Intervention de Julien Boucher

Réunion du mercredi 3 avril 2019 à 9h35
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Julien Boucher :

Le droit d'asile est un droit fondamental, profondément ancré dans notre tradition républicaine, inscrit dans le préambule de la Constitution de 1946 et auquel le constituant a réaffirmé son attachement en 1958 et, plus récemment encore, en 1993. Il s'agit d'un droit qui est également consacré au niveau multilatéral par la Convention de Genève et le protocole de 1967, ce qui en fait un élément important de l'ordre multilatéral actuel. Enfin, il occupe une place éminente dans l'ordre juridique de l'Union européenne.

Le Président de la République a bien voulu proposer mon nom pour exercer les fonctions de directeur général de l'établissement qui a pour mission de faire vivre et d'incarner ces principes éminents, c'est-à-dire l'OFPRA. En tant que fonctionnaire, en tant que juriste et en tant que citoyen, c'est pour moi un grand honneur et, je dois le dire aussi, une grande émotion, d'être accueilli aujourd'hui devant votre Commission pour lui permettre de se prononcer sur les mérites de cette proposition.

Je consacrerai mon propos liminaire à présenter la manière dont j'envisage ma mission à l'OFPRA, ce qu'est ma compréhension des enjeux auxquels il est aujourd'hui confronté et des moyens d'y faire face. Je le ferai avec modestie et prudence car, par hypothèse, je n'ai à ce jour de cet établissement qu'une connaissance extérieure, qui méritera, si je suis nommé, d'être approfondie, et je veux surtout me garder d'arriver avec des idées reçues.

Comme vous le savez, l'OFPRA a pour mission principale de déterminer, à l'issue d'un examen individuel donnant lieu à un entretien entre le demandeur et un officier de protection, le droit à une forme ou une autre de protection internationale, soit le statut de réfugié ou la protection subsidiaire, plus marginalement la qualité d'apatride. Je précise au passage que le rôle de l'Office ne se limite pas à cette détermination du bien-fondé des demandes d'asile, puisqu'il lui appartient également d'assurer la protection des personnes qui ont obtenu ce statut, principalement par la délivrance des pièces tenant lieu de documents d'état civil. C'est une mission moins connue mais qui êtes essentielle à mon sens, pour la bonne intégration des intéressés et leur accès à l'ensemble des droits associés à leur statut.

Ces missions, à mon sens, doivent être exercées avec bienveillance, rigueur et indépendance ; ce sont en tout cas, si je suis nommé, les principes qui inspireront mon action. La bienveillance d'abord, parce qu'on est face à un public de personnes particulièrement vulnérables. Il ne faut donc pas passer à côté du besoin de protection et, pour cela, il faut créer les conditions de l'expression pleine et entière de ce besoin, notamment lors de l'entretien individuel, qui est l'étape clé du parcours. Bien évidemment, cette nécessaire bienveillance ne doit pas être de la complaisance ou de la naïveté, et il faut être attentif aux tentatives éventuelles de fraude ou de détournement de l'asile.

La rigueur ensuite, car l'asile est un droit, ce n'est pas une faveur. Il repose sur des critères précis qui sont fixés par les textes que j'ai mentionnés en introduction, notamment la Convention de Genève : ces textes doivent être appliqués intégralement mais exclusivement. Le droit d'asile ne doit pas être galvaudé. La décision sur la demande d'asile doit être prise dans le strict respect du droit, au vu d'une évaluation approfondie de la situation du demandeur. À cet égard, l'OFPRA a la chance de pouvoir s'appuyer sur les compétences d'agents extrêmement qualifiés, qui sont d'ailleurs reconnus au niveau européen et international pour leur professionnalisme.

L'indépendance enfin, car elle est expressément prévue par la loi désormais. L'objectif de cette indépendance – je l'ai mentionné dans mes réponses au questionnaire – est que les décisions sur les demandes d'asile soit prises en fonction des seuls critères prévus par les textes et indépendamment de toute considération diplomatique ou de politique migratoire. La nécessité de préserver, à cet égard, la spécificité de l'asile, a d'ailleurs été fortement réaffirmée à plusieurs reprises par le Président de la République. Cette indépendance engendre pour l'Office une responsabilité particulière, qui se traduit notamment par l'obligation de rendre un compte scrupuleux de son action. Elle doit également être conciliée avec la tutelle administrative et financière du ministre de l'Intérieur, qui se matérialise par l'existence d'un contrat d'objectifs et de performance, qui devrait être prochainement renouvelé.

De l'avis général, l'OFPRA est un établissement en bonne santé et d'une grande efficacité. Cela doit beaucoup à l'action du précédent directeur général, Pascal Brice, et je souhaite lui rendre ici hommage.

L'établissement est certes confronté à certains défis, dont le principal est bien évidemment la hausse de la demande d'asile, une hausse continue dans la période récente, de l'ordre de 20 % entre 2017 et 2018 : en 2018, ce sont ainsi plus de cent vingt mille demandes qui ont été déposées.

La priorité dans les mois à venir sera donc de mettre l'Office en mesure de faire face dans les meilleures conditions à cette demande, ce qui signifie faire bénéficier les demandeurs d'asile de l'intégralité de leurs droits, assurer aux agents de l'Office les moyens de bien assurer leur mission et poursuivre les efforts de réduction des délais de traitement des demandes. L'objectif en la matière est clair, il a été affirmé par le Président de la République et dans le plan d'action du Gouvernement : six mois pour l'ensemble de la chaîne de traitement de l'asile, ce qui veut dire deux mois en ce qui concerne l'Office.

