Intervention de Christophe Castaner

Réunion du mercredi 27 mars 2019 à 16h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Christophe Castaner, ministre de l'Intérieur :

On ne va pas s'interrompre tout le temps, monsieur Bernalicis. Le mieux est de s'écouter attentivement, même si cela ne veut pas dire qu'on va se comprendre. Je tenterai de répondre à votre question tout à l'heure.

Ensuite, je voudrais souligner que les gendarmes sont les premiers des militaires qui sont engagés tous les samedis. Là encore, il me paraît important de réhabiliter la dimension militaire de notre sécurité – nationale et internationale.

La substitution par Sentinelle est quelque chose que nous pratiquons de façon très régulière, quasiment depuis le 17 novembre. Samedi dernier, elle était d'ailleurs à un niveau plus faible que ce que nous avons connu au mois de décembre. L'objectif est simple : il s'agit de décharger les policiers et les gendarmes pour leur permettre de se concentrer sur le maintien de l'ordre, qu'ils sont les plus à même d'assurer car ils sont formés pour cela. Le cadre est connu, il est même précisé par une instruction ministérielle : l'engagement des forces sentinelle se fait en l'absence de risque d'engagement dans une mission d'ordre public et de confrontation à la foule et quand on constate une insuffisance des moyens dont dispose l'autorité civile pour garantir la sécurité et la protection des populations.

Sur le sujet, je voudrais rappeler, pour finir, ce qui s'est passé au pied de la tour Eiffel : la force Sentinelle était présente et les casseurs, les voyous ont incendié l'un de ses véhicules. Vous avez remarqué que les membres de cette force n'étaient pas très loin du véhicule et qu'ils ont su agir avec discernement et efficacité.

Je vous remercie de votre question, madame Moutchou : elle m'a permis de mettre un terme à toute une série d'amalgames qui ont été faits et qui auraient pu aboutir à la mise en cause de nos militaires.

Monsieur Masson, vous avez rappelé que vous avez mis un terme à vos fonctions dans la gendarmerie lorsque vous avez été élu maire en 2001 – nous avons été élus la même année. Cette période correspond au moment où, sous l'autorité du préfet Massoni, une doctrine d'ordre public a été stabilisée, à Paris en particulier, qui consistait non pas à intervenir mais à tenir les manifestants « figés » lorsque la manifestation tournait à la confrontation sinon à l'émeute, à les « épuiser » puis à intervenir progressivement. Cette doctrine, en vigueur à Paris depuis 2001, n'avait pas changé depuis. Vous avez raison de souligner les capacités et la qualité de la formation de nos forces. J'étais à Saint-Astier il y a trois semaines ; je connais leur engagement.

Ensuite, vous avez dit qu'il y aurait eu un ordre exprès de ne pas intervenir. C'est votre responsabilité. Si vous pensez qu'il y a une personne en France, à quelque niveau que ce soit, qui, face à un conflit, à des violences de ce type, puisse donner l'ordre de ne pas intervenir dans le but de laisser les saccages se produire, sachez que nous n'avons pas la même vision de la République. Je respecte tous les parlementaires mais, je vous le dis, jamais je n'aurais osé penser cela d'un responsable, quel qu'il soit.

Je prendrai l'exemple de l'attaque du restaurant « le Fouquet's ». Le lieu a été tenu par nos forces. À un moment, celles-ci ont reculé physiquement. On n'a pas donné le bon ordre car il aurait fallu les renforcer. C'est un sujet que j'ai abordé avec le préfet de police quand nous avons fait le retour d'expérience de l'opération. L'escadron qui était présent à ce moment-là n'a pas pu réintervenir pour se mettre en sécurité. Il avait face à lui plusieurs milliers de personnes extrêmement violentes – vous l'avez constaté. À cet égard, je voudrais répéter ce chiffre : il y a eu quarante-quatre blessés ce samedi-là, dont vingt-cinq à Paris sur les seuls Champs-Élysées, soit un niveau très élevé. Confrontées à cette extrême violence, effectivement, nos forces ne sont pas intervenues parce que leur répartition n'était pas adaptée sur le site en question. Laurent Nunez pourra compléter, s'il le souhaite, mon propos sur le sujet.

