Intervention de Yannick Moreau

Réunion du jeudi 7 mars 2019 à 9h00
Commission des affaires sociales

Yannick Moreau, présidente du Comité de suivi des retraites (CSR) :

Ayant une contrainte horaire à 10 heures 45, je serai alors remplacée par M. Didier Blanchet, éminent spécialiste de ces sujets à l'INSEE, où il travaille, construit l'agrégat « dépenses publiques » qui nous pose quelques problèmes.

Si nous disons que les Français bénéficient d'une retraite plus intéressante que les habitants des pays voisins, c'est en partie parce que l'on ne prend pas en compte les mêmes critères. C'est tout le problème des comparaisons internationales que l'on réalise, depuis des années, pour les dépenses publiques. Il serait bon de comparer les mêmes agrégats. Dans les pays étrangers, les accords ont tout autant force contraignante que la loi, mais dans la mesure où ils sont décidés par les entreprises et non par le législateur, les retraites n'entrent pas dans le même agrégat comptable que les retraites françaises. Cette question purement comptable explique la moitié de l'écart entre retraites en France et à l'étranger. L'autre moitié de cet écart, en revanche, n'est pas factice mais repose bien sur une différence économique réelle.

Pourquoi deux organismes, le Comité d'orientation des retraites et le Comité de suivi des retraites ? Je tiens d'autant plus à soulever cette question que j'ai présidé le COR à sa création et que je n'aurais jamais imaginé que soit créé un organisme à côté du COR. Je trouvais que le Comité d'orientation des retraites représentait un progrès formidable.

L'histoire est allée très vite, le renversement historique a été très rapide. En 1945, des régimes de retraite solides ont été créés. Auparavant, il existait les régimes de retraite des fonctionnaires et les régimes spéciaux, mais, pour l'immense majorité de la population, le système de retraite était branlant et le montant des retraites très faible.

En 1960, lorsque l'on a demandé à Pierre Laroque de mettre en place un système de protection sociale global comprenant la retraite, on s'est aperçu que les retraites étaient très basses. Pierre Laroque a constaté la nécessité de les augmenter et d'instaurer un régime par points. Il a ajouté la nécessité pour les entreprises de se moderniser et de faire travailler les retraités plus longtemps. Son discours n'a intéressé personne et n'a reçu aucun écho, ni de la part des entreprises, et certainement pas des intéressés qui partaient à la retraite à 65 ans ! Pierre Laroque était président de la section sociale du Conseil d'État. Il voulait que l'on travaillât plus longtemps, mais son point de vue était très futuriste. En revanche, il a été écouté lorsqu'il a préconisé d'injecter de l'argent dans le système parce qu'il y avait trop de retraités pauvres. C'est donc ce qui a été fait à la suite du vote de la loi Boulin. Une collègue qui travaillait avec Robert Boulin disait : « On a fait une réforme généreuse. J'espère que l'on n'est pas allé trop loin. » À l'époque, on n'établissait pas de projections.

Si les régimes complémentaires existaient déjà à l'époque, ils étaient facultatifs. Ils sont alors devenus obligatoires, à hauteur de 2 % appliqués à tous dans un premier temps, puis à hauteur de 4 %. Nous avons aujourd'hui l'image de régimes complémentaires qui rabotent, mais à l'époque ils ont fortement augmenté le montant des retraites. D'ailleurs, pendant un temps, ils ont fait les deux à la fois : un peu raboté, un peu augmenté.

La machine des retraites fut donc alimentée, mais sans projections. Lorsque le Commissariat général du Plan a présenté le rapport Vieillir demain en 1970, nous n'étions pas encore en mesure de faire des projections. Nous avons commencé à en établir à partir de 1980. À ce moment-là, deux événements se sont produits. Jusqu'à la fin des années 1970, on considérait qu'il y avait un aléa démographique lié à la natalité. On craignait une baisse de la fécondité. Par ailleurs, on savait qu'il y aurait un « papy-boom », nombre de rapports alertaient sur le sujet, mais on considérait que la mortalité ne variait pas. Pendant longtemps, l'INSEE a déclaré que ce facteur restait stable. Il a ensuite constaté qu'il évoluait et, depuis trente ans, il observe que le phénomène va s'accélérant. Peut-être un jour ralentira-t-il, mais, selon les dernières projections qui ont donné lieu au rapport du COR de 2017 puis du Comité de suivi, l'espérance de vie continue de progresser. Dans la mesure où l'INSEE ne se trompe pas depuis trente ans, nous ne pouvons que suivre son avis. L'Institut est celui qui détient le plus de données, même s'il n'est pas infaillible.

