Intervention de Isabelle de Silva

Réunion du mercredi 13 mars 2019 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Isabelle de Silva, présidente de l'Autorité de la concurrence :

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie de nous accueillir ce matin.

Nous avons été très heureux de cette saisine de la commission des Affaires culturelles de l'Assemblée nationale. Être saisi par le Parlement et par cette commission est peu fréquent. Au regard des enjeux présents, cette saisine arrive au moment opportun, pour définir une vision prospective pertinente du secteur. Nous avions proposé plusieurs diagnostics lorsque nous avions réexaminé les obligations qui pesaient sur Canal +, voilà plus d'un an. Nous avions aussi donné un avis sur la publicité en ligne ; il dressait déjà un premier tableau de cet univers, dans la perspective de la préparation de la loi sur l'audiovisuel. Ce présent avis va encore plus loin.

Nous avons travaillé de manière approfondie. Deux des rapporteurs sont ici présents. Nous avons mené de nombreuses auditions. Tous les acteurs du secteur ont fourni de très riches contributions. Ma seule réserve concerne certains grands acteurs de l'internet, qui nous ont peut-être fourni moins volontiers des informations. Deux journées d'auditions devant le collège ont eu lieu, où chacun d'entre nous a pu prendre conscience de la profondeur des évolutions.

Au terme de ces mois de réflexion, notre constat est que nous faisons face à une disruption majeure du secteur de l'audiovisuel. Les acteurs traditionnels, les chaînes de télévision, continuent de fonctionner, dans une économie qui reste assez solide. Cependant le mouvement de révolution est très profond, notamment dans les usages. Sur le plan technique, nous sommes passés de la diffusion hertzienne à la télévision numérique terrestre (TNT), puis à la télévision par internet. De nouveaux services et de nouvelles chaînes se développent selon un modèle tout à fait différent, uniquement par internet, selon un mode de diffusion délinéarisé.

Cette révolution est constituée de quatre éléments : la révolution technique, la révolution des usages, la révolution des modèles d'entreprise et la disruption dans le cadre réglementaire.

La révolution technique consiste en la diffusion des services de télévision par contournement, ou mode OTT – pour over the top – et en la présentation de bouquets extrêmement riches, pour lesquels les acteurs investissent des sommes considérables afin d'attirer les talents. Voyez les contenus de très grande valeur diffusés par Netflix. Demain, bien d'autres bouquets apparaîtront, comme Disney Fox ou Amazon Prime Video, qui est déjà un produit très attractif. Ce modèle de bouquets d'offres délinéarisées, qui se passe d'un diffuseur particulier, peut devenir le modèle dominant. L'effet YouTube ne doit pas non plus être oublié, même s'il ne se présente pas sous la forme d'une télévision traditionnelle. Il participe de ces nouveaux usages et modes de consommation, et prend du temps d'écoute des spectateurs, qui ne regardent plus la télévision et sont attirés par ces nouveaux modes de visionnage.

La seconde révolution est l'apparition de nouvelles catégories d'entreprises, qui fonctionnent selon un modèle économique tout à fait différent. Les plateformes développent une stratégie mondiale et ont accès à des sources de financement considérables, même si elles ne sont pas encore rentables. Les pertes de Netflix sont colossales, mais la plateforme continue à pouvoir investir massivement dans des contenus. Par ailleurs, les modèles sont différents entre plateformes. Les moyens de Google s'appuient sur les ressources publicitaires. Amazon développe un modèle soutenu par le développement du commerce en ligne. Le point commun de ces plateformes est qu'elles sont mondiales, qu'elles ont accès à des ressources qui paraissent sans limites et qu'elles se constituent des bases d'utilisateurs mondiales. Elles bénéficient d'effets de réseaux et d'investissements dans des technologies innovantes et dans les contenus – il faut leur reconnaître ce mérite. Parfois, elles jouent, dans leur stratégie, sur des modes d'optimisation fiscale, qui ne sont pas offerts aux acteurs traditionnels français.

Le déséquilibre réglementaire est frappant entre les règles qui pèsent sur les acteurs traditionnels et le cadre dans lequel évoluent Netflix ou Amazon. Netflix peut construire sa grille de programmes sans aucune contrainte, si ce n'est la chronologie des médias, et peut investir et produire des contenus en possédant la totalité des droits en exclusivité. À l'inverse, nous avons fait la liste de toutes les contraintes qui pèsent sur les acteurs traditionnels, notamment pour le financement de la production. La complexité est frappante : types de contenus à produire, part de production indépendante, définition de cette part, etc., autant de questions qui forment un ensemble de contraintes très lourd. Ainsi, les acteurs traditionnels sont incapables de posséder la totalité des droits sur les programmes qu'ils financent, y compris pour proposer une chose aussi simple que le replay des différentes saisons d'une série qu'ils ont financée. Ces inconvénients pèsent très lourdement face à la concurrence d'autres services très attractifs.

Il est nécessaire de retrouver un équilibre, au sein d'un ensemble de contraintes construites à la suite de la loi de 1986 pour des motifs très divers : certaines règles limitent la publicité à la télévision, il existe des secteurs et des jours de diffusion interdits, etc. Chacune de ces dispositions répondait à des préoccupations particulières. Toutefois, quel contraste entre la concurrence frontale de ces deux catégories d'acteurs et le déséquilibre de l'environnement économique ! Entre, d'une part, une somme de contraintes et de lourdeurs et, d'autre part, une très grande flexibilité ! Voyez l'exemple de la publicité. Certaines télévisions ne peuvent faire de la publicité régionalisée, et encore moins ciblée, alors que les acteurs de la publicité en ligne peuvent proposer de la publicité ciblée sur l'individu, en temps réel et en fonction de sa navigation. Nous sommes face à deux extrêmes. Cette différence de traitement nous interroge.

Mme Flüry-Hérard, vice-présidente de l'Autorité, a directement piloté cet avis. Elle est une experte de longue date du secteur audiovisuel et ses connaissances ont été extrêmement précieuses. Je lui cède la parole.

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