Vous m'avez interrogé ensuite sur la forme de l'instruction qui a été donnée. Vous savez, les choses sont assez simples. Les ministres définissent une doctrine et de grandes orientations. Ensuite, ils traitent régulièrement avec l'ensemble des préfets de zone, qui ne sont pas les préfets de département – même si le Préfet de police de Paris est aussi préfet de la zone de défense de la capitale. Nous leur donnons des instructions, que chacun fait alors redescendre, notamment aux préfets, qui organisent avec les forces le système de fonctionnement adéquat.

À la préfecture de police, et pour répondre concrètement à la question qui m'a été posée, le vendredi après-midi, un briefing est organisé par le préfet de police. Celui-ci donne un certain nombre d'instructions. Des instructions écrites sont également données – certaines par ses services. Un des sujets qui nous a préoccupés et qui nous a montré qu'il y avait un défaut de management à la préfecture de police est d'ailleurs le fait que le responsable de la direction de la sécurité de proximité de l'agglomération parisienne (DSPAP), il y a trois semaines – ce n'était donc pas juste avant les événements dont on parle –, a envoyé une instruction pour changer le type de cartouches utilisées avec les lanceurs de balles de défense (LBD), et cela sans que le préfet de police – selon ce qu'il m'a indiqué – en ait été informé. Vous avez dû entendre les syndicats évoquer les « balles chamallows » : c'est le fait d'une instruction écrite donnée par le DSPAP. Voilà ce que je pouvais vous répondre, de façon très concrète et très pragmatique, concernant les instructions qui ont été données à ce moment-là.

Madame Vichnievsky, vous nous avez interrogés sur la réponse politique. Ce n'est pas le lieu d'y répondre et ce n'est pas notre fonction que de le faire, mais je suis intimement convaincu d'une chose : l'ordre public ne pourra jamais régler un problème politique. L'ordre public peut engendrer un problème politique mais, à l'inverse, il ne saurait en résoudre un. Je ne reviendrai ni sur les annonces que le Président de la République a faites dès le mois de décembre ni sur le Grand débat national ; du reste, vous aurez deux jours de discussions, la semaine prochaine, à l'Assemblée nationale, pour aborder le sujet.

En ce qui concerne les casseurs les plus violents, toute la difficulté est qu'ils sont formés et entraînés ; ils savent s'échapper quand il le faut. Pour le reste, Mme la garde des Sceaux complétera ma réponse.

Monsieur Zumkeller, vous dites que les casseurs sont toujours les mêmes depuis le 1er mai. Non, ce n'est pas le cas, surtout pour ceux qui sont liés aux Black Blocs – groupes qui forment une nébuleuse. Autant il y a certaines structures d'ultras dont nous connaissons les responsables et dont nous savons où ils se réunissent – quand je dis « nous », je veux parler du renseignement classique ; Laurent Nunez complétera peut-être mes propos sur ce point –, autant ce n'est pas le cas pour les Black Blocs : il s'agit vraiment d'une nébuleuse qui se constitue puis évolue. Le groupe n'a jamais de chef ni même de protocole d'intervention organisé. En revanche, au moment où ils agissent, ils savent s'organiser – je n'ai pas le temps de développer le sujet, mais on voit bien la manière dont ils procèdent.

Vous nous avez interrogés sur notre niveau d'information. Laurent Nunez l'a dit : nous avions un bon niveau d'information. Nous savions que les Blacks Blocs étaient particulièrement mobilisés. C'est pourquoi nous avions mis un niveau de forces élevé, qui correspondait à la demande du préfet de police. Chaque semaine, en effet, nous procédons à la répartition des forces disponibles – escadrons de gendarmerie, brigades de CRS –, en fonction des demandes des préfets. Généralement, nous n'arrivons pas à toutes les satisfaire mais, en ce qui concerne Paris, le samedi en question, nous avons bel et bien donné le nombre de forces sollicitées par le préfet de police, compte tenu du niveau de renseignements que nous avions. C'est la gestion opérationnelle de ces forces qui, à mon sens, a été défaillante.

