Intervention de Nicola Sturgeon

Réunion du mardi 19 février 2019 à 17h30
Commission des affaires étrangères

Nicola Sturgeon, Première ministre d'Écosse :

(Interprétation) Je vous remercie de votre invitation. Je sais que l'ensemble des membres de votre commission va se rendre au rassemblement contre l'antisémitisme. Je n'y serai pas présente, mais je vous dis toute ma solidarité. L'antisémitisme est un défi pour nombre de pays, dont le mien ; nous devons rester vigilants et le combattre.

C'est toujours un plaisir pour moi de venir à Paris. Je ne pourrai malheureusement rester jusqu'à samedi, lorsque l'Écosse affrontera la France dans le tournoi des Six Nations, mais je serai de retour cet été, quand l'Écosse participera pour la première fois à la Coupe du monde féminine de rugby, et je suis sûre que les supporters écossais seront à nouveau bien accueillis.

Je suis ravie d'être présente devant votre commission. L'Écosse et la France sont des partenaires naturels en bien des matières, et l'une des raisons de ma venue en France cette fois est l'ouverture, à laquelle j'ai présidé hier, de la représentation écossaise à Paris. Ce pas important montre notre engagement envers la France, et aussi que l'Écosse tient à jouer le rôle d'une nation européenne tournée vers l'extérieur. Cette étape est quelque peu tardive : après tout, la France ayant ouvert un consulat en Écosse en 1942 ; la plaque commémorative de cet événement, apposée à Édimbourg sur le mur de la résidence du consul, cite les mots de Charles de Gaulle décrivant l'Alliance franco-écossaise comme « la plus vieille alliance du monde ». Cette citation traduit le fait nos pays jouissent de liens commerciaux et d'amitié depuis plus de sept cents ans. Pendant des siècles, nos citoyens ont même eu droit à la double nationalité – une option qui devient de plus en plus tentante pour l'Écosse à mesure que la date du Brexit approche et que nous risquons de perdre notre citoyenneté européenne.

Je reviendrai sur nos liens historiques, mais je concentrerai mon propos sur notre partenariat contemporain. Mon message principal, aujourd'hui, est très simple : l'amitié avec la France compte beaucoup pour l'Écosse. Elle est source de grands avantages pour nos deux pays, nous souhaitons qu'elle se développe davantage encore au cours des années à venir et nous pensons que cela pourra se faire indépendamment du Brexit.

Au moment de traiter devant vous du Brexit, qui est dans tous les esprits au Royaume-Uni, je tiens à souligner que le Gouvernement écossais se sent très engagé dans l'Union européenne. Nous considérons que l'Écosse retire des avantages considérables de son accès à un marché unique de plus de 500 millions de personnes. Nous bénéficions aussi des droits que l'appartenance à l'Union apporte aux travailleurs et des protections qu'elle assure à notre environnement. Membre de l'Union, nous bénéficions de la liberté de voyager, d'étudier et de vivre en Europe, et nous profitons également de ce que nous apportent les citoyens européens qui se sont installés en Écosse. On compte parmi eux 13 000 Français qui sont nos collègues, nos amis, nos voisins, et bien souvent des membres de nos familles. Le Gouvernement écossais est fier qu'ils nous aient fait l'honneur de venir vivre en Écosse et nous défendrons toujours leurs droits. Au cours des derniers mois, nous nous sommes battus avec succès pour que les citoyens de l'Union européenne n'aient pas à payer pour obtenir le statut de résident permanent au Royaume-Uni, et nous dirons toujours clairement que les citoyens de l'Union sont les bienvenus. Dans les mois qui viennent, nous redoublerons d'efforts pour encourager les citoyens européens à rester en Écosse.

Outre que nous tirons de notre appartenance à l'Union européenne des avantages pratiques, ses valeurs fondamentales – la liberté, la démocratie, l'État de droit, l'égalité, le respect de la dignité humaine et des droits de l'homme – nous sont chères et nous avons toujours encouragé l'Union à les respecter.

