Intervention de Mamédi Diarra

Réunion du jeudi 11 avril 2019 à 9h10
Mission d'information sur l'aide sociale à l'enfance

Mamédi Diarra :

Avant de procéder à une présentation générale, je vous dirai quelques mots sur mon parcours.

Je suis un enfant placé en foyer avec mes frères et soeurs suite à une mesure d'action éducative en milieu ouvert (AEMO) qui n'avait pas fonctionné de 1999 à 2001. J'ai été placé à l'âge de sept ans la première fois jusqu'à ma majorité. Ensuite, j'ai eu un contrat Jeune majeur jusqu'à mes vingt et un ans. Je suis actuellement en master droit fiscal, à la Sorbonne.

J'ai vingt-cinq ans, j'ai connu quatre lieux de placement dans une structure qui était maltraitante à mon égard, essentiellement sur le plan psychologique. J'ai également connu quelques épisodes de maltraitances physiques. Ce fut une période très compliquée de ma vie, une période où je n'étais absolument pas entendu, pas écouté, notamment par le juge qui préférait lire les rapports falsifiés et mensongers de la structure où j'avais été placé plutôt que d'écouter ma parole d'enfant en souffrance. J'étais également suivi par un psychiatre qui établissait des rapports. Je suis entré en dépression à cette époque-là. Il a été compliqué de me sortir de cette structure, il a fallu que je me retrouve à l'hôpital pour que le juge, au milieu de l'été, prenne une ordonnance qui décide de mon départ.

Actuellement, je suis le président de Repairs 94, l'association des accueillis et anciens en protection de l'enfance du Val-de-Marne, président de l'association Appellation d'origine citoyenne, membre du comité d'animation du Forum français de la jeunesse et élu à Vincennes. Je suis un multi-engagé. C'est lié à mon parcours et à différents événements qui se sont produits dans ma vie.

L'Aide sociale à l'enfance est héritière de l'assistance publique et de l'ancienne DDASS. Des difficultés traversent les époques. Ces difficultés sont celles qui font échouer l'insertion sociale pleine et entière de centaines de jeunes en France et cela n'est pas acceptable au XXIe siècle.

Les jeunes sont l'avenir et le présent, donc pourquoi ne pas leur donner toutes les chances de réussir à s'en sortir après avoir rencontré des difficultés d'ordre social, économique, scolaire, culturel ou bien d'autres encore ?

Nous avons collectivement l'obligation de changer les choses aujourd'hui durablement. Nous avons collectivement l'obligation de ne pas laisser au bord de la route celles et ceux qui ont connu une enfance difficile et une jeunesse volée, tronquée ou, comme pour moi, sans l'insouciance normale qui doit être celle d'un jeune.

Je présenterai quelques constats sur la situation des enfants accueillis.

Un suivi de la scolarité très faible ou inexistant.

Des structures maltraitantes qui continuent d'accueillir des enfants, que ce soient des foyers ou des familles d'accueil...

L'existence du michetonnage dans certains départements et de pratiques à risque chez les jeunes, filles et garçons, mineurs ou jeunes majeurs.

La situation des enfants et des jeunes atteints des troubles psychiques, de handicaps, de dépression, mal accompagnés, faute de places en nombre suffisant ou de professionnels qualifiés dans les structures ou autour des structures.

Une solitude ou un sentiment de solitude. On sait que la jeunesse est un temps où elle a besoin d'avoir accès à des activités récréatives, sportives, culturelles... Le fait d'être placé peut avoir des effets bénéfiques sur l'aspect culturel et social, mais pour un nombre non négligeable de cas, ce n'est pas le même horizon qui se présente aux accueillis.

L'association a essayé de rompre cette solitude et cette inégalité vis-à-vis des enfants et des jeunes en proposant des activités dans des domaines variés pour faire découvrir, « faire goûter » à tout et désacraliser certaines choses. Je pense en particulier au ciné-club, aux ateliers créatifs, au local de l'association à Créteil, aux « pair'iples » que nous organisons, aux sorties au théâtre, à la boxe anglaise en club, à la salsa avec une passionnée expérimentée qui nous propose cette activité, prochainement aux ateliers d'éloquence visant à renforcer la confiance en soi, l'expression et la prise de conscience.