Vous me demandez pourquoi la « loi anti-casseurs » a été déférée au Conseil constitutionnel. Je note – mais vous le savez déjà – qu'il y a eu trois recours sur le texte. Par ailleurs, vous ne pouvez pas penser véritablement que cela pose problème, dès lors que vous-même vous vous êtes abstenu lors du vote, ce qui, du moins je l'imagine, traduit des questionnements – légitimes – sur ce texte.

Madame Pau-Langevin, vous me posez une question pertinente : pourquoi les débordements n'ont-ils pas été contenus avant ? La réponse est que nous avons changé la doctrine entre le 1er et le 8 décembre et que, depuis lors, globalement – j'emploie ce terme parce qu'il ne faut pas oublier qu'il y a eu plus de 15 000 manifestations en France dans le cadre du mouvement des « gilets jaunes » –, la sécurité a été plutôt assurée et l'ordre public plutôt maintenu. Il est vrai que la situation n'est pas satisfaisante ; je vous le dis d'autant plus volontiers que jamais une doctrine n'empêchera une cinquantaine de personnes de faire une descente dans une rue pour tout casser... D'ailleurs, s'il suffisait d'élaborer une doctrine ou de prendre des dispositions législatives pour qu'il n'y ait plus ni cambriolages, ni violences urbaines ni vols en France, cela se saurait. Quoi qu'il en soit, la doctrine a changé, disais-je, et Paris a été protégé, mais il y a eu un dérapage, avec des conséquences extrêmement graves.

Vous évoquez la liaison étroite entre la Préfecture de police et la place Beauvau mais, au moment de l'action – et je ne dis pas cela pour me dédouaner : là n'est pas la question –, c'est celui qui est sur le terrain qui doit diriger, d'autant que je ne crois pas qu'il existe des ministres omniscients, capables de diriger une manoeuvre au « centre Bourse » à Marseille, par exemple. Je pense même que si les ministres, quels qu'ils soient, se mettaient à faire cela, ce serait une faute : l'expérience, que M. Masson évoquait tout à l'heure, est acquise par ceux qui sont sur le terrain. Notre rôle à nous est de leur donner des moyens, des orientations, une doctrine et, dans la mesure du possible, de les protéger chaque fois que cela est nécessaire.

Monsieur Bernalicis, vous avez parlé de désescalade à Lille. Tout au contraire, samedi dernier, à Lille, le niveau de dégradations par des casseurs a été le plus élevé jamais atteint. Or ce n'est pas la conséquence de la désescalade car, je puis vous le dire, les instructions que j'ai données personnellement au préfet en charge à Lille, Michel Lalande, ont été d'être aussi ferme qu'à Paris. Quand les Black Blocs, qui s'étaient donné rendez-vous à Lille, ont commencé à agir, la réponse a été d'une très grande fermeté. Je n'ai donc pas la même lecture que vous.

Vous pensez que Mme Legay a « sauvé notre honneur ». Je lui souhaite un prompt rétablissement mais je ne pense pas que l'on sauve l'honneur de qui que ce soit – surtout de parlementaires ou de ministres – en méconnaissant la loi républicaine. En l'espèce, nous avions décidé d'interdire un périmètre à toute manifestation. Le fait était connu. Des personnes s'y sont quand même rendues et, y compris après discussion avec les policiers – car ces derniers sont allés au contact pour parler avec les manifestants, qui étaient en petit nombre, et leur rappeler que la manifestation était interdite – et en dépit des sommations, elles sont restées.

Vous avez mis en cause le directeur général de la police nationale, en vous interrogeant sur ce qu'il fait. Je vous précise qu'il travaille à nos côtés, aussi bien à la définition de la doctrine qu'à la répartition des forces de gendarmes, de policiers et de CRS, car il est de sa responsabilité de nous faire des propositions en la matière. S'agissant de l'ordre public à Paris, il ne fait rien parce qu'il n'a aucune compétence fonctionnelle dans ce domaine ; je tenais à vous le préciser.

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