réforme nécessitera de faire du sur-mesure et de s'adapter à chaque université.

Pour aller dans ce sens, je proposerai un amendement ayant pour objet de donner aux universités l'initiative de la diversification des voies d'accès à la deuxième et à la troisième année du cycle de formation en médecine, en pharmacie, en odontologie et en maïeutique. Cet amendement propose que soient fixés par décret les objectifs de cette diversification.

Les ambitions sont en tout cas partout les mêmes : diversifier les voies d'accès aux études de santé pour recruter des profils qui correspondent à ce que l'on attendra demain de ces professionnels ; éviter le gâchis humain en permettant aux étudiants de mieux anticiper l'avenir.

Loin de rétrécir l'horizon des étudiants, la réforme entend l'élargir en leur permettant, par exemple, de poursuivre une majeure en sciences sociales et une mineure en santé, le temps qu'ils développent leurs compétences et optent, le cas échéant, pour un cycle à dominante santé. Il s'agit également de favoriser les passerelles et d'organiser une spécialisation progressive des étudiants afin d'encourager le dialogue entre les étudiants des différentes filières, qui se côtoieront durant leurs études mais surtout tout au long de leurs carrières. La construction de ces liens entre les différents professionnels de santé ne peut être que profitable à tous.

Au-delà, cette réforme poursuit un objectif qui n'est pas inscrit en tant que tel le projet de loi mais qui sera rendu nécessaire par les annonces faites par le Président de la République et le Gouvernement concernant l'augmentation du nombre de médecins formés. Les capacités d'accueil des centres hospitaliers universitaires (CHU) étant limitées, il faudra bien trouver de nouveaux terrains de stages pour nos internes : en centre hospitalier, en maison de santé, en ambulatoire, ou encore en zone rurale.

Je vois là un formidable moyen de remédier à la désertification car, lorsqu'on permet aux étudiants de découvrir d'autres réalités que celles des CHU et de se projeter dans d'autres pratiques et dans d'autres lieux, il y a tout lieu de penser que des vocations peuvent naître pour ces autres façons d'exercer la médecine. Dans cette perspective, il m'est d'ailleurs apparu nécessaire de déposer un amendement à l'article 1er pour réaffirmer que la problématique de la répartition optimale des futurs professionnels devait être prise en compte dès leur formation.

Cette réforme est donc particulièrement structurante, pour l'université comme pour le système de santé. Même si tous les acteurs – présidents d'université, doyens de santé, étudiants – y sont favorables, sa réussite est conditionnée à un certain nombre de facteurs.

En premier lieu, la réforme doit être comprise par les principaux intéressés : on passe en effet d'un système très simple à un dispositif pluriel, plus difficile à appréhender, comme le montrent les schémas que j'ai inclus dans mon rapport. Il faudra donc que l'information soit correctement diffusée au sein des lycées, et que les responsables de l'orientation comprennent bien toutes les subtilités du nouveau système.

En second lieu, elle doit être pleinement acceptée par la communauté universitaire, certaines licences pouvant craindre de perdre leurs meilleurs éléments au profit des études de santé ou éprouver des difficultés matérielles à accueillir plus d'étudiants. Pour que tous jouent le jeu, il me semble souhaitable que le dispositif législatif soit un peu plus contraignant, notamment par la fixation d'objectifs, quantitatifs et qualitatifs, de diversification des voies d'accès.

Enfin, la réussite de la réforme passe par une rénovation de la pédagogie, notamment en première année. Si l'on veut améliorer le bien-être étudiant et faire de cette année une année non pas de sélection mais d'apprentissage, il faudra profondément réformer les modalités actuelles d'enseignement, ce qui nécessitera, dans la plupart des cas, des moyens humains et financiers supplémentaires. Il sera nécessaire, comme je l'ai dit précédemment, de s'assurer de la création de mineures santé sur l'ensemble du territoire, et pas uniquement associées à des majeures scientifiques mais, par exemple, à des majeures comme les sciences économiques, le droit ou le sport. Je suis assez confiant, car les volontés sont là.

Je suis encore plus confiant concernant les dispositions proposées par l'article 2, qui ne concernent cette fois que les études de médecine et qui recueillent, là encore, l'assentiment de tous. Ces dispositions suppriment les ECN, qui permettent à tous ceux qui les passent d'être classés et d'avoir un poste d'internat, à partir de l'évaluation, non de leurs compétences, mais d'une somme de connaissances.

Le nouveau système proposé s'articule autour de trois axes : l'obtention d'une note minimale ouvrant les portes de l'internat ; de nouvelles épreuves évaluant les compétences, par exemple, par le biais de simulations ou de travaux pratiques ; la prise en compte du parcours de l'étudiant et de son projet professionnel pour son affectation dans une spécialité et un territoire donnés, ce qui doit permettre une orientation progressive et personnalisée de l'interne vers la spécialité qui lui convient le mieux.

Sur ce point, j'ai estimé qu'il était important que le parcours des étudiants en médecine puisse s'effectuer partout sur le territoire : j'ai donc déposé un amendement pour que les internes réalisent au cours de leur troisième cycle une formation pratique dans des zones sous-denses.

Parce que le projet de loi ouvre de nouvelles perspectives pour les étudiants en médecine, il m'a également semblé nécessaire de garantir que les études de médecine, qui sont paradoxalement aujourd'hui parmi les plus discriminantes sur la question du handicap, soient accessibles à tous les étudiants, y compris aux étudiants en situation de handicap. J'ai donc déposé un amendement en ce sens.

C'est en définitive une évolution fondamentale des études de santé qui est proposée par le Gouvernement ; elle aura des répercussions importantes sur l'efficacité du système universitaire, comme sur le système de santé.

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