Intervention de Bastien Lachaud

Séance en hémicycle du vendredi 29 mars 2019 à 15h00
Coopération en matière de défense avec le nigéria — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBastien Lachaud :

Or qu'y a-t-il à voir ? Un échec politique presque complet. Il a de nombreuses causes. La France n'est pas responsable de tous les maux qui accablent l'Afrique de l'Ouest, mais enfin ! Les gouvernements successifs ont pour le moins agi avec légèreté. La guerre en Libye, d'abord, a été une déflagration épouvantable. Elle a porté atteinte à la crédibilité des Nations unies. Elle a livré ce pays au chaos et à la guerre civile. Elle a remis en mouvement des groupes armés de bandits et de mercenaires. Elle a disséminé des dizaines de milliers d'armes dans tout le sous-continent. Elle a ouvert la voie aux trafics les plus abominables, tels que l'esclavage, et offert un point d'ancrage au terrorisme djihadiste.

Au Mali, où je me suis rendu il y a un mois, nous affrontons encore tous les jours les conséquences de cette erreur funeste. Tous les interlocuteurs officiels en conviennent : la situation est pire qu'avant Barkhane. Elle n'est pas pire à cause de Serval et Barkhane ; elle est pire malgré les efforts qu'on a demandés à nos soldats. Alors que le nord du pays était le repère des groupes armés, le centre du Mali est aujourd'hui déstabilisé. Les pays frontaliers sont infectés par cette peste multiforme. Les groupes armés ont essaimé. Le Burkina Faso et le Niger sont terriblement affaiblis. L'État malien n'est pas restauré. Le G5 Sahel, présenté comme une panacée politico-militaire, un exemple de coopération régionale intégrée, n'est toujours pas opérationnel. Quelle est sa pertinence, en réalité ? Pourquoi cinq, et non six ou sept États ? Pourquoi lui et non l'organisation régionale existante, la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest, la CEDEAO ? Pourquoi s'appuyer prioritairement sur des pays qui violent les droits humains, comme la Mauritanie ou le Tchad ? Faire de l'Arabie saoudite l'un de ses principaux bailleurs de fonds ne pose-t-il pas un problème de crédibilité ou d'indépendance ? Ces questions n'ont jamais été traitées au grand jour. J'ose espérer que, dans les bureaux du ministère des affaires étrangères, de l'état-major et de l'Élysée, on a des réponses robustes, mais à vrai dire, je n'en suis pas certain.

Depuis peu, il semble qu'on a pris conscience des limites de l'approche exclusivement sécuritaire. La doctrine des 3D est à l'ordre du jour : diplomatie, défense, développement. À la bonne heure ! On ne prétend plus que la paix puisse fleurir sur le terreau de la misère. Croit-on pour autant qu'elle s'épanouisse sans démocratie ? Car tel est le défi qu'il faut maintenant relever.

Qui parmi vous a une idée du budget consacré par la France à l'intervention au Mali depuis six ans ? A fortiori, combien de nos concitoyens en ont une notion ? Faut-il compter en dizaines de millions d'euros, en centaines de millions ou en milliards ? En réalité, ces six années de présence militaire représentent, peu ou prou, deux années du budget de l'État malien, soit 3 milliards d'euros.

Or, partout ailleurs, la misère, le changement climatique et l'instrumentalisation des tensions par les groupes armés rendent la situation plus dangereuse que jamais. Parler d'affrontements intercommunautaires est un raccourci commode, mais dangereux, qui contribue à faire advenir ce que l'on redoute – le conflit ethnique – , quand il s'agit avant tout d'accès aux ressources et de pouvoir.

J'ai voulu rappeler les termes de l'équation qui se pose au Sahel, car ils sont les mêmes dans tout le sous-continent, au Nigéria comme dans tous les autres pays. Je n'ai pas assez parlé des désastres qu'entraîne le dérèglement climatique : l'assèchement du lac Tchad aura des effets délétères qu'aucune action militaire ni aucune coopération ne saura endiguer. Projeter des sociétés agraires ou pastorales dans la modernité capitaliste, faite d'exploitation, d'accumulation de biens et de prédation des ressources naturelles, ne peut pas amener la paix – ni au Nigeria, ni ailleurs.

Il n'est donc pas possible de ratifier cet accord de coopération militaire sans que l'on nous dise clairement que le Gouvernement est prêt à tout revoir.

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