Intervention de Didier Guillaume

Réunion du mardi 19 mars 2019 à 16h15
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Didier Guillaume, ministre de l'agriculture et de l'alimentation :

Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie pour votre accueil. J'ai l'habitude de me rendre devant la commission des affaires économiques, mais c'est la première fois que je suis invité par votre commission et cela me paraît très important, car cela me permet non seulement de m'exprimer, mais aussi de sortir des clichés habituels. On entend souvent dire que les différents ministères ne seraient pas sur la même longueur d'ondes, qu'il y aurait des oppositions entre le ministère de l'agriculture et de l'alimentation et le ministère de la transition écologique et solidaire – parfois même avec celui de la santé. Une seule chose est importante : c'est la politique globale du Gouvernement, une politique parfaitement cohérente sur les quelques dossiers emblématiques que je vais évoquer.

Le premier est celui de la sortie du glyphosate, sur lequel il n'y a aucune opposition entre les différents acteurs de l'exécutif. Le Président de la République a annoncé que la France sortirait du glyphosate en 2021, mais que nous ne laisserions personne ni aucune filière au bord du chemin – c'est le concept « libérer et protéger ». Au-delà de la sortie du glyphosate, nous avons un autre objectif, aussi essentiel à mes yeux, consistant à sortir de la dépendance aux produits phytosanitaires. C'est peut-être même plus important que le symbole que constitue la sortie du glyphosate : car si celle-ci ne fait pas l'ombre d'un doute, se libérer de la dépendance aux produits phytosanitaires exigera un travail bien plus approfondi. Pour cela, je me réfère à une orientation politique qui est pour moi l'alpha et l'oméga de l'orientation politique de mon ministère : la transition agro-écologique. Je parle bien de transition agro-écologique, et non simplement de transition écologique, car cette seconde expression est très réductrice par rapport à la première qui associe la transition agronomique et la transition écologique – ce qui est indispensable si nous ne voulons pas rester en deçà de nos objectifs. J'ai d'ailleurs été auditionné par le groupe d'études sur la santé environnementale, dont l'un des membres de votre commission, M. Jean-Luc Fugit, est coprésident.

Deuxième dossier, celui de l'alimentation et la santé. Nous sommes pour une alimentation saine, sûre et durable, une orientation que nous devons revendiquer en même temps que le fait que la France est, en Europe, le pays où l'on trouve l'alimentation la plus sûre, la plus saine et la plus durable – et ce critère de la durabilité n'est pas le moins important. En dépit des critiques qu'on entend parfois à ce sujet, les agriculteurs français produisent une alimentation de grande qualité que le monde entier nous envie. Cette alimentation doit être sûre et tracée – et c'est le cas, comme nous en avons encore eu la preuve le mois dernier, lorsque 800 kg de viande polonaise entrés frauduleusement en France ont été intégralement retrouvés en moins de trois jours. Je n'y suis pour rien à titre personnel, mais c'est une grande fierté pour notre ministère et les services sanitaires de notre pays de montrer que nous sommes à même de garantir la traçabilité parfaite des produits alimentaires, donc la sécurité pour nos concitoyens. Et pour ce qui est de la durabilité de l'alimentation, la transition agro-écologique doit nous permettre une grande amélioration.

Vous m'avez demandé, madame la présidente, où nous en étions de la loi « Égalim ». Plusieurs ordonnances ont déjà été publiées, notamment dans le cadre du titre premier, sur le seuil de revente à perte et l'interdiction de céder à des prix abusivement bas. Nous avons l'intention d'aller beaucoup plus loin dans les jours qui viennent, qu'il s'agisse de la séparation de la vente et du conseil des produits phytopharmaceutiques – point sur lequel nous ne reculerons pas –, mais aussi des certificats d'économie de produits phytopharmaceutiques ou encore de la gouvernance des coopératives : bref, nous avançons, sinon à marche forcée, du moins le plus vite possible.

Le troisième dossier, sur lequel, loin de nous opposer, nous agissons en parfait accord avec le ministère de la transition écologique et solidaire, c'est celui du développement des énergies renouvelables, de la méthanisation et des biocarburants. Dans ce domaine, j'estime que le projet de programmation pluriannuelle de l'énergie proposé fin 2018 n'est pas allé assez loin et je vais continuer à me bagarrer pour faire mieux : non seulement la méthanisation procure un revenu supplémentaire à nos agriculteurs, mais c'est aussi une nouvelle façon d'appréhender les ressources en énergie. Nous devons également aller plus loin en matière de biocarburants, et nous travaillons beaucoup avec le ministre d'État pour avancer sur ce point.

