Intervention de Éric Woerth

Réunion du mercredi 27 mars 2019 à 9h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Woerth, rapporteur :

Quelle position inconfortable – je m'en aperçois – que celle du rapporteur ! C'est très compliqué…

La situation de trouble dans laquelle se trouve notre pays depuis plusieurs mois traduit un malaise profond, dont les racines sont sans doute multiples mais que les inquiétudes qu'inspire à nos concitoyens l'évolution de leur pouvoir d'achat ont réellement cristallisé.

Dans un contexte où, après la stagnation consécutive à la crise de 2007 le pouvoir d'achat des ménages commençait, depuis 2016, à se redresser – nous rattrapons le pouvoir d'achat par unité de consommation de 2007, c'est dire combien la France a été secouée par la crise ! –, la politique du Gouvernement a envoyé des signaux contradictoires en 2018. Elle a en effet multiplié les initiatives qui modifient les prélèvements obligatoires – suppression de la taxe d'habitation, bascule des cotisations sociales vers la contribution sociale généralisée (CSG), augmentation de la fiscalité énergétique, etc. –, avec, qui plus est, d'importants effets de calendrier, ce qui a conduit à une hausse des prélèvements obligatoires sur les ménages de 4,5 milliards d'euros. Si, en fin de compte, l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) constate une hausse de 0,4 % du pouvoir d'achat par unité de consommation sur l'ensemble de l'année 2018, le ralentissement est significatif par rapport à l'année précédente. De plus, l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) avait montré que c'étaient largement les ménages aisés qui bénéficiaient des mesures de la loi de finances pour 2018 : leur niveau de vie progressait de 1,6 %, alors que celui des 5 % de ménages les plus modestes était amputé de 0,6 %.

Compte tenu de la croissance et des mesures votées à la fin de l'année 2018, le pouvoir d'achat des ménages devrait globalement augmenter en 2019, mais il reste des perdants, au premier rang desquels les retraités. L'OFCE estime ainsi que près de la moitié des retraités serait perdante avec l'entrée en vigueur des nouvelles mesures en 2019.

La politique du Gouvernement a réveillé chez nos concitoyens un sentiment d'injustice jamais vraiment endormi. Un sentiment d'injustice sociale, d'injustice territoriale entre urbains et ruraux, d'injustice intergénérationnelle et d'injustice entre les actifs et les retraités.

La proposition de loi déposée par le groupe Les Républicains a pour objectif de remédier à l'exacerbation de ce sentiment d'injustice. La réponse que nous proposons consiste à redonner du pouvoir d'achat aux Français et à corriger les mesures qui ont stigmatisé une partie de la population, en particulier les retraités et les catégories les plus fragiles de notre population sur le plan pécuniaire.

La proposition de loi comporte cinq articles, qui peuvent se répartir en deux séries de mesures.

La première série de mesures consiste en l'annulation des mesures de rabot prises par le Gouvernement en loi de finances et en loi de financement de la sécurité sociale pour 2019. Nous sommes favorables à la maîtrise de la dépense publique, j'y reviendrai, mais elle doit procéder d'une démarche de réformes structurelles visant à améliorer l'efficience des dépenses publiques, pas de mesures prises au coup par coup qui ne peuvent qu'inquiéter nos concitoyens sur l'évolution future de leur niveau de vie, la sous-indexation ne pouvant que faire craindre le gel de demain.

L'article 1er de la proposition de loi a ainsi pour objet de rétablir les règles de droit commun de revalorisation de certaines prestations, au premier rang desquelles les pensions de retraite et les allocations familiales. L'article L. 161-25 du code de la sécurité sociale prévoit une revalorisation en fonction de l'inflation, à laquelle le Gouvernement avait prévu de déroger en 2019 et 2020 pour fixer cette revalorisation à 0,3 %, soit à peu près cinq fois moins. Le Conseil constitutionnel a annulé cette sous-indexation pour 2020 mais l'a maintenue pour 2019. Nous vous proposons de faire l'autre moitié du chemin en supprimant la dérogation prévue pour 2019. Le second alinéa de l'article 1er prévoit un mécanisme de rattrapage pour les prestations versées entre le 1er janvier et la date de promulgation de la loi sur le fondement de la revalorisation à 0,3 %. La réindexation serait donc rétroactive.

Suivant la même démarche, l'article 2 de la proposition de loi rétablit le mécanisme de revalorisation des aides au logement en fonction de l'indice de référence des loyers.

Ces deux articles permettent de rendre plus de 3 milliards d'euros de pouvoir d'achat à nos concitoyens en 2019.