À partir des années 1980, l'âge de la retraite a été abaissé, mais, dès les années 1980, le principe de l'indexation sur les prix a été mis en place. Année après année, le contexte est celui d'une désinflation compétitive. La réponse par l'indexation sur les prix, qui n'était pas affichée dans les années 1980, a été officialisée en 1993, l'année où l'alimentation de la machine a diminué. La situation était sensible : grands changements, moins d'argent dans la machine, ce qui a engendré d'autres changements très rapides. Le Livre blanc sur les retraites commandé par Michel Rocard a essayé d'apporter de la clarté aux Français, mais l'acte est resté isolé. En 1995, suite à une phrase malheureuse de M. Juppé, alors Premier ministre, sur la baisse des régimes spéciaux de retraite, la machine se bloque. Une phrase sans explication, c'est le pire de tout ! Personne ne voulait plus entendre parler de réforme des retraites.

Faire repartir la machine a été compliqué. Le rapport Charpin a été discuté, les syndicats ne trouvaient pas d'accord sur les chiffres, et la situation a conduit à la création du COR que j'ai présidé les premières années. Sa crédibilité était donnée pour zéro. En réalité, il a été une machine à expliquer qui nous a fait beaucoup travailler, Pierre-Louis Bras et moi-même, pendant quelques années. Une machine qui produit de l'information et dont les chiffres ne sont pas contestés. Éviter des discussions de trente-sixième ordre, faute d'être d'accord sur les chiffres pour des raisons artificielles, est un bien précieux. Pour autant, cela ne suffit pas pour mettre en oeuvre des réformes des retraites dans des conditions apaisées. Une réforme des retraites n'est jamais un long fleuve tranquille !

En 2003, le Gouvernement a entrepris une réforme compliquée. Après la baisse de l'âge de la retraite, à une époque où il y avait beaucoup de préretraites, dans un contexte de chômage élevé, et alors que la gauche avait fait une promesse, quasiment inscrite dans le marbre, il a été annoncé qu'il était nécessaire de travailler plus, ce qui était contraire au souhait des Français, qui pensaient qu'ils pourraient ne plus travailler une fois devenus vieux. Quant aux entreprises, elles mettaient de toute façon les salariés à la retraite. La réforme de 2003 a été très difficile, car elle a marqué une évolution de tendance.

En 1990, on a refroidi la machine par le changement de l'indexation et, en 2003, on a annoncé le rapprochement des régimes. C'était un choc d'ego pour les fonctionnaires : auparavant, tout le monde voulait se rapprocher de leur régime ; désormais, c'étaient à eux de se rapprocher des autres régimes. Et ils se sont cabrés, même si leurs leaders syndicaux étaient très conscients que les options retenues auraient pu être pires.

Le régime des fonctionnaires et le régime général ont été rapprochés substantiellement, mais d'autres réformes ont été nécessaires pour parachever le dispositif. La loi de 2003 affichait la nécessité de réformes tous les cinq ans. Mais la vie politique est compliquée, on ne peut ordonner à un Président de la République de lancer une réforme à date fixe. C'est ainsi qu'à la législature suivante, on a constaté que le Président de la République n'engagerait de réforme extrêmement politique que s'il décidait qu'elle était mûre. Or, sur ce point, l'article de la loi n'était pas réaliste.

Les réformes ont été mises en oeuvre et se poursuivent. Il ne faut pas oublier les réformes très importantes qui ont été engagées. La réforme de 2008 a fait descendre les Français dans la rue. Le changement était notable : les régimes spéciaux sont rentrés dans le rang, si je puis dire, et cela s'est payé cher car les contreparties étaient énormes. Mais l'on a payé une fois pour toutes les réformes suivantes.

En 2010, l'âge de la retraite a été rehaussé pour tout le monde, y compris pour les bénéficiaires des régimes spéciaux. Rien n'était encore pareil, mais le rapprochement était en marche. D'ailleurs, en 2010, des règles de rapprochement supplémentaires ont été imposées. Pourtant, ce rapprochement qui intervient n'est pas perçu par les Français.

