Intervention de Nathalie Groh

Réunion du mardi 2 avril 2019 à 16h30
Commission d'enquête sur l'inclusion des élèves handicapés dans l'école et l'université de la république, quatorze ans après la loi du 11 février

Nathalie Groh, présidente de la Fédération française des Dys :

Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie de nous avoir invités à venir parler des troubles « dys ». Je signale que la Fédération française des Dys est la seule association non gestionnaire autour de cette table.

Une personne sur dix, en France, est potentiellement touchée par un trouble « dys ». Les scientifiques estiment en effet que 8 % à 10 % de la population sont concernés, ce qui n'est pas négligeable. Ce trouble, en France, n'est reconnu que depuis 2001. Auparavant, il se cachait derrière l'échec scolaire ou dans les établissements médico-sociaux, mais on ne mettait pas de nom sur le problème des enfants concernés.

Les troubles spécifiques du langage et des apprentissages relèvent de la dyslexie – ne pas arriver à lire –, de la dysorthographie, qui est fréquente en France, compte tenu de la difficulté de l'orthographe, de la dysphasie, qui concerne le langage oral, de la dyspraxie, qui concerne la coordination des gestes, et de la dyscalculie. Les choses seraient assez simples si les enfants souffraient d'un seul trouble, mais il se trouve qu'ils s'associent, ce qui complique le diagnostic –il ne suffit donc pas d'une orthophoniste pour poser un diagnostic. Alors que ces troubles ont été reconnus en 2001 en France, il a fallu attendre dix-sept ans pour que la Haute Autorité de santé (HAS) publie, en janvier 2018, un guide sur les troubles « dys ». Elle y propose des solutions pour améliorer le parcours de prise en charge et précise que les neuropsychologues sont les professionnels les plus à même d'établir un diagnostic.

J'en viens à l'inclusion. Les troubles spécifiques du langage et des apprentissages constituent un large spectre de difficultés et de besoins pour les enfants qui en sont atteints. Depuis le trouble léger jusqu'au handicap sévère, tous les cas de figure existent. Certains enfants sont clairement dans le champ réglementaire du handicap, tant leurs difficultés et leurs besoins sont importants. D'autres n'y sont pas, mais leurs besoins n'en sont pas moins réels et peuvent conduire à des situations de handicap s'ils ne sont pas pris en compte. Ces enfants et leurs familles manquent de réponses adaptées. En effet, tout se passe comme si le système était binaire, sur le mode « oui-non » : si vous êtes handicapé au sens réglementaire, vous avez un droit ; sinon, non. Si l'on n'arrive pas à se faire reconnaître, si l'on n'arrive pas à faire établir un diagnostic, on n'a aucun droit. Or de nombreux enfants ne sont diagnostiqués que bien après l'âge de dix ans, voire au lycée ! Certains rencontrent même des difficultés après le baccalauréat. La logique de l'inclusion doit permettre de sortir de cette insularité du handicap, qui fait que si vous n'êtes pas reconnu comme handicapé, on ne vous aide pas. Si l'on pense « inclusion », les réponses doivent être graduées, lissées, de manière à répondre à la réalité des situations.

Je voudrais insister sur deux thèmes : la prévention, c'est-à-dire le repérage et le dépistage, et la formation. Pour nous, c'est la seule solution. Si nous ne développons pas à la fois la prévention et la formation, nous n'y arriverons pas et, dans dix-sept ans, je vous tiendrai exactement le même discours. Or je souhaite, pour les générations futures, que les choses changent.

De nombreux enfants ne sont pas diagnostiqués avant l'âge de dix ans – nous avons fait une enquête –, notamment les dyslexiques. Pourtant, le fait de ne pas savoir lire en France est un réel handicap. Ces enfants parlent bien, ils ont une intelligence normale, mais ils ne savent pas bien lire et écrire. Quand vous consultez un ergothérapeute, un psychomotricien ou un neuropsychologue pour établir un diagnostic, vous pouvez avoir un reste à charge supérieur à 1 500 euros, ce qui est énorme. L'article 62 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 a introduit, et c'est une avancée, le forfait précoce. Hélas, il ne va pas au-delà de six ans, ce qui signifie que 80 % des enfants « dys » ne pourront pas en bénéficier.

Alors que plusieurs tests ont été spécifiquement conçus pour les enseignants, nombre d'entre eux ne les connaissent pas. Ils ne sont donc pas à même de repérer les enfants atteints de troubles « dys ». Par ailleurs, le manque de médecins scolaires, qui est de plus en plus préoccupant dans certains territoires, ne permet plus d'effectuer un dépistage systématique. Or, pour ces jeunes, cette absence de diagnostic ne peut qu'être lourde de conséquences, sur la prise en compte de leurs difficultés, sur la mise en place des aménagements nécessaires, voire sur leur orientation, qui souvent se fait « par défaut ». En l'absence de questionnement sur la raison des difficultés de l'élève, celui-ci est dit feignant, limité ou agité : autant de qualificatifs inappropriés. Ainsi dévalorisé, l'enfant se construira différemment de ses camarades et perdra confiance en lui et, surtout, dans l'institution.

Lors de l'élaboration de la loi de refondation de l'école en 2013, la Fédération française des Dys avait proposé plusieurs amendements, et notamment qu'un module spécifique sur les troubles spécifiques du langage et des apprentissages soit intégré au tronc commun au sein de chaque école supérieure du professorat et de l'éducation (ESPE), pour que tous les futurs professeurs en entendant au moins parler. J'ai croisé des professeurs de français, qui ont eu la chance d'avoir des conférences sur les troubles « dys » au sein de leur établissement, parce que les associations de parents se mobilisent et font de conférences le soir. L'une de ces enseignantes m'a dit qu'elle ne connaissait pas ces troubles, alors qu'elle enseignait depuis trente ans Elle croyait connaître la dyslexie, mais elle ne parvenait pas à comprendre comment un élève qui n'arrive pas bien à lire peut comprendre « tout court ». Tout cela pour vous dire qu'il y a encore du travail à faire !

S'agissant de la formation continue, nous proposons que, dès le premier trimestre de l'année scolaire, un enseignant qui a dans sa classe des élèves en situation de handicap bénéficie d'une aide pour adapter son enseignement. Dans toutes les équipes de suivi, la première chose que demandent les enseignants aux orthophonistes et aux ergothérapeutes, c'est comment ils doivent faire dans leur classe. La réponse à cette question est extrêmement complexe. Que répondre aux enseignants qui veulent bien faire ? Aux professionnels de santé qui essaient de trouver des solutions pour compenser le handicap ? La HAS a mis en évidence une chose formidable : tout seul, on n'y arrive pas. Il faut que l'éducation nationale, les médecins et le médico-social travaillent ensemble. Ce n'est pas en plaquant des solutions toutes faites que nous y arriverons, parce que chaque enfant est différent.

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