Intervention de Dominique Sopo

Réunion du jeudi 11 avril 2019 à 10h30
Commission d'enquête sur la lutte contre les groupuscules d'extrême droite en france

Dominique Sopo, président de SOS Racisme :

Je vous remercie pour votre invitation, ou votre convocation – je ne sais pas quel est le terme qui convient.

Le phénomène des groupuscules d'extrême droite nous inquiète, en tant qu'association antiraciste et de défense des droits de l'homme. Ce phénomène n'est pas nouveau et j'imagine qu'il vous a été dit, au cours des précédentes auditions, que les effectifs de ces groupuscules n'ont pas spécialement augmenté ces dernières années. Ce qui nous inquiète, en revanche, c'est leur visibilité croissante, grâce aux réseaux sociaux et au caractère viral de certaines images mettant en scène leurs actions. Cela ne signifie pas que ces groupuscules sont plus nombreux ou plus actifs qu'auparavant, mais leur visibilité croissante leur offre, de fait, une nouvelle sphère d'influence. Au-delà du noyau des activistes et des membres de ces groupes, on voit se diffuser dans la sphère publique des discours légitimant leur action et leur idéologie. Or il s'agit, pour nous, d'incitation à la violence.

L'idée de procéder à la dissolution de ces groupuscules d'extrême droite suscite des réticences parmi les chercheurs, comme en témoignent certaines des auditions que vous avez réalisées, et dans une partie de l'appareil policier. Certains policiers expliquent qu'il est plus facile de surveiller des groupes constitués que des individus dispersés dans la nature. Les chercheurs, quant à eux, ont tendance à dire que ces formes d'organisation politique ont quelque chose de plus serein, à terme, que l'action violente. Or ces arguments me semblent critiquables. D'abord, le fait que des personnes se constituent politiquement sur la base d'une idéologie haineuse ne me semble pas positif en soi, puisque la politisation des préjugés et des haines ne mène pas à la sérénité. Cela peut même mener, hélas, à une légitimation ou à une rationalisation de la haine envers certaines catégories de la population.

Je prendrai l'exemple du groupe Génération identitaire, dont nous avons demandé la dissolution au Premier ministre à deux reprises, en octobre et en décembre 2018, sur la base de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure. Ce groupuscule met au centre de son apparition dans l'espace public la théorie du « Grand remplacement », dont j'affirme qu'elle est en soi une violence, même si les groupes qui agitent cette prétendue théorie font souvent preuve d'une grande pudeur lorsqu'on évoque leur rapport à la violence. Quand on essaie de légitimer dans l'espace public l'idée qu'un Grand remplacement est en cours, que des personnes venues de l'autre rive de la Méditerranée ont pour projet de dissoudre, c'est-à-dire de tuer un peuple existant, et qu'il faut résister à cette mort annoncée en procédant à leur « remigration », à quoi appelle-t-on, si ce n'est à la violence et à la destruction des personnes qui arrivent ?

Cette théorie de la remigration est, en soi, une théorie violente. Qui croit sérieusement que l'on peut dire à des gens – je pense que je serais concerné – qu'on va les renvoyer dans le pays de leur père – pour moi, ce serait le Togo – par tel avion et à telle heure, et que cela se fera dans le calme et sans aucune contrainte physique ? Ceux qui brandissent la théorie du Grand remplacement dans l'espace public appellent donc à quelque chose qui relève de la violence. De ce point de vue, il me semble que les liens, y compris financiers, qui peuvent exister entre Génération identitaire et le terroriste de Christchurch ne sont pas le fruit du hasard.

Par ailleurs, plusieurs dissolutions ont été qualifiées de bénéfiques par les autorités. Laurent Nuñez a ainsi fait un bilan positif de la dissolution, en 2013, des Jeunesses nationalistes révolutionnaires (JNR), liées à Troisième Voie, et de l'Œuvre française. De nouvelles dissolutions ont fort heureusement été annoncées par le Président de la République, notamment celle de Bastion social. On ne peut pas accepter en effet que des personnes essaient, grâce à la caisse de résonance qu'offrent aujourd'hui les réseaux sociaux, de structurer l'espace public autour d'une logique de haine, d'exclusion et de ségrégation.

Au-delà de la dissolution de Génération identitaire, qui doit être attentivement étudiée, le dernier élément à prendre en compte, c'est internet. SOS Racisme, mais également la Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme (LICRA), J'Accuse, le Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples (MRAP) et l'Union des étudiants juifs de France (UEJF) ont formulé une série de propositions concernant la régulation et la lutte contre la haine sur internet. Nous serons auditionnés par Laetitia Avia le 9 mai – la LDH le sera probablement également. Cela nous donnera l'occasion de formuler des remarques, en complément des dispositions déjà prévues par la proposition de loi déposée par le groupe La République en Marche portant sur la question de l'anonymat et la responsabilité pénale et civile des plateformes numériques. Sur ce dernier point, il est actuellement complexe d'engager des poursuites à leur encontre lorsqu'elles ne prennent pas, en matière de régulation, les responsabilités auxquelles les soumet la loi pour la confiance dans l'économie numérique (LCEN).

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