Pour ce qui concerne la revalorisation des pensions, j'estime qu'il faudrait aller plus loin en posant la question d'une évolution du critère servant de base au coefficient de revalorisation. L'indexation en fonction de l'inflation, qui s'applique depuis 1987, protège, lorsqu'elle est respectée, les retraités de l'inflation, mais l'on pourrait davantage associer les retraités à l'augmentation de la richesse du pays et valoriser leur utilité sociale – les retraités ne sont pas étrangers à la croissance de notre produit intérieur brut – en rétablissant partiellement, pour les 1 000 premiers euros de pension, une revalorisation en fonction de l'évolution des salaires ; au-delà, la revalorisation se ferait en fonction de l'inflation. Ainsi, les retraités participeraient en partie à l'augmentation de la richesse de la Nation. Cette mesure aurait en outre l'avantage de retisser un lien entre la progression du niveau de vie des retraités et celle du niveau de vie des actifs, la première étant amenée à diminuer assez considérablement au cours des prochaines années. Avec mes collègues, j'ai déposé un amendement demandant au Gouvernement de présenter un rapport sur le sujet afin que la discussion soit lancée et que nous disposions de tous les éléments pour examiner sérieusement cette proposition – il s'agissait aussi, pour dire les choses précisément, de ne pas se voir opposer l'article 40 de la Constitution.

Le second axe de la proposition de loi consiste en une diminution de la pression fiscale qui pèse sur les classes moyennes et les familles grâce à trois mesures.

L'article 3 supprime le taux de CSG à 8,3 % sur les pensions de retraite et sur les pensions d'invalidité en le ramenant à 6,6 %. Le taux de 8,3 % résulte de l'augmentation brutale subie par 60 % des retraités en 2018 : leur CSG a augmenté de 25 %. Ce choc fiscal a été d'autant plus mal ressenti qu'ils sont les seuls à ne pas avoir bénéficié d'une compensation – c'était d'ailleurs le but de la manoeuvre. La mesure présentée comme favorisant le pouvoir d'achat des actifs était en réalité un transfert de charge fiscale et de pouvoir d'achat entre actifs et retraités. D'abord sourd aux mises en garde de l'opposition, le Gouvernement a finalement dû revenir sur cette hausse pour la moitié de ceux qui l'ont subie. Sur ce point aussi, nous proposons de faire l'autre moitié du chemin – au fond, de déboucher les deux oreilles – en abaissant le taux de 8,3 % à 6,6 % pour les retraités que le Gouvernement a oubliés. Il s'agirait d'un retour à la situation antérieure à 2018, avec les mêmes trois taux applicables, au lieu de quatre aujourd'hui. Cette disposition aurait un impact financier brut de 2,9 milliards d'euros, mais elle conduirait à majorer les recettes de l'impôt sur le revenu (IR), car une partie de la CSG due au taux de 8,3 % est déductible de l'impôt sur le revenu. Net de cet effet sur l'impôt sur le revenu, le coût de la mesure est estimé à 2,3 milliards d'euros.

Je pense d'ailleurs que la CSG devrait être totalement déductible de l'impôt sur le revenu, tout comme la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS) et les prélèvements de solidarité sur le capital. La non-déductibilité de ces prélèvements revient à une forme d'impôt sur l'impôt qui ne se justifie pas. Elle rend l'impôt injuste et illisible : vous payez de l'impôt sur des revenus que vous n'avez pas perçus. Je présenterai un amendement à ce sujet. Le coût, important, de cette proposition, serait de l'ordre de 7 milliards d'euros.

Je défendrai un autre amendement sur la CSG applicable aux pensions de retraite, plus technique. En loi de financement de la sécurité sociale, alors que la hausse de CSG n'avait pas encore été annulée, nous avons adopté un dispositif proposé par le Gouvernement visant à atténuer le passage du taux de 3,8 % au taux de 8,3 %. La marche était en effet très importante, le Gouvernement n'a pas envisagé un tel dispositif pour le passage du taux de 0 % à celui de 3,8 %. Nous proposons d'y remédier. Il s'agit d'unifier le régime de passage d'un taux de CSG à un autre. C'est une mesure de cohérence et de simplification.

Enfin, nous proposerons par amendement que les heures supplémentaires soient exonérées de CSG et de CRDS. Nous l'avions déjà fait lors de l'examen des textes financiers, tout comme nous avions proposé l'exonération des heures supplémentaires de l'impôt sur le revenu – le Gouvernement et la majorité l'avaient refusée, avant de revenir sur son refus à la fin de l'année. C'est une mesure utile pour rendre du pouvoir d'achat aux Français et inciter à travailler davantage. Intégrer la CSG et la CRDS à la réduction des cotisations aurait un coût de 1,5 milliard d'euros.

