Intervention de Ugo Bernalicis

Séance en hémicycle du mardi 2 avril 2019 à 21h45
Débat sur la fiscalité et les dépenses publiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaUgo Bernalicis :

Au-delà des propositions qui ont été rappelées tout à l'heure par Adrien Quatennens, le groupe La France insoumise entend insister ce soir sur l'enjeu que représente l'efficacité de la lutte contre la délinquance financière, qui constitue non seulement un défi financier de premier plan mais aussi un enjeu d'égalité devant la loi et de cohésion sociale.

En effet, et je pense que nous pourrons être d'accord sur ce point, l'inefficacité supposée ou réelle de l'action de l'État renvoie l'image d'une complaisance à l'égard des criminels en cols blancs, qui, aux yeux de la majorité des contribuables, nuit gravement à la légitimité du système fiscal français.

Cette injustice paraît encore plus grande lorsqu'on la compare à la sévérité qui caractérise la répression des infractions financières commises par des citoyens en situation de précarité, comme une erreur de déclaration auprès d'une caisse d'allocation de prestation sociale. Cette injustice, que le sociologue Alexis Spire qualifie de « pénalisation à deux vitesses », alimente des revendications portées sur les ronds-points par les gilets jaunes.

De fait, on entend souvent parler d'une justice à deux vitesses, de l'affaire Cahuzac, des Panama Papers, des Paradise Papers. Ici ou là, des détournements de fonds publics défraient la chronique. Même M. Benalla semble avoir mis de côté quelques centaines de milliers d'euros grâce à des contrats juteux, et nous avons récemment appris qu'il avait loué une villa au Maroc. Tout cela accrédite l'idée que la justice ne s'exerce pas de la même manière sur les puissants et sur le reste des Françaises et des Français.

Je regrette que les moyens ne soient pas mis pour lutter le plus efficacement possible contre cette délinquance. Dans un rapport que je viens de remettre avec mon collègue de la majorité Jacques Maire, nous montrons qu'elle explose dans tous les domaines, par ses montants mais aussi par le nombre de victimes touchées.

Plus d'un ménage sur dix a subi plusieurs escroqueries bancaires distinctes au cours de l'année ; 1,7 million de personnes de plus de 14 ans se sont dites victimes d'une arnaque en 2017 ; 15 millions de personnes, soit 30 % de la population, ont été victimes d'une arnaque au cours de leur vie. C'est énorme.

L'autre matin, monsieur Darmanin, je vous ai écouté sur RMC. Interrogé sur notre rapport, vous avez expliqué que l'action du Gouvernement était volontariste, que tout allait bien et qu'une police fiscale allait d'ailleurs être créée à Bercy. Mais ce n'est pas avec trente personnes de plus que vous allez régler la situation ! Trente personnes pour tout le pays !

La brigade nationale de répression de la délinquance fiscale – BNRDF – qui fait partie de la police judiciaire et qui est actuellement chargée des missions que vous allez confier à la police fiscale compte quarante-trois personnes : elle est déjà en sous-effectif et croule sous les dossiers ! Ne dites pas non, monsieur le ministre. Nous sortons tout juste de nos travaux, j'espère que vous lirez attentivement le rapport de la mission. L'évaluation que j'ai menée m'a permis de relever un manque de moyens humains et matériels qui constitue une entrave majeure à la lutte contre la délinquance financière.

En effet, les nombreux directeurs et responsables des services d'enquête auditionnés nous ont fait part, de manière quasiment unanime, d'une situation de sous-effectif structurelle, affectant leur activité. Par exemple, la direction générale des finances publiques, monsieur le ministre de l'action et des comptes publics, fait face à une baisse d'effectifs massive et constante, de l'ordre de 17 % entre 2009 et 2016, soit 2 000 agents en moins chaque année. Les baisses d'effectifs vont s'accélérer d'ici à 2022, notamment dans le domaine du contrôle fiscal, alors qu'il devait être sanctuarisé. Cette évolution symbolise la carence chronique et croissante qui affecte l'ensemble des services de lutte contre la délinquance financière. Pour le contrôle fiscal, cela représente, très concrètement, une diminution de 17 % des contrôles sur pièces.

Prenons l'exemple de la fraude à la TVA, qui s'élève à 20 milliards d'euros par an en France – 20 milliards ! – et à 147 milliards dans l'Union européenne : de quoi investir dans des services publics de qualité et résoudre l'équation qui vous semble quasiment insoluble afin d'assurer un maillage territorial de services publics de proximité dans un contexte marqué, selon vous, par l'explosion de la dette et autres éléments de votre rhétorique habituelle ! Face à cet enjeu économique de premier ordre, je regrette le manque de moyens répressifs.

Permettez-moi de vous soumettre une proposition que nous avons formulée, Jacques Maire et moi, pour lutter contre la fraude à la TVA, notamment dans la perspective de l'assujettissement des livraisons intracommunautaires à la TVA : je veux parler de la mise en place du paiement scindé, qui consiste à payer l'entreprise hors taxes, la TVA étant directement collectée par l'administration fiscale. Cela permettrait de restituer 20 milliards au budget de l'État. Certains pays européens le font déjà, à l'instar de l'Italie, qui l'applique à tous ses marchés publics.

Je vous soumets cette idée. Peut-être, si vous l'adoptiez, le grand débat servirait-il à quelque chose ? En tout état de cause, il serait préférable d'adopter des solutions préventives. D'aucuns se demandent pourquoi l'État persiste à confier la collecte de sa principale ressource aux fraudeurs eux-mêmes. Plus globalement, vous le savez, monsieur le ministre de l'action et des comptes publics, il faut augmenter les effectifs, notamment dans le domaine de la justice et de l'intérieur. Au parquet national financier, par exemple, chaque magistrat a trente-deux dossiers à traiter, alors qu'il était prévu, à l'origine, que ce chiffre n'excède pas huit. Il ne faut pas s'étonner, dès lors, que la durée moyenne des enquêtes soit comprise entre six et huit ans ! Cela confirme l'évidence : mieux vaut être délinquant en col blanc qu'aller voler des paquets de pâtes en récidive au supermarché du coin.

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