La fonction principale de la nouvelle représentation du Gouvernement écossais à Paris est de renforcer nos liens avec la France, mais si nous avons ouvert cette représentation à Paris, c'est aussi que la Ville est le siège des grandes organisations internationales que sont l'UNESCO et l'OCDE. Elles y sont présentes, sous une forme ou une autre, depuis les années 1940. Cela nous rappelle que la France a joué un rôle majeur dans les efforts déployés après la Seconde Guerre mondiale pour mettre en place un ordre international fondé sur des règles. Les institutions créées à cette époque dont, bien sûr, les précurseurs de l'Union européenne, ont apporté des avantages substantiels à l'Europe et au monde. Mais nous nous rendons compte aujourd'hui que les principes qu'incarnent ces organisations – le multilatéralisme, la coopération, le respect des droits de l'homme – ne peuvent être tenus pour acquis. Trop de voix prônent désormais l'intolérance et l'isolationnisme. Cela nous préoccupe tous, et c'est pourquoi il est si important de participer activement aux institutions internationales. J'espère que la représentation écossaise à Paris contribuera, à son échelle, à cet effort.

Bien entendu, actuellement, l'Union européenne est pour nous un canal clef de coopération avec les autres pays. J'ai été frappée par une déclaration du chef du Gouvernement irlandais, Leo Varadkar, au début du mois. Évoquant le soutien sans faille que l'Irlande avait reçu de l'Union européenne pendant le processus du Brexit, le Taoiseach s'est exprimé ainsi : « En tant que chef du Gouvernement d'un petit pays pleinement engagé dans l'Union européenne, je puis dire que cette solidarité trouve un profond écho en Irlande – et pas seulement en Irlande, dans tous les petits États membres. » Cela montre qu'être membre de l'Union européenne peut amplifier, et non pas réduire, la souveraineté nationale.

Si la déclaration du chef du Gouvernement irlandais m'a à ce point frappée, c'est que la solidarité dont l'Union européenne a fait preuve envers l'Irlande depuis le référendum sur la sortie du Royaume-Uni de l'Union est en contraste total avec l'attitude du Gouvernement britannique envers l'Écosse. Vous le savez tous : en 2016, deux des quatre pays qui constituent le Royaume-Uni, l'Angleterre et le Pays de Galles, se sont prononcés en faveur de la sortie de l'Union, mais les deux autres, l'Écosse et l'Irlande du Nord, ont voté pour rester dans l'Union. En Écosse, 62 % des votants ont choisi de rester. Malgré cela, le Gouvernement britannique n'a pas voulu reconnaître la complexité du vote dans le Royaume-Uni. Il n'a pas voulu tenir compte de ce que 48 % des électeurs britanniques voulaient rester dans l'Union européenne, ni reconnaître le fait que l'Écosse et l'Irlande du Nord s'étaient majoritairement prononcées pour rester dans l'Union, alors même que le Royaume-Uni est supposé être un partenariat entre égaux. Au lieu de cela, négligeant les voix modérées, il s'est fixé des lignes rouges qui vont à l'encontre de ses propres intérêts, ce qui provoque de nombreuses difficultés. Je comprends que l'Union européenne et la France en conçoivent des frustrations ; en réalité, je les partage.

Le Gouvernement écossais, au nom du peuple écossais, n'a cessé d'essayer de trouver un compromis. En décembre 2016, nous avons publié un document intitulé La place de l'Écosse en Europe. Il contenait des propositions et exprimait de la manière la plus claire que, pour le Gouvernement écossais, la meilleure solution pour l'Écosse et pour Royaume-Uni serait de rester membre de l'Union européenne et que, si cela n'était pas possible, le Royaume-Uni dans son ensemble devait rester dans l'union douanière et le marché unique.

Je parlerai de l'indépendance à une date ultérieure mais je tiens à souligner dès maintenant que, pour le Gouvernement écossais, l'indépendance n'a rien à voir avec l'isolationnisme qui caractérise le Brexit. Elle nous permettrait au contraire de faire jouer notre interdépendance avec d'autres pays. Nous nous efforcerons toujours d'être les alliés et les partenaires étroits de nos voisins européens ; les deux dernières années ont montré toute l'importance de cette prise de position.

Mais vous aurez constaté que l'attitude du Gouvernement britannique dans les négociations ne reflète rien des avis ni des propositions du Gouvernement écossais. C'est pourquoi nous considérons que l'accord conclu par la Première ministre Theresa May avec les Vingt-Sept en novembre est gravement insatisfaisant ; je précise que cela tient à la stratégie de négociation défaillante du Gouvernement britannique plutôt qu'à la position de l'Union européenne.

