Intervention de Bénédicte Kail

Réunion du mardi 2 avril 2019 à 16h30
Commission d'enquête sur l'inclusion des élèves handicapés dans l'école et l'université de la république, quatorze ans après la loi du 11 février

Bénédicte Kail, conseillère nationale éducation-familles au sein d'APF France Handicap :

Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, je tiens tout d'abord à vous remercier pour votre invitation. Comme vous l'avez indiqué, madame la présidente, je suis conseillère éducation familles à APF France Handicap, une association de défense des personnes en situation de handicap, qui accompagne les familles dans leurs démarches, et qui gère également des instituts d'éducation motrice (IEM), des instituts médico-éducatifs (IME) et des services d'éducation spécialisée et de soins à domicile (SESSAD).

J'ai écouté les auditions des 19 et 26 mars ; je ne reviendrai pas sur un certain nombre des constats qui ont été faits et que nous partageons. Je souhaite centrer mon intervention sur un sujet qui a été peu abordé, à savoir les difficultés que rencontrent les enfants dans leur parcours scolaire et, plus spécifiquement, les difficultés des familles à maintenir leur enfant en milieu ordinaire, lorsqu'il y a été admis au départ.

Il est vrai que le nombre d'enfants scolarisés en milieu ordinaire – en y incluant les unités localisées pour l'inclusion scolaire (ULIS) – a plus que doublé depuis la loi de 2005, et on ne peut que s'en féliciter. Pourtant, de trop nombreuses familles constatent avec amertume que plus leur enfant avance dans sa scolarité, plus il a de difficultés à rester ou à être accepté en classe ordinaire. On lui proposera d'abord d'être accompagné par un dispositif ULIS et dans un certain nombre de cas, on l'éjectera, plus ou moins rapidement, vers un établissement spécialisé. Selon la direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) du ministère de l'éducation nationale, à six ans, 85 % des élèves en situation de handicap sont scolarisés en classe ordinaire, mais ils ne sont plus que 46 % à dix ans. A contrario, à dix ans, 10 % des élèves en situation de handicap sont en unité d'enseignement dans le médico-social, mais ils sont 18 % à douze ans, et 24 % à seize ans.

Lorsqu'on échange avec les familles et les professionnels, on s'aperçoit que les ruptures se font à chaque transition, au moment de l'entrée à l'école élémentaire, puis au collège, et que la rupture la plus importante a lieu durant le collège. Selon la DEPP, on comptait, au cours de l'année 2017-2018, tous types de scolarisation confondus – unités d'enseignement comprises –, 96 900 adolescents en situation de handicap au collège et seulement 31 100 au lycée. En réalité, on a à peu près 28 000 élèves par niveau en élémentaire, 24 000 au collègue et seulement 10 000 au lycée. Cela montre que l'école ne fait une place aux élèves handicapés qu'à condition qu'ils soient capables de s'adapter à l'école : nous sommes toujours dans une logique d'intégration. Or l'intégration montre ses limites dès lors que l'écart entre l'enfant et les normes scolaires devient trop important, car le besoin n'est plus seulement un besoin de compensation, mais d'accessibilité et de mise en accessibilité des savoirs.

On note des différences selon la nature des troubles, puisqu'on éjecte davantage les élèves qui ont des troubles cognitifs ou des troubles du spectre de l'autisme que ceux qui ont un trouble moteur ou visuel, et selon l'origine sociale des familles, parce qu'il faut être en mesure de se battre pour maintenir son enfant à l'école. À APF France Handicap, nous considérons qu'il faut travailler à réduire ces écarts pour éviter les ruptures et faire en sorte que tous les enfants en situation de handicap puissent être scolarisés en classe ordinaire avec les enfants de leur âge.

Cela passe par des aménagements et des adaptations pédagogiques, pour que les élèves puissent suivre les enseignements : proposer plusieurs approches pour répondre à un objectif d'apprentissage, utiliser des codes couleur pour expliciter les consignes, diminuer le nombre d'exercices ou de questions lors d'une évaluation et, lorsque ce n'est plus suffisant, cela doit aller jusqu'à la mise en place d'une programmation adaptée des objectifs d'apprentissage lorsque le niveau n'est pas homogène – par exemple lorsque l'élève a des objectifs de CM1 en sciences et de CE2 en français – ou lorsque le niveau est très éloigné du programme. Théoriquement, tout ceci est déjà possible, via le projet personnalisé de scolarisation (PPS), notamment dans son document de mise en oeuvre ; c'est du ressort des enseignants, mais il est évident que les accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH) peuvent aider à sa mise en oeuvre.

