Intervention de Ali Rabeh

Réunion du mardi 2 avril 2019 à 16h30
Commission d'enquête sur l'inclusion des élèves handicapés dans l'école et l'université de la république, quatorze ans après la loi du 11 février

Ali Rabeh, directeur de cabinet du président de la Fédération des associations pour adultes et jeunes handicapés (APAJH) :

Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, je vous prie tout d'abord de bien vouloir excuser l'absence du président de la Fédération des APAJH, M. Jean-Louis Garcia.

Nous vous remercions pour votre invitation qui va me permettre d'énoncer, en quelques mots, quelles sont pour nous les priorités pour faire de l'école un espace réellement inclusif et sortir effectivement des incantations ou des déclarations qui parfois, quinze ans après le vote de la loi de 2005, n'entrent toujours pas dans la vie réelle des familles.

C'est en constatant les carences de l'éducation nationale que des enseignants ont décidé de créer l'APAJH, en 1962, afin de proposer des solutions de placement pour les enfants en situation de handicap qui ne trouvaient pas de solution à l'école. Elle est dorénavant gestionnaire d'établissements médico-sociaux. Elle a grandi puisqu'elle gère non pas 650 établissements mais 750 établissements et services, et qu'elle mobilise 14 000 collaborateurs au service des personnes en situation de handicap.

Je tiens à vous féliciter pour avoir pris l'initiative de créer cette commission d'enquête. Il est en effet plus que jamais nécessaire d'évaluer l'effectivité de la loi du 11 février 2005 et de se doter d'indicateurs d'évaluation précis qui manquent aujourd'hui cruellement en ce qui concerne la scolarisation des enfants en situation de handicap.

Nous demandons à chaque rentrée scolaire et quelques mois après la rentrée scolaire les chiffres de la rentrée, le nombre d'élèves scolarisés à l'école, le nombre d'élèves qui n'ont pas pu rejoindre leurs camarades de classe sur les bancs de l'école, le nombre d'heures réelles d'inclusion au sein de l'école pour les élèves qui ont la chance d'être scolarisés. Tous ces éléments nous manquent et nous ne pouvons pas, année après année, mesurer de façon tangible, rationnelle, transparente la situation de la scolarisation des enfants en situation de handicap dans notre pays. Ceci crée un vrai problème de confiance entre les associations que nous représentons, les gouvernants et, bien évidemment, les familles, qui ne peuvent pas savoir, quand elles ont un enfant en situation de handicap, si la situation s'améliorera dans les années à venir, si elle est en train de s'améliorer ou si, au contraire, nous stagnons, voire régressons.

Il est donc plus qu'opportun d'évaluer l'application de la loi du 11 février 2005 et d'engager – pourquoi pas ? – une nouvelle dynamique, pas forcément une initiative législative, mais en tout cas pour la mise en oeuvre des grands principes de la loi qui, pour ce qui nous concerne, nous conviennent.

Les retours de terrain que nous avons – nos services reçoivent régulièrement des appels de parents et nous sommes interpellés à chaque rentrée, voire dès le mois d'août – font état d'une progression certes quantitative de la scolarisation des enfants en situation de handicap, mais pas nécessairement qualitative. Nous mesurons que de nombreux élèves restent à la porte de l'école à la rentrée, que certains fréquentent l'école de manière très partielle alors qu'ils sont intégrés dans les statistiques et dans le nombre de 340 000 élèves scolarisés, et que les temps d'accompagnement individuel qui ne respectent pas les notifications des MDPH sont monnaie courante. Nous avons également des retours de la part des AESH, dont le statut est précaire et qui sont trop peu qualifiés, ce qui pose des difficultés au quotidien. Nous sommes également interpellés sur les ruptures de parcours, encore trop fréquentes tout au long de l'année et de la scolarité des enfants, sur les choix d'orientation faits trop souvent par défaut à l'arrivée au collège et au lycée qui ne permettent pas aux enfants de choisir leur orientation, puis leur métier, en toute connaissance de cause, comme tout un chacun.

Nous regrettons également que les ULIS quand elles existent, ou les unités d'enseignement externalisées, soient trop faiblement partie prenante de la vie d'établissement et du projet d'établissement. On réalise l'inclusion scolaire en développant ces ULIS ou en externalisant ces unités d'enseignement, mais en pratique souvent ce sont deux mondes parallèles qui cohabitent dans le même établissement, qui peuvent éventuellement se croiser dans la cour de récréation mais qui ne partagent pas grand-chose, y compris dans le travail des personnels chargés de les encadrer.

Nous sommes également confrontés à de nombreuses notifications des SESSAD qui n'aboutissent pas – les familles nous interpellent sur ce point. Nous constatons que les poursuites d'études sont rendues complexes et, plus généralement, une faible collaboration entre l'éducation nationale et le champ médico-social. Il est à regretter que le projet de loi pour une école de la confiance, en cours d'examen au Sénat, ne fasse pas la part belle, comme le disait Mme Groh, à la coopération nécessaire entre les acteurs du champ médico-social, les familles et l'éducation nationale. De ce point de vue, nous avons un immense travail à réaliser. La loi peut contribuer à inviter l'ensemble des acteurs à s'engager dans cette voie.