Le modèle des pouponnières est en danger en raison de décisions qui n'ont pas de lien avec le secteur social mais qui l'impactent et produisent des effets sur les enfants et les personnels en termes de temps de travail, de rythme d'activité, du nombre de personnes qualifiées, de moyens financiers accordés aux structures.

Étant donné les nouvelles organisations familiales et le temps de travail, nous proposons une chose simple et qui par ailleurs aurait des effets bénéfiques pour un autre corps de professionnels que sont les assistants familiaux. Nous proposons que pendant la journée ils confient les bébés aux pouponnières, ce qui leur permettrait alors de travailler et d'apporter un revenu supplémentaire concourant à une situation financière plus stable pour le bien du foyer d'accueil et de l'enfant confié. Dans cette hypothèse, les pouponnières seraient des accueils de jour dotés d'un plateau technique hautement qualitatif consacré au développement et au bien-être de l'enfant ainsi qu'à son épanouissement cognitif qui, en amont de l'inscription à l'école, n'est pas un facteur négligeable.

Les pouponnières pourraient également être, dans cette organisation, des espaces ressource pour les assistants familiaux et les crèches environnantes souhaitant prendre conseil. Mes petites soeurs ont été en pouponnière au foyer de Sucy-en-Brie, où cela s'est très bien passé.

S'agissant des observatoires départementaux de la protection de l'enfance, encore trop de départements ne l'ont pas encore mis en place aujourd'hui, malgré le temps passé depuis les différentes lois.

Je dresse là un tableau noir mais tout n'est pas à jeter ! Il y a de belles réussites à l'ASE lorsque la volonté politique est ambitieuse, de bons dispositifs aussi, il suffit de visiter les villages de SOS Villages d'Enfants, le dispositif Haut-parleur dans le Finistère, le foyer départemental de l'enfance de Sucy-en-Brie qui a été mon premier placement, certains foyers à taille humaine, des familles d'accueil dévouées... Tout cela existe aussi.

Pour un accompagnement efficace, il faudrait :

Un meilleur contrôle des structures sur la qualité effective de la prise en charge : tenir compte de la parole des accueillis, contrôler effectivement la qualité relationnelle et la qualité d'accompagnement vers les objectifs fixés, notamment par le pouvoir judiciaire.

Des sanctions fermes et sans complaisance en cas de maltraitance d'une structure accueillante, qu'elles soient psychiques, physiques ou morales. Je vise le retrait de l'agrément ou de l'habilitation à accueillir des enfants. Il y va de l'intérêt supérieur de l'enfant, car trop de structures continuent aujourd'hui à exercer et à accueillir lorsque des maltraitances sont avérées et même connues des institutions départementales.

Des éducateurs scolaires ou du moins un suivi scolaire de qualité afin d'améliorer la continuité de la scolarité et les relations entre les services de l'ASE et le milieu scolaire, Il conviendrait de clarifier, d'entretenir, d'appuyer la mise en place de réseaux de travail commun et de suivi des accueillis pour lisser leur intégration et leur bonne scolarité – associations, Éducation nationale, mairie, département.

Une transition entre les modes d'accueil ou lieux de placement : il faut que nous nous engagions pour qu'il n'y ait pas de mise en danger de la qualité d'une prise en charge et du moral d'un enfant ou d'un jeune accueilli, d'autant plus pour celles et ceux en bas âge. Pour y parvenir, il faut systématiser les périodes transitoires entre les modes d'accompagnement ou le lieu d'accueil, en proposant à l'enfant, par exemple, des temps progressifs sur le futur lieu de vie, avec la possibilité de faire en sorte que les éducateurs et éducatrices du précédent lieu d'accueil puissent faire quelques visites à l'enfant. C'est souvent une demande des enfants qui n'est pas prise en compte. Les enfants sont souvent ballottés d'une structure à l'autre. Du jour au lendemain, leurs liens avec la structure dans laquelle ils étaient placés sont coupés.

