Intervention de Brigitte Kuster

Séance en hémicycle du lundi 6 mai 2019 à 16h00
Création du centre national de la musique — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBrigitte Kuster :

Quand il était Président de la République, Nicolas Sarkozy avait compris qu'à l'instar du cinéma, le secteur de la musique avait besoin d'une structure pilote, et davantage encore dans un contexte marqué par l'effondrement de l'industrie du disque. Mais c'était sans compter sur la politique de la table rase conduite par son successeur – je n'y reviens pas, mais ce furent cinq années de perdues.

Deux rapports et plusieurs mois de concertation plus tard, voilà le projet de CNM de nouveau sur pied. Je m'en réjouis et je salue ici le travail de notre collègue Pascal Bois. La musique et les variétés méritent, nous en sommes tous d'accord, un outil public d'aide, de prospective et de concertation, plus encore, bien sûr, dans un univers où la réalité du jour n'est pas celle du lendemain.

Mais ce satisfecit n'interdit pas les réserves, pour certaines importantes.

La première, cela n'étonnera personne, concerne le financement. Chacun en convient aisément : créer un Centre national de la musique sans moyens ne servirait à rien. Tous s'accordent autour d'un budget global de 20 millions d'euros, à commencer par vous, monsieur le rapporteur, qui l'avez écrit dans un rapport de qualité que vous avez remis au Premier ministre il y a quelques mois seulement, j'en parlais à l'instant. Ces 20 millions d'euros, c'est l'assurance d'un CNM moteur pour l'économie du secteur. Mais, pour l'heure, le compte n'y est pas : nul ne sait précisément de quels moyens disposera le CNM.

Une source principale de recettes est identifiée : la taxe sur les spectacles. Les professionnels qui l'acquittent se demandent d'ailleurs si elle continuera à financer exclusivement le soutien à la production et à la diffusion de spectacles. Pour le reste, rendez-vous est pris à l'automne, lorsque nous examinerons le PLF pour 2020. Autant dire que la plus grande incertitude domine, surtout dans le contexte actuel. La loi de finances pour 2019 a laissé un goût amer à de nombreux entrepreneurs du spectacle vivant, notamment à ceux des secteurs de l'humour et des comédies musicales, qui ont été exclus du crédit d'impôt. Qu'en sera-t-il, monsieur le ministre, en 2020 ?

À l'heure où le Gouvernement cherche à rogner certaines aides directes aux entreprises, beaucoup nourrissent de vraies inquiétudes sur le sort qui sera réservé au CNM, et plus globalement aux différents dispositifs de soutien à la culture. Comment ne pas les comprendre ?

Il ne serait pas raisonnable, monsieur le ministre, que nous sortions de la discussion en séance publique comme nous sommes sortis de la commission, sans savoir précisément comment sera financé le futur établissement. Sans de solides garanties en la matière, tout le reste semble dérisoire.

S'agissant de la musique enregistrée, je rappelle que, si la croissance est là – autour de 1,8 % – , c'est notamment à la faveur des bons résultats du streaming, et qu'elle demeure extrêmement précaire. La capacité de soutien et d'accompagnement du CNM est un élément décisif dans une économie où tout change si vite et où les acteurs, notamment les plus puissants, ne sont pas tous soumis aux mêmes règles, loin de là.

En matière de financement, le groupe Les Républicains fait sienne une proposition avancée dans le rapport précité : transférer au CNM une fraction de la taxe dite « Copé », dont les recettes abondent le budget général de l'État, au lieu de compenser, conformément à son objet initial, les pertes de revenus publicitaires occasionnées par la suppression de la publicité en soirée sur France Télévisions. Au regard de la place qu'occupe la musique dans la consommation d'internet, le CNM serait tout à fait fondé à percevoir une partie de ladite taxe. Monsieur le ministre, il sera très utile de vous entendre sur ce point décisif.

Second écueil à mes yeux : le périmètre des compétences. Si le soutien à la création a été voté en commission – et c'est une très bonne chose – , il faut aller plus loin pour que le CNM devienne le véritable levier économique qu'attendent tous les acteurs du secteur. En effet, c'est un secteur dont l'économie dite « de prototype » est marquée par l'