Je voudrais insister sur les disparités territoriales qui affectent l'inclusion des enfants en situation de handicap. Les conditions de scolarisation sont différentes à Paris et à Mayotte, où tout est à construire, la prise en charge du handicap en général étant très défaillante, en particulier l'inclusion scolaire. La République doit à chaque enfant, qu'il vive en métropole ou dans les outre-mer, des conditions de scolarisation identiques, respectables, dignes. Or ce n'est malheureusement pas le cas dans certains départements. On ne peut pas prendre en otage des familles, qui sont soit « assignées à résidence », soit condamnées à déménager pour pouvoir trouver des conditions favorables à l'épanouissement de leurs enfants.

J'en viens aux revendications de l'APAJH sur lesquelles nous prétendons, à partir quelquefois d'expérimentations, montrer ce que pourrait être demain une école pleinement inclusive. Il conviendrait d'abord de renforcer la précocité du diagnostic et de mieux accompagner l'annonce du handicap auprès des familles. Il faut imaginer des solutions d'accueil dès le plus jeune âge, pour permettre aux parents de poursuivre leur vie professionnelle, de ne pas être bouleversés par le diagnostic qui est posé. À ce titre, je citerai l'exemple de la crèche de l'APAJH, située dans les Deux-Sèvres, qui mobilise un tiers des places pour les enfants en situation de handicap dès le berceau, ce qui permet de construire dès le plus jeune âge des parcours inclusifs, de la crèche jusqu'à la fin de la vie scolaire.

Tout n'est pas parfait en ce qui concerne l'externalisation des unités d'enseignement, mais cela doit être la norme. L'APAJH milite pour l'externalisation de l'ensemble des unités d'enseignement et pour que soit adapté le nombre d'enseignants référents. Actuellement, les statistiques sont affligeantes, puisque dans certains départements un enseignant référent peut suivre jusqu'à 300 dossiers ; il ne peut donc pas suivre les situations individuelles et contribuer utilement à l'inclusion scolaire des enfants.

Dans les lycées, on peut réussir de très beaux partenariats entre le monde médico-social et l'éducation nationale. J'en veux pour preuve le lycée des Bourdonnières, à Nantes, que Mme Sophie Cluzel a visité récemment, et qui permet à une quarantaine d'élèves en situation de handicap d'être accueillis et intégrés dans toutes les classes, dans toutes les filières de formation – professionnelle, générale, technologique. Cet établissement, qui dispose d'un plateau technique de très grande qualité porté par l'APAJH, permet à ces jeunes en situation de handicap d'avoir accès à tous les outils et instruments nécessaires à leur réadaptation sur leur lieu d'études. En réunissant lieu d'études et lieu de réadaptation, nous pouvons réussir de belles choses. Mais plutôt que de se doter, à travers la France, de quelques établissements pilotes exemplaires, nous devons – et j'espère que ce sera l'un des objectifs que fixera la commission d'enquête – réussir à développer ces initiatives partout en France pour qu'elles puissent essaimer et donner des idées aux chefs d'établissement, aux rectorats, aux agences régionales de santé pour financer ces projets, qui fonctionnent.

Parmi leurs revendications, certains collègues ont cité la réduction du nombre d'élèves dans les classes qui accueillent des enfants en situation de handicap. On ne peut pas gérer de la même manière une classe de vingt-quatre élèves sans enfant en situation de handicap et une classe qui en intègre deux ou trois. Il faut donc prévoir dans les académies, sans nécessairement avoir besoin de fixer une règle par la loi, des affectations de personnels, mais surtout des tailles de classes adaptées à l'accueil d'enfants en situation de handicap.

Nous revendiquons l'augmentation du nombre de places en SESSAD par la création de places nouvelles plutôt que par le réaménagement de structures existantes, ce que l'on constate trop souvent. Nous considérons aussi que la promotion de la réflexion, de la recherche, de la formation pour rendre les outils, les supports les démarches pédagogiques pleinement inclusives est encore à construire. Trop peu d'enseignants bénéficient d'une formation initiale ou continue leur permettant d'adapter leurs pratiques pédagogiques à l'accueil d'enfants en situation de handicap. Tous les troubles méritent une formation particulière. Il a été beaucoup question, lors des auditions précédentes, de la formation des AESH qui est une nécessité. Toutefois, la formation des enseignants est encore le parent pauvre de la démarche d'inclusion scolaire quatorze ans après le vote de la loi du 11 février 2005. L'éducation nationale a là un immense champ de progrès potentiel.

Je veux enfin insister sur la nécessité de construire des schémas territoriaux. Il convient d'articuler le travail du champ médico-social et de l'éducation nationale, ainsi que celui des départements. À l'initiative du rectorat de Lyon, la région Auvergne-Rhône-Alpes a élaboré un schéma territorial de grande qualité qui dresse la liste des actions, un calendrier de mise en oeuvre et des indicateurs de suivi précis. Ce travail avec le département et l'agence régionale de santé (ARS) a abouti, et il a essaimé dans l'ensemble de la région. Nous considérons que toutes les régions et tous les départements doivent se doter de schémas territoriaux articulant la coopération entre tous ces acteurs. Je le répète, mieux vaut additionner les compétences et les savoir-faire que de travailler chacun en vase clos, dans son périmètre.

Lors des auditions précédentes, vous avez également évoqué la question des PIAL. Nous avons quelques inquiétudes en la matière. Comme je ne veux pas monopoliser la parole, je ne développerai pas mon propos. Toutefois, sachez que nous sommes à votre disposition pour vous dire ce que nous considérons, dans la configuration actuelle des PIAL et leur mise en oeuvre, être un danger pour la construction d'une école pleinement inclusive et pour vous soumettre nos propositions afin de faire évoluer ce projet.

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