Un engagement pour le développement de dispositifs et structures adaptés. Je vise ici les troubles psychiques, la délinquance juvénile, dans le respect des principes fondateurs de l'ordonnance de 1945. Le « repérage des jeunes les plus en risque de rupture » constitue un véritable enjeu et un préalable essentiel à la démarche de lutte contre la pauvreté des enfants et des jeunes. Nous affirmons dans le même propos l'absolue nécessité de ne pas exclure celles et ceux qui ne seraient – entendons-nous souvent – « pas assez en difficulté » et qui sont rejetés des dispositifs sur ce fondement. Ce fut mon cas ; cela s'est traduit par le retrait d'une bourse complémentaire d'étude qui existait dans mon département, que j'aurais dû toucher jusqu'à mes vingt-cinq ans. Or, à mes vingt et un ans, on m'a fait comprendre que je n'étais pas assez dans la merde, excusez-moi du terme, pour bénéficier de ce dispositif qui n'était que de 160 euros par mois, mais qui, à l'âge que j'avais, représentait énormément.

Il conviendrait de :

Renforcer la formation des assistants familiaux.

Si la situation physique et psychique de l'enfant le permet, il conviendrait de leur laisser la possibilité d'avoir un emploi en parallèle de « l'activité » d'assistant familial.

Valoriser leur travail et enrichir leur travail.

Favoriser la constitution de plateaux techniques.

Éviter les séparations de fratrie.

Introduire du collectif dans la prise en charge personnalisée : des espaces de dialogue et de rencontre pour les enfants et les jeunes pour pallier le fort isolement des jeunes qui sont placés en famille d'accueil familial.

Au titre des points de vigilance, je dirai qu'il ne faut pas privilégier un mode d'accueil par rapport à un autre : chaque enfant, chaque situation réclame un mode de placement spécifique. Le panel existant doit être ouvert en considération des besoins et de la volonté des enfants.

Les difficultés des jeunes majeurs de l'ASE sont affectives et financières. Ils ont des difficultés à avoir un accès à un logement stable et à financer leurs études, à accéder à l'information et au droit. Gabrielle parlait de la présence d'un avocat. On ne sait pas forcément que l'on a droit à un avocat.

Je vous livre quelques éléments chiffrés.

Plus de 340 000 enfants et jeunes sont placés à l'ASE. Ils ont cinq fois moins de chance de préparer un baccalauréat général, selon l'INED en 2016.

Près d'un quart des SDF déclare être passé un jour par l'ASE.

Environ 30 % des moins de 30 ans utilisateurs de services d'hébergement temporaire et de restauration gratuite sont des anciens et anciennes de l'ASE, selon l'INSEE en 2016).

L'âge du premier emploi significatif se situe autour de vingt-trois ans. L'âge moyen de décohabitation de la population générale se situe à vingt-six ans.

Pourquoi demander plus à ceux qui ont moins ? Les jeunes ont des difficultés à accéder à des dispositifs tels que la CMU et la CMU-C, et un manque de continuité touche l'accès à ces dispositifs pour les jeunes qui deviennent majeurs.

Collectivement, nous devons enrayer l'engrenage qui, pour des raisons budgétaires court-termistes, conduit des jeunes à ne pas achever leur formation ou à en suivre une par défaut. Ils sont orientés vers des formations courtes avec une injonction à l'autonomie le plus rapidement possible, qui est la raison d'échecs scolaires, alors que l'on investit presque un million d'euros pour un jeune placé dès sa petite enfance jusqu'à sa majorité, et ce pour économiser quelques milliers d'euros à la fin, mettant à mal l'ensemble du parcours d'accompagnement.

Pour conclure, ensemble, institutions publiques et associations, accueillis et anciens accueillis de l'ASE, notre responsabilité est que chacune et chacun puisse se réaliser pleinement et durablement pour accéder à l'autonomie réelle. Des solutions sont possibles. Je vous livrerai quelques éléments en répondant à vos questions. Je vous remercie d'avoir permis de m'exprimer.

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