L'article 4 vise à ce que le plafond de ce que l'on appelle « l'avantage » – entre guillemets – du quotient familial revienne au niveau qui était le sien avant 2012. Le plafond de droit commun passerait de 1 551 euros à 2 301 euros par demi-part et le plafond de la part entière accordée dès le premier enfant aux parents élevant seuls leurs enfants passerait de 3 660 à 3 980 euros.

Le quotient familial n'est pas une dépense fiscale – évidemment, d'autres groupes ne seront pas d'accord avec nous –, c'est une modalité de calcul de l'impôt sur le revenu. Autrement dit, il ne s'agit pas de favoriser certains contribuables, mais de prendre en compte, dans le calcul de l'impôt, leurs charges de famille, indépendamment de leurs revenus. Il s'inscrit dans une logique de redistribution horizontale, le barème progressif permettant, lui, d'assurer une redistribution verticale. C'est justement parce que le barème est progressif et qu'il tient compte des revenus de l'ensemble des foyers qu'il faut un mécanisme correcteur pour appliquer ce barème en fonction de la composition du foyer.

Les baisses violentes intervenues en 2013 et en 2014 sont donc incompréhensibles. Elles ont durement frappé les classes moyennes et les familles. Cette mesure permettrait d'augmenter le pouvoir d'achat de 1,6 million de foyers fiscaux, donc de familles, pour un coût de 1,7 milliard d'euros.

L'article 5 touche également à l'impôt sur le revenu. Il tend à abaisser de 10 % les taux des deux premières tranches du barème : le taux de la première tranche, s'appliquant à la fraction du revenu imposable comprise entre 9 964 euros et 27 519 euros passerait de 14 à 12,6 % ; la fraction du revenu imposable comprise entre 27 519 euros et 73 779 euros serait imposable à 27 % au lieu de 30 % actuellement. Cette mesure allégerait la pression fiscale de l'ensemble des contribuables de l'impôt sur le revenu. Elle doperait le pouvoir d'achat des Français d'environ 8 milliards d'euros. Nous nous sommes effectivement rapprochés des services de Bercy pour faire chiffrer les mesures que nous proposons – voyez que nous allons au bout des choses, chers collègues ! Nous pensions que la mesure serait d'un coût inférieur – pour tout dire, le chiffrage n'est pas intuitif – mais je vous donne l'estimation de Bercy, qui nous paraît un peu élevée.

Dans notre esprit, il s'agit d'un ensemble de mesures d'urgence destinées à combler les brèches sociales ouvertes pendant les deux premières années du quinquennat, mais nous sommes convaincus qu'il faudra aller plus loin.

Au total, avec les amendements que je vous propose, le coût de nos propositions peut être évalué à 25 milliards d'euros. Nous estimons qu'il faudra en outre baisser les impôts de production d'un point de produit intérieur brut (PIB) en cinq ans, ce qui porterait le coût total des mesures contenues dans ce texte à environ 45 milliards d'euros sur plusieurs années.

J'entends venir les critiques, assez classiques, sur le coût de nos propositions : comment finance-t-on tout cela ? Je rappelle que le Gouvernement ne se pose jamais ces questions à propos de ses propres propositions ; c'est assez pratique. Il a improvisé s'agissant notamment de la suppression de la taxe d'habitation et des mesures de soutien au pouvoir d'achat de la fin de l'année 2018. La suppression de la taxe d'habitation représente grosso modo une vingtaine de milliards d'euros, et les mesures de pouvoir d'achat de la fin de l'année coûtent environ 10 à 11 milliards d'euros, sans que les modalités de financement soient vraiment prévues.

Nous, petits bras de l'opposition – sans administration, donc –, avons essayé de travailler un peu différemment. Nous avons, au contraire, des propositions pour financer ce plan par des économies sur la dépense publique, de l'ordre de 20 milliards d'euros, ainsi que par des politiques favorisant l'augmentation du taux d'emploi dans notre pays pour créer davantage de richesses.

Pour augmenter le pouvoir d'achat des ménages de manière durable, nous ne devons pas nous reposer que sur des mécanismes de transferts fiscaux et sociaux, qui contribuent déjà fortement à la réduction des inégalités. Le pouvoir d'achat est, en réalité, et vous le savez bien, la synthèse des choix politiques de notre pays, qui ne sont pas uniquement financiers.