En 2014, en raison de la crise, on a été de nouveau obligé d'alimenter la machine à hauteur de huit milliards d'euros. Huit milliards d'euros ne représentent pas une grosse réforme, mais elle a fait descendre les gens dans la rue. La loi de 2014 a pris acte du fait que l'on ne savait jamais quand intervenait une réforme. Aussi a-t-on estimé qu'il fallait, non pas un pilotage, car le terme froissait alors les syndicats, mais un suivi. En tout cas, c'est le terme que le président Hollande a préféré utiliser. Dans la réalité, il s'agissait d'un pilotage. Personnellement, moi qui n'aurais jamais cru que l'on créerait une structure à côté du Conseil d'orientation des retraites, j'ai recommandé un suivi annuel en élaborant le rapport précédant la loi de 2014.

Pierre-Louis Bras a insisté sur le fait que le COR émettait des avis et qu'il ne voulait pas s'engager. Dès lors, qui doit monter au front ? Les politiques n'ont pas envie d'entendre parler des retraites tous les ans et, en général, lorsqu'un ministre engage une réforme, il ne veut plus entendre parler des retraites. Pourtant, il faut en parler tous les ans. La solution c'est que des personnes, nommées par le Gouvernement en raison de leurs compétences dans le domaine économique ou social s'engagent en leur nom. Si vous voulez critiquer les nominations, vous vous adressez au Gouvernement. Je vous renvoie la balle !

C'est ainsi que le Comité de suivi des retraites compte cinq experts qui se prononcent en leur âme et conscience, à partir des données du COR car si les experts se prononçaient en se fondant sur d'autres données, le Comité n'aurait aucune crédibilité. Le COR garde tout son rôle. Il l'a compris, si bien que le COR et le CSR sont heureusement très amis. Pierre-Louis Bras m'invite à une séance tous les ans.

La première année, les syndicats n'étaient pas vraiment satisfaits ; ensuite, ils ont considéré que nous nous étions améliorés. Je dirais pour ma part que nous nous sommes familiarisés. Aujourd'hui, ils ont admis une forme de pilotage, mais qui ne nous satisfait pas nous-mêmes dans la mesure où l'on peut difficilement piloter des régimes qui regroupent trois unités de compte différentes : les points des régimes complémentaire ; les annuités du régime général ; le dispositif de la fonction publique, enfin, où sont pris en compte les salaires moins les primes, c'est-à-dire l'indicateur le plus tordu qui soit, mais à ce point traditionnel que l'on ne peut faire bouger la direction du budget. Si une autorité politique ne l'impose pas, la réforme ne se fait pas.

Le Comité de suivi des retraites a donc été créé en 2014 pour donner un avis annuel. Dans la mesure où il se fonde sur les chiffres du COR, vous trouverez peu de différence entre mon propos et celui de M. Bras.

Notre rôle est très balisé par la loi, qui nous demande de vérifier le respect des trois objectifs de bon sens posés par la loi : les régimes sont-ils à l'équilibre, ou doit-on intervenir rapidement ? Si tel est le cas, nous devons formuler une recommandation dotée d'un sens juridique : soit le Gouvernement respecte la recommandation, soit il s'en explique. Émettre une recommandation revêt donc une portée non négligeable. Nous le faisons dans trois cas : dans l'hypothèse d'un déficit ; lorsque le niveau des retraites ne correspond pas à ce que prévoient la loi de 2014 et son décret d'application ; ou encore en raison d'iniquités entre hommes et femmes, entre régimes, etc.

M. Bras a procédé à des comparaisons internationales. Le CSR, pour sa part, n'en établit pas. Il répond aux obligations de la loi, et produit un rapport tout en l'assortissant de quelques commentaires – ce dont il ne se prive pas, sans quoi cela n'aurait aucun sens.

Nous produisons notre cinquième rapport. Notre mandat arrivant prochainement à échéance, de nouveaux membres du Comité de suivi seront nommés. Nous sommes en sursis. Le Gouvernement est libre. Nous ne sommes pas mariés aux retraites indéfiniment. Ce n'est d'ailleurs pas notre souhait !