Des progrès importants ont été réalisés sur ce plan dans les dernières années grâce au renforcement des moyens humains, qui ont considérablement augmenté, grâce à des réformes, notamment de procédure, qui ont été mises en place au sein de l'établissement et, par-dessus tout, grâce à l'engagement des agents. Il faudra poursuivre cet effort, notamment en donnant leur plein effet aux réformes récemment entreprises en ce qui concerne les délais de convocation et de notification des décisions, en fonction de la dynamique de la demande d'asile, qui ne paraît pas faiblir en ce début d'année 2019. La question de l'augmentation des moyens alloués à l'OFPRA pourra ainsi se poser.

À moyen terme, il me semble important, comme je l'ai indiqué dans mes réponses au questionnaire, et je n'y reviens donc pas en détail, d'oeuvrer à ce que l'Office soit toujours davantage capable de s'adapter rapidement aux évolutions de la demande d'asile. Celle-ci évolue non seulement numériquement mais aussi en ce qui concerne la répartition des demandeurs par pays d'origine, leur localisation sur le territoire national et les motifs invoqués. Il faut que l'Office soit en mesure de s'adapter à cette demande d'asile qui est mouvante par nature.

L'un des éléments qui contribuent à cette adaptabilité est la capacité de l'OFPRA à se projeter « hors les murs », comme on dit, c'est-à-dire en dehors de son siège de Fontenay-sous-Bois, que ce soit sur le territoire national, dans le cadre des missions de relocalisation dans l'Union européenne ou dans celui des missions de réinstallation dans certains pays tiers.

Un autre défi important pour l'Office consistera à apporter sa contribution à la recherche et à la mise en oeuvre d'un nouvel équilibre pour le droit d'asile en Europe. Comme je l'ai indiqué dans mes réponses au questionnaire, là encore, la renégociation du paquet « asile » et notamment du règlement « Dublin » est d'abord une responsabilité du Gouvernement, mais l'OFPRA y est évidemment intéressé à double titre : d'abord parce qu'il peut apporter son expertise au Gouvernement dans le cadre des négociations et, ensuite, parce qu'il sera un acteur essentiel des nouveaux mécanismes qui seront mis en place, en particulier ceux de solidarité qui seront nécessaires pour trouver un nouvel équilibre. Vous le savez, l'Office a déjà largement participé à la mise en oeuvre de ces actions de solidarité. J'ai évoqué les missions de relocalisation, mais il y a aussi celles dites de solidarité qui ont notamment été organisées l'année dernière pour instruire les demandes de passagers de navires menant des opérations de recherche et de sauvetage en Méditerranée.

Une autre contribution de l'OFPRA au bon fonctionnement du système « Dublin » consistera, à mon sens, à oeuvrer au rapprochement des pratiques décisionnelles des différents États membres : c'est un facteur objectif de dysfonctionnement à l'heure actuelle. Cela peut se faire, sans doute, par le dialogue bilatéral avec les agences des grands pays d'accueil des demandeurs d'asile, mais aussi dans le cadre du Bureau européen d'appui en matière d'asile, auquel une Agence de l'Union européenne pour l'asile a vocation à succéder.

Pour faire face à ces enjeux, et je terminerai sur ce point, je veux vous faire part de deux éléments de méthode qui me guideront dans mon action si je suis nommé.

Le premier élément, auquel j'ai déjà fait allusion, procède de la conviction que rien ne pourra se faire sans l'engagement des agents de l'Office. Préserver le sens de leurs missions et assurer la qualité de leur vie au quotidien seront pour moi des préoccupations constantes. Je l'ai indiqué dans mes réponses écrites : la forte augmentation des effectifs de l'OFPRA au cours de la période récente est un défi organisationnel, de gestion des ressources humaines et de formation auquel il faudra continuer de répondre. Plus généralement, il est important que les métiers de l'Office soient valorisés, notamment celui d'officier de protection, qui est central mais pas exclusif. C'est un métier difficile, qui confronte les agents à des situations humaines complexes et nécessite à la fois une grande rigueur et une capacité d'empathie. Il faut reconnaître ces missions et ces contraintes à leur juste valeur. Je veillerai, sur ce point, à la qualité du dialogue avec les organisations syndicales au sein de l'établissement.

Ma deuxième ligne de conduite consistera à assurer la qualité du dialogue de l'Office avec l'ensemble des partenaires. L'OFPRA est un acteur essentiel de la politique de l'asile, mais il n'est pas le seul. Il y a aussi les préfectures, l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) et les associations, qui jouent un rôle déterminant dans l'accueil et l'accompagnement des demandeurs d'asile. Il faut pouvoir travailler, sans que cela gomme les spécificités du métier de l'Office, avec l'ensemble des acteurs de la chaîne de l'asile et aussi, en bout de course, avec le juge de l'asile – la Cour nationale du droit d'asile (CNDA). Mon parcours me sensibilise particulièrement à la nécessité de prendre en compte ses contraintes et sa jurisprudence.

Je me présente devant vous en ayant conscience de ne pas être un spécialiste de l'asile, comme je l'ai indiqué en réponse au questionnaire. Néanmoins, j'ai aussi mentionné les raisons pour lesquelles je pense que les compétences que j'ai acquises au cours de mon parcours professionnel peuvent être utiles à l'Office. Si je suis nommé directeur général, vous pouvez être assurés que je m'acquitterai de cette mission avec humilité, avec rigueur, je l'ai dit, mais aussi avec détermination et, je crois pouvoir l'affirmer, avec passion.

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