Pour augmenter le pouvoir d'achat, il faut avant tout augmenter le taux d'emploi ou le taux d'activité des Français, c'est-à-dire la proportion de la population en âge de travailler qui est en activité, et plus globalement la quantité d'heures travaillées, pour créer davantage de revenu global, qui pourra être utilisé pour accroître le pouvoir d'achat des salariés. Le taux d'emploi en France est en effet aujourd'hui inférieur de 10 points à celui de l'Allemagne, dont 6 points sur la tranche des 20-59 ans, et cet écart s'accroît. Selon une étude de Natixis, si la France avait un taux d'emploi plus élevé de 6 points – en somme, si on rattrapait les Allemands –, son PIB potentiel serait plus élevé de 4 %, les recettes fiscales seraient plus élevées de 2 points de PIB, il n'y aurait presque plus de déficit budgétaire, et les inégalités de revenu avant redistribution diminueraient.

L'atteinte de cet objectif, qui permettra de créer de nouvelles recettes, ne relève pas de mesures budgétaires ou financières. Elle résulte de beaucoup d'autres choses, d'un faisceau de politiques concernant notamment la formation, le marché du travail, la mobilité sociale ou géographique et de bien d'autres paramètres.

Il est également indispensable de créer les conditions d'un cercle vertueux en baissant de manière structurelle une dépense publique excessive, ce qui permettra de diminuer le déficit et la dette publics, donc la charge de la dette, de baisser les prélèvements obligatoires sur les entreprises et les ménages, et d'améliorer la compétitivité des entreprises et le pouvoir d'achat des ménages. La baisse de la dépense publique répond en outre à un impératif de solidarité entre les générations. Nous avons besoin d'une double solidarité : entre les Français d'aujourd'hui et entre les générations. Nous devons réduire la dette pour laisser aux générations futures des finances publiques saines et éviter que ne pèsent sur elles des charges qui ne sont pas de leur fait.

C'est pourquoi le groupe Les Républicains a fait des propositions conduisant à une réduction de l'ordre de 20 milliards d'euros de la dépense publique, ce que ni le Gouvernement ni aucun groupe politique n'a fait jusqu'à présent. On nous demande sans arrêt : « Mais où sont vos propositions ? » Nous en faisons, nous les publions, il faudrait les lire. Aucun groupe ni aucun gouvernement n'a été aussi loin.

Ces mesures, qui ne constituent qu'une première étape, comportent notamment une réduction du nombre d'agents publics, s'accompagnant d'une augmentation du temps de travail, une réforme des retraites supprimant les régimes spéciaux et alignant le mode de calcul des pensions du public sur celui du privé, la mise en place d'une allocation sociale unique personnalisée, une amélioration de l'efficience de notre système de santé, par un renforcement des parcours de soins et un effort accru de prévention, la refonte des règles visant à inciter au retour à l'emploi, le renforcement de la lutte contre la fraude fiscale et sociale, la suppression de l'aide médicale de l'État (AME), pour qu'elle ne prenne plus en charge que les soins d'urgence.

Encore une fois, nous sommes conscients qu'il faudra aller plus loin, notamment en repoussant l'âge de la retraite, afin de réduire suffisamment les dépenses pour mettre en place ce que j'appelle le « un sur deux budgétaire », c'est-à-dire un principe selon lequel les économies doivent aller pour moitié à la réduction de l'impôt et pour moitié à la baisse du déficit.

Il faudra également s'interroger sur les conditions nécessaires au renforcement du consentement à l'impôt – cette crise nous le montre. J'ai mis en débat un certain nombre d'idées, qui ne trouvent pas leur place dans cette proposition de loi, visant par exemple à permettre aux contribuables de « flécher » 5 % de leur impôt sur le revenu ou à substituer à la fiscalité écologique additionnelle, en réalité une fiscalité punitive, une « part verte » dans l'ensemble des grands impôts français – la taxe sur la valeur ajoutée, mais pas seulement –, qui serait plus juste et devrait être accompagnée de mesures autres que fiscales pour modifier les comportements et réduire la consommation énergétique.

Alors que le débat est aujourd'hui le mot d'ordre, je souhaite que l'on puisse discuter sur le fond et en profondeur de ces mesures présentées par le groupe Les Républicains. Nous avons fait de multiples propositions, parfois suivies avec un temps de décalage par la majorité, ce qui nous laisse quelque espoir quant à la manière dont elle votera aujourd'hui. Je rappelle que, si nous vendons l'ensemble, nous vendons aussi à la découpe… ! Vous pouvez voter en faveur d'un certain nombre de ces dispositions sans retenir les autres ; c'est une possibilité qui vous est ouverte. Par exemple, vous pourriez adopter quelques articles maintenant, tandis que d'autres seraient simplement mis en discussion, en attendant que, plus tard, la lumière revienne.

J'espère que les mesures présentées ici auront un écho plus favorable que celles que nous avions faites hier et qui sont pourtant partiellement appliquées aujourd'hui.

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