Je n'évoquerai pas longuement les trois premiers avis, car nous étions alors à l'équilibre. L'équilibre financier est ce qui intéresse le plus, car un déficit fait les gros titres des journaux. Les trois premières années, donc, nous étions à l'équilibre. Les régimes complémentaires ont procédé à leur propre réforme, sans quoi nous aurions connu un grave déséquilibre.

Les textes ne prévoient pas que le CSR adresse directement des recommandations aux partenaires sociaux. Ce serait très mal vu. Mais nous pouvons utiliser le rapport pour les prévenir. Ils ne se sont même pas vexés – cela pour vous dire à quel point le dialogue est ouvert ! Prévenir de ce que l'on fait est important pour que les partenaires sociaux aient le sentiment d'être respectés. Tout va bien. C'est d'ailleurs ce qui ressortait du dernier rapport du COR et de l'avis du Comité de suivi juste avant l'élection présidentielle. Au moment de l'élection, de nouvelles projections quinquennales ont été publiées par l'Insee.

Le nouveau rapport quinquennal fait état de l'augmentation de l'espérance de vie et d'une légère baisse de la natalité. Par ailleurs, le solde migratoire qui était un peu élevé baisse dans la mesure où beaucoup de Français partent à l'étranger. Le solde migratoire varie souvent et est fragile.

En trente ans, l'INSEE ne s'est pas trompé sur l'évolution de la mortalité. Le CSR est donc obligé de relever un déficit. M. Bras évoque le montant des dépenses, le CSR étudie pour sa part le déficit. Nos sensibilités sont un peu différentes car, depuis que nous entreprenons des réformes, même si ce n'est peut-être pas, conceptuellement, le meilleur système, les deux regards sont intéressants. En raison du déficit des régimes de retraite, des réformes ont été engagées. La future réforme ne se fera pas principalement à ce titre car le niveau du déficit a considérablement baissé. À niveau économique constant, il a été au moins diminué par sept. Selon les années, soit de petits déficits réapparaissent, soit le système est à l'équilibre. Là où les différents régimes enregistraient un fort déficit ou un gros montant de dépenses, nous relevons aujourd'hui de petits déficits. On devrait d'ailleurs inventer un indicateur d'intensité du déficit. Si, dans les années 1990, nous étions à l'intensité « magnum 7 » nous sommes aujourd'hui, au maximum, à « magnum 1 ». Pour autant, cela représente des sommes d'argent importantes. Dans la mesure où nous sommes chargés de tirer la sonnette d'alarme dès que les indicateurs sont au rouge, nous avons relevé un déséquilibre en 2017.

Le Gouvernement a reçu la recommandation. S'il doit agir et ne le fait pas, il devra en expliquer les raisons. Le Premier ministre a été très poli. La ministre nous a envoyé une lettre expliquant que l'on verrait cela au moment de la réforme. L'année suivante, il n'y avait encore rien de très sensible. Nous avons néanmoins réitéré la recommandation.

Du point de vue de la soutenabilité financière, nous sommes confrontés à un léger déficit. Le plus important est de relever que le système actuel ne régule pas les changements économiques et démographiques. Toutes les économies ont été faites en recourant à une décote par l'indexation sur les prix, mais elle produit des effets différents selon le niveau de la croissance. Un contexte de croissance forte permet des économies non négligeables : autrement dit, tout va bien pour l'économie et tout va mal pour le niveau des retraites. Dans un contexte de faible croissance, en revanche, les régimes de retraite ne font plus d'économies.

Le scénario de forte croissance fait apparaître l'équilibre. D'un point de vue financier, c'est une bonne nouvelle. Mais, parallèlement, le niveau relatif des retraites baisse, ce qui est une mauvaise nouvelle. La difficulté du système actuel réside dans l'indexation sur les prix, qui ne permet pas d'équilibrer le système ni de maintenir le niveau de vie des retraités, lequel est fonction de la croissance et de la démographie. Le dispositif qui détermine le niveau de vie d'un retraité n'est pas régulé par avance.

Pour résumer, en France, le niveau des retraites se caractérise par la coexistence de trois unités de compte et par l'absence de régulation économique.