Je vous donnerai un exemple significatif. Manifestement, aucun accord de libre-échange envisagé par le Gouvernement britannique ne donnera au Royaume-Uni les avantages que lui procure le marché unique en matière de services. Le secteur des services comptant pour trois quarts de l'économie de l'Écosse, le grand tort qui lui sera fait lésera l'Écosse, tout le Royaume-Uni et, finalement, l'ensemble des États membres de l'Union.

Sur le fond, nous n'avons toujours aucune idée claire de ce que sera la relation de long terme entre le Royaume-Uni et l'Union européenne. En réalité, on demande au Parlement britannique d'approuver un Brexit à l'aveugle. C'est très inquiétant. Quand on observe le chaos qui règne à Westminster, où l'on accorde plus d'attention aux partisans d'un Brexit dur qu'aux voix modérées, on se rend compte que le Gouvernement britannique est incapable de sauvegarder les intérêts de l'Écosse : et là où la déclaration politique de novembre est claire, c'est dommageable pour l'Écosse.

Je vous ai parlé des citoyens français qui vivent en Écosse. Pour moi, l'un des aspects les plus tristes du Brexit, c'est que le Gouvernement britannique brandit la fin de la libre circulation comme une victoire, alors que c'est une mesure autodestructrice qui privera de chances des millions de personnes. Cette approche est particulièrement préjudiciable à l'Écosse : sans liberté de circulation, notre population risque de décliner et il pourrait y avoir des pénuries de main-d'oeuvre dans les zones rurales, les universités et le système de santé.

Les citoyens européens ne sont pas seulement les bienvenus en Écosse, ils sont essentiels à notre bien-être.

Tout cela tient aux lignes rouges que le Gouvernement britannique a décidé de se fixer. Étant donné leur existence, je comprends pourquoi l'Union européenne considère que l'accord négocié en novembre est le meilleur possible, et pourquoi nombreux sont ceux qui, en France et dans toute l'Union, souhaitent que le Royaume-Uni l'adopte sans plus tarder. Mais aucun Gouvernement écossais ayant à coeur les intérêts de son peuple et des générations à venir ne peut soutenir cet accord. Nous continuons de penser que d'autres voies sont possibles ; mais, pour les envisager, le Gouvernement britannique devrait modifier son approche.

D'abord, il devrait dire clairement qu'il n'est pas favorable à une sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne sans accord le 29 mars prochain. Parce qu'une telle issue serait catastrophique, la Première ministre britannique devrait immédiatement solliciter le prolongement de la période de négociation du retrait prévue à l'article 50 du traité. Ainsi, le temps presserait moins et, quoiqu'il en soit, il semble évident depuis assez longtemps que le Royaume-Uni n'est pas préparé, tant s'en faut, à quitter l'Union européenne le 29 mars. J'espère de tout coeur que la France appuiera cette demande. Mais je suis consciente que, la première session du Parlement européen nouvellement élu ayant lieu en juillet, la durée du prolongement éventuel de la négociation devra être étudiée attentivement.

Á part cela, deux options sont possibles. Le Gouvernement britannique pourrait enfin abandonner ses lignes rouges, qui vont à l'encontre de ses propres intérêts, et accepter que le Royaume-Uni reste dans le marché unique et dans l'union douanière ; apparemment, la Première ministre britannique n'envisage pas cette approche pour le moment. C'est pourquoi l'option alternative est désormais celle que, comme beaucoup d'autres, je préfère : organiser un second référendum qui permettrait à la population de choisir de rester dans l'Union européenne.

De sérieuses raisons démocratiques poussent à l'organisation d'un second référendum. Outre que cela serait un moyen de sortir de l'impasse, ce serait pour l'Écosse le moyen de voir respecter son souhait de rester membre de l'Union européenne. Enfin, tous les électeurs auraient ainsi une chance de prendre une décision fondée sur des informations nettement plus détaillées que celles qui leur ont été fournies en 2016 ; quand le référendum a eu lieu, les électeurs qui se sont prononcés pour le retrait britannique ont voté contre quelque chose – l'appartenance à l'Union européenne – mais sans savoir en faveur de quoi ils s'exprimaient par ce vote. Cela a permis de faire de l'Union un bouc émissaire en une période de mécontentement généralisé ; le vote référendaire a été l'expression d'une insatisfaction parfaitement justifiée étant donné la politique d'austérité, les inégalités et la stagnation du pouvoir d'achat et des conditions de vie.