La nécessaire transition agro-écologique de notre agriculture fait partie de quatre transitions qui doivent s'effectuer simultanément. La première est la transition économique, abordée dans le cadre de la loi « Égalim ». La deuxième est la transition sociale, car les pratiques actuelles de nos agriculteurs, très différentes de celles d'hier, doivent encore évoluer – de même, il reste des progrès à accomplir en ce qui concerne le statut des exploitantes agricoles. Enfin, nous devons réaliser deux transitions essentielles, la transition agro-écologique dont j'ai déjà parlé et la transition sanitaire.

Mais surtout, mon ministère doit pousser à la réconciliation de deux mondes malheureusement beaucoup trop éloignés aujourd'hui, à savoir le monde rural et le monde urbain, autrement dit entre les paysans de nos campagnes et les habitants des métropoles. Cette réconciliation est indispensable si nous voulons faire changer les choses. Il est absolument inacceptable de voir, comme cela a parfois été le cas, des riverains entrer sur un champ pour faire descendre un agriculteur de son tracteur. Je le dis ici avec force : les agriculteurs ne sont pas des pollueurs ni des empoisonneurs, mais des professionnels à qui on a demandé au siècle dernier de nourrir l'Europe entière, en les poussant à s'équiper des plus gros tracteurs possibles et à s'endetter pour produire, produire, et produire encore. Aujourd'hui, on leur demande l'inverse, c'est-à-dire de passer de la quantité à la qualité ; et ils le font, et à marche forcée, car on leur laisse très peu de temps pour ça – aucune autre filière économique dans notre pays n'a autant muté dans ses pratiques en si peu de temps. La transition agro-écologique doit leur permettre de le faire dans de meilleures conditions, mais elle passe elle-même par la réconciliation entre l'urbain et le rural, faute de quoi jamais nous ne parviendrons à garantir une alimentation saine, sûre et durable. Non à la stigmatisation de la ruralité, non à l'opposition, oui à la compréhension : c'est pour cela que je me bats tous les jours, car les campagnes sont aussi la force, la chance et l'avenir de notre pays.

Pour ce qui est de la politique agricole commune enfin, je n'irai pas jusqu'à dire, comme vous, qu'elle est « à bout de souffle », car ce n'est pas le cas : les 9,7 milliards d'euros négociés par le Président de la République M. François Hollande et par le ministre de l'agriculture M. Stéphane Le Foll ont tout de même permis à de nombreux agriculteurs de garder la tête hors de l'eau.

Je tiens énormément au premier pilier de la PAC et aux aides directes, et je les défendrai farouchement. Si, comme vous sans doute, je fais partie de ceux qui disent que les agriculteurs ne doivent pas et ne veulent pas vivre de subventions, mais de leurs revenus, force est de reconnaître que ce n'est pas le cas aujourd'hui pour la plupart d'entre eux et que les subventions européennes leur sont donc encore indispensables. Sur ce point, la position de la France est très claire : nous souhaitons que le premier pilier comprenne obligatoirement un « eco-scheme » au niveau européen, et que celui-ci soit suffisamment fort pour permettre à la transition agro-écologique – ce que vous appelez le verdissement – de voir le jour, notamment au moyen d'aides allouées aux entreprises en fonction des efforts qu'elles fournissent dans le cadre de la transition agro-écologique.

Pour ce qui est du deuxième pilier, nous devons continuer à soutenir les petites exploitations, les exploitations familiales, les exploitations de montagne et les exploitations en difficulté, et maintenir les indemnités compensatoires de handicaps naturels (ICHN), les mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC), le soutien au marché et les mesures de compensation face aux aléas climatiques et environnementaux – qui auront malheureusement des conséquences de plus en plus lourdes dans les années à venir.

Enfin, en matière de bien-être animal, pour la première fois, le cabinet du ministre de l'agriculture et de l'alimentation comporte une conseillère chargée du bien-être animal et de la lutte contre la maltraitance animale : il s'agit en l'occurrence de Mme Anne Bronner, docteur vétérinaire, présente aujourd'hui à mes côtés. Cette innovation – c'est la première fois qu'un tel poste est créé – montre la volonté du Gouvernement d'avancer sur ce point, même si nous avions déjà commencé à travailler avec certains parlementaires, notamment le député M. Loïc Dombreval, particulièrement engagé dans ce domaine. Nous devrions être en mesure de présenter de premières avancées en matière de bien-être animal dans le courant de l'année qui vient – il est un peu tôt pour en parler, mais nous le ferons au cours des semaines qui viennent.

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