L'année où l'indexation sur les prix a été imaginée, c'était l'alpha et l'oméga. La pensée n'allait pas plus loin dans les années 1980. Depuis, elle a quelque peu progressé : si, un jour, une réforme doit intervenir, elle sera difficile comme l'ont été toutes les réformes des retraites. C'est la seule nuance que j'apporterai sur le plan personnel. Je m'exprime un peu plus sur le plan personnel que M. Bras. Lorsque je présidais le COR, je disais toujours : « Le rapport dit ceci, et moi je pense que… » Ce fut utile pour le premier rapport. Et j'ai continué. Je constate donc à titre personnel qu'aucune réforme n'a été aisée.

Si la soutenabilité financière s'est grandement améliorée, ce n'est pas le cas du pilotage.

Le deuxième objectif de la loi est la solidarité et le niveau de vie des retraités. En moyenne, si l'on compte les retraites et l'effort d'épargne, les retraités sont plus à l'aise. Il y a quelques années, la Cour des comptes, le ministère des finances et les politiques ont estimé qu'il y avait de l'argent à rechercher auprès des retraités parce qu'ils étaient plus riches que les autres. Ce n'est pas totalement faux. Mais, dans la perception subjective, les personnes qui possèdent leur maison estiment que ce sont leurs économies, une perception qui n'est pas tout à fait fausse non plus. Quand elles touchent 1 200 euros de retraite, elles ne s'estiment pas riches. Or, pour qu'une mesure sur les retraités rapporte de l'argent à l'État, il faut que cette mesure concerne des retraités percevant des pensions de faible montant. Cette idée a conduit, sous la législature précédente et la présente législature, à l'indexation sur les prix après la retraite. La retraite perd donc en niveau relatif, au fur et à mesure du temps. Comparés aux jeunes, les retraités sont très à l'aise. On compte, en effet, bien plus de pauvres parmi les jeunes. C'est vrai si l'on se reporte aux chiffres, mais, du point de vue de la perception subjective, c'est autre chose.

Nombre de mesures prises sont venues raboter les retraites. Un ras-le-bol s'est exprimé. On disait que les retraités étaient mieux lotis, ce qui a fini par produire un sentiment de colère. Et quand on a ajouté qu'ils étaient mieux lotis en recevant une retraite et non en travaillant, ce fut totalement incompréhensible pour les retraités car ils estiment que c'est l'argent de leur travail qui leur a donné ces droits. À titre très personnel, je n'aurais pas formulé cette phrase qui écorche les retraités à qui on parle de solidarité entre les générations ! Mais le ministère des finances a son propre tropisme dont il faut parfois se méfier.

En moyenne, par rapport aux objectifs de la loi, le niveau de vie des retraités reste bon, mais tout le monde n'est pas logé à la même enseigne. Nous devons porter notre vigilance sur deux points. Il est vrai que le taux de pauvreté des retraités est plus faible que dans l'ensemble de la population, beaucoup plus faible que parmi les jeunes, il n'en reste pas moins que beaucoup de retraités sont pauvres. Nous travaillons sur des moyennes. Des personnes, des femmes par exemple, touchent de petites retraites. Tous les ans, l'indexation s'opère, l'évolution est faible. Dans la mesure où, dans le même temps, on a fortement augmenté le minimum vieillesse, bien des personnes sont rattrapées par le minimum vieillesse, ce qui provoque un sentiment peu agréable ! Le minimum vieillesse sera bientôt égal au minimum de retraite. Une telle situation ne peut être bien perçue, nous semble-t-il. Quand on a travaillé toute sa vie, on estime qu'une personne qui n'a pas travaillé doit gagner moins. Si l'on engage une réforme, tenir compte du facteur travail est important.

Le troisième objectif porte sur l'équité. Du point de vue de la loi, nous avons incontestablement progressé vers l'équité. Est-ce compris par les Français ? Pas du tout. C'est triste, c'est un échec. Depuis vingt ans, le COR publie des quatre-pages de mieux en mieux faits pour expliquer les différences, les rapprochements, etc. Mais les gens ne comprennent pas, parce que c'est illisible. Or, il n'y a pas d'équité sans lisibilité. Produire de l'équité sans lisibilité empêche toute confiance dans le système. C'est ce que constate le CSR qui s'implique un peu plus que le COR, ce qui est normal car MEDEF et CGT ne sont pas du même avis. La loi de 2014 a imposé au COR un rapport annuel et des projections annuelles. Le changement est important, mais le COR le fait avec plaisir. Ce sont des bourreaux de travail !