Le problème vient de ce que les enseignants référents sont surchargés, que l'évaluation des besoins, via le guide d'évaluation des besoins de compensation en matière de scolarisation (GEVA-Sco), ne permet pas toujours de proposer des PPS suffisamment précis – quand les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) ne refusent pas de les rédiger –, que le document de mise en oeuvre du PPS est très peu utilisé et que les enseignants se heurtent à de multiples obstacles lorsqu'ils tentent d'introduire ces aménagements et ces adaptations pédagogiques : manque de formation initiale, classes à effectifs trop importants, manque de temps de concertation avec les enseignants « ressources », qui ne sont pas assez nombreux, et avec d'autres professionnels, comme les paramédicaux et les professionnels du médico-social. Je donnerai un dernier chiffre pour illustrer ce décalage : le nombre d'enseignants référents a augmenté de 58,5 % depuis 2006, alors que le nombre d'élèves en situation de handicap en milieu ordinaire a augmenté de 240 % – ce taux peut être ramené à 185 % si l'on prend en compte les 78 000 élèves scolarisés dans les unités d'enseignement, dont les effectifs restent relativement stables. Compte tenu de ce décalage, on comprend combien il peut être difficile, pour des enseignants référents, de suivre autant de dossiers.

Selon nous, il faut avant tout permettre aux enseignants de jouer pleinement leur rôle. Je vais détailler sept des trente propositions que nous vous avons envoyées par écrit.

La première consiste à prévoir, dans le cahier des charges de la formation initiale, un module relativement important sur les besoins en matière d'apprentissage des élèves en situation de handicap et sur les adaptations pédagogiques possibles. A priori, cette disposition a été introduite dans le projet de loi pour une école de la confiance et nous sommes en train de travailler, au sein du Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH), pour définir nos attendus en la matière.

Nous proposons, deuxièmement, de mettre en place dès la rentrée scolaire un dispositif de soutien à tout enseignant qui accueille un enfant ayant des besoins particuliers, notamment par la mise en place de pôles ressources. APF France Handicap espère que les pôles inclusifs d'accompagnement localisés (PIAL) joueront ce rôle.

Troisièmement, nous proposons de réduire les effectifs des classes à vingt élèves, dès lors qu'elles comptent un élève avec un PPS ou un projet d'accompagnement personnalisé (PAP).

Quatrièmement, nous proposons d'augmenter le temps consacré à la concertation dans le service des enseignants. À l'heure actuelle, sur les 108 heures annuelles de service, seules quarante minutes peuvent être consacrées chaque semaine à la concertation, ce qui est tout à fait insuffisant.

Cinquièmement, nous proposons de développer l'utilisation des programmations adaptées des objectifs d'apprentissage, afin de déculpabiliser les enseignants qui dérogent ainsi aux programmes scolaires, tout en s'y référant, en accord avec leur hiérarchie.

Sixièmement, nous proposons d'augmenter le nombre d'enseignants référents, de façon à limiter à cent le nombre de dossiers qu'ils traitent.

Septièmement, nous proposons d'introduire un document unique, qui remplacerait le GEVA-Sco, le PPS et le document de mise en oeuvre du PPS. Ce document, qui partirait des besoins de l'enfant, détaillerait tous les aménagements et toutes les adaptations pédagogiques nécessaires. Il engagerait l'Éducation nationale et offrirait des moyens de recours aux familles en cas de non-application.

Chez APF France Handicap, nous sommes convaincus que les enseignants sont en mesure de répondre aux objectifs d'une école inclusive, associant personnalisation et pédagogie différenciée, parce que c'est leur métier. Encore faut-il leur donner les moyens de le faire et les soutenir, ce qui suppose une politique volontariste et un investissement humain. C'est à cette condition seulement que nous pouvons espérer avoir, un jour, une école réellement inclusive et voir disparaître jusqu'aux unités d'enseignement, au profit d'une scolarisation en classe ordinaire, capable de s'appuyer sur des plateaux techniques, des espaces de soins et de repos installés dans les écoles et une collaboration étroite avec les professionnels du médico-social. C'est ce que recommande la rapporteure spéciale des Nations unies pour les droits des personnes handicapées, Mme Catalina Devandas Aguilar, et nous en sommes encore très loin.

Parce qu'il n'a presque pas été question de l'enseignement supérieur, je vous suggère, pour finir, d'auditionner l'association Droit au savoir, dont plusieurs associations ici présentes sont membres, et qui se consacre spécifiquement aux jeunes de plus de seize ans.

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