Un second vote serait fondé sur une compréhension bien plus éclairée de ce que le retrait de l'Union signifie en pratique. Pour le moment, cette option n'a pas de soutien suffisant au Parlement de Westminster. Un second référendum serait pourtant un moyen de sortir de l'impasse dans laquelle le Royaume-Uni s'est lui-même enfoncé. Bien entendu, le Gouvernement écossais soutiendrait cette option.

Nous ne pouvons pas approuver les propositions Brexit actuelles du gouvernement britannique, et nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour garantir un meilleur résultat pour l'Écosse, le Royaume-Uni et l'Europe.

J'en viens à notre partenariat avec la France. Quelle que soit l'issue du Brexit, le Gouvernement écossais s'assurera que l'Écosse reste un pays ouvert, tourné vers le monde et accueillant. Au cours des deux dernières années, nous avons doublé le nombre de nos représentations commerciales sur le continent européen. Nous avons lancé une nouvelle campagne promotionnelle – L'Écosse, c'est maintenant – pour inciter les Européens à venir visiter notre pays, à venir y vivre, y travailler et y investir. Nous avons renforcé notre représentation à Bruxelles et ouvert des représentations à Berlin, Dublin, Londres et, hier, à Paris, comme je vous l'ai dit.

Nos nouveaux bureaux parisiens reflètent la volonté de l'Écosse de renforcer les liens entre nos deux pays. Je l'ai souligné lors de mes rencontres avec Mme Nathalie Loiseau, ministre chargée des affaires européennes, et avec Mme Anne Hidalgo, maire de Paris. Nous avons de nombreuses occasions de le faire. En matière de culture, par exemple, l'Écosse a été l'invité d'honneur du Festival de Lorient de 2017, et j'ai confirmé ce matin l'invitation de l'Orchestre de Paris à venir jouer au Festival international d'Édimbourg cet été.

Sur le plan économique, la France a été au cours des dernières années le plus grand investisseur européen en Écosse, où les entreprises françaises emploient plus de 200 000 personnes. La France est aussi un marché clé pour les entreprises écossaises : c'est notre troisième pays d'exportation. D'évidence, ces liens peuvent encore être développés – dans la technologie à faible émission de carbone par exemple.

L'une de mes dernières visites officielles à Paris a d'ailleurs eu lieu à l'occasion de la COP21, en 2015. Je sais que la France a beaucoup oeuvré pour obtenir l'accord de Paris. L'Écosse produit actuellement plus de 70 % de ses besoins en électricité à partir d'énergies renouvelables. Dans nos eaux se trouvent le système d'éoliennes en mer le plus puissant au monde et la plus grande centrale de production d'énergie marémotrice. Nous collaborons déjà dans ce domaine avec des institutions françaises : les universités de Caen et du Havre participent à un projet d'énergie marémotrice sous l'égide du Centre européen de l'énergie marine des îles Orcades, et EDF est un investisseur majeur dans les projets écossais d'éoliennes en mer. L'ampleur des objectifs écossais et français pour répondre à l'urgence du défi des changements climatiques nous impose de renforcer notre coopération dans la production des énergies renouvelables.

La coopération franco-écossaise peut avoir pour autres domaines ceux des technologies de l'intelligence artificielle et, bien sûr, de l'éducation. Pratiquement toutes les Universités écossaises ont des liens avec des institutions d'enseignement supérieur en France. Près de 2 000 étudiants français étudient en Écosse et de nombreux Écossais étudient en France. Ces échanges sont évidemment largement rendus possibles par le programme Erasmus. L'Écosse fera tout ce qui est en son pouvoir pour reste membre de ce programme.

Á quelques encablures se trouve toujours l'entrée de l'ancien Collège des Écossais de Paris, créé en 1325. Cela nous rappelle que les échanges des personnes et des idées entre nos deux pays a une tradition longue de plusieurs siècles. En ouvrant le consulat de France à Édimbourg, le général de Gaulle s'était aussi réjoui de « l'échange d'idées, de sentiments, de coutumes et […] de mots […] entre deux peuples unis par une amitié naturelle ». Pour ma part, je suis ravie d'être parmi vous aujourd'hui.

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