Pour résumer, l'équité a progressé, mais l'illisibilité reste incontestable. Même là où les gouvernements se sont donné du mal et ont été courageux en rapprochant le régime des fonctionnaires des autres, on n'y comprend rien ! En raison de la part des primes qui est différente, il y a toujours quelqu'un pour évoquer une situation où il est préférable d'être fonctionnaire ou pour vous dire que les militaires à la retraite gagnent davantage en raison des bonifications qu'ils touchent. Peut-être sera-ce mieux compris plus tard.

La question des retraites dont le niveau dépend de la part des primes est incompréhensible pour l'opinion. Cela ne signifie pas qu'il faille une réforme, il ne nous appartient pas de le formuler. Nous constatons simplement que c'est illisible, qu'il est difficile de piloter des régimes avec trois unités de compte.

Quelle indexation recommander ? Une indexation sur les prix n'est pas opportune. La réflexion des économistes montre qu'appliquer une indexation sur les prix nous rend dépendants de la croissance. Lorsque le niveau de la croissance est élevé, le niveau des retraites baisse fortement. C'est une mauvaise nouvelle pour les retraités, le système est suréquilibré. L'indexation sur les prix est une sorte de loterie. Tel était l'état de la réflexion dans les années 1980. Quel est-il aujourd'hui ? Dernièrement, le comité de pilotage a retenu trois personnes ayant des avis différents pour s'exprimer devant le jury citoyen. M. Sterdyniak, un éminent économiste, a émis un avis favorable au système actuel, M. Bozio était totalement contre et M. Libault, qui n'est pas économiste, observait que l'on pouvait changer, mais sous certaines conditions.

Depuis le premier rapport, nous considérons que l'indexation sur les prix pose problème parce qu'elle ne tient pas compte de la croissance économique. Elle crée des irrégularités qui sont anxiogènes et ne produisent pas la confiance.

L'équité du système n'est pas bonne, en raison de la trop grande différence des unités de compte. Au sein même de la fonction publique, la prise en compte du dernier salaire, hors primes, produit des différences considérables et est très difficile à expliquer. Cela ne veut pas dire pas qu'il soit aisé de réformer ou qu'une réforme soit une bonne chose. J'ignore quelle réforme il faudrait. Tel n'est d'ailleurs pas notre rôle et nous ne le disons pas : nous disons seulement que le système actuel ne parvient pas à engendrer la confiance et que l'indexation sur les prix nous rend dépendants de la croissance. Quand nous l'avons expliqué à des directeurs d'administration centrale avant l'élection présidentielle, l'écoute était nulle alors même qu'il s'agit d'une réflexion qui ne date pas d'hier. Il faut dix ans pour faire évoluer les esprits, ou alors il faut un kriegspiel politique risqué qui embarque tout le monde dans un travail commun. Les administrations sont aujourd'hui engagées dans un travail commun. La réforme, c'est autre chose…

Nous constatons dans notre rapport, en termes nets, que le système actuel connaît des difficultés et que le système d'indexation pose problème mais qu'il a engrangé des acquis formidables : un bon niveau des retraites et une progression dans l'équité, même si elle n'est pas perçue. En comparaison des pays étrangers, les Français sont bien lotis. La question posée reste celle de la confiance. D'ailleurs, tous les sondages sur la confiance dans le système de retraite sont mauvais. Mais rendre confiance n'est pas aisé et le problème est entièrement politique. Le rôle du CSR s'arrête là et vous, politiques, avez la main.

La loi de 2014 a prévu une articulation entre le COR et le Comité de suivi. Tous les indicateurs sont calculés par le COR, les chiffres du CSR sont strictement identiques. Par leurs avis, les experts s'impliquent pour déterminer s'il convient d'intervenir. S'ils émettent une recommandation, le Gouvernement doit intervenir. Le CSR a été amené à en faire une à deux reprises : en 2017 pour dire que la situation n'était pas catastrophique, mais qu'il constatait un déficit. Dans la mesure où rien n'a été fait de substantiel à ce moment-là, nous avons réitéré la recommandation l'année suivante, ce à quoi le Gouvernement a répondu qu'il en prenait acte et que la réforme rééquilibrerait le système. Mais ce n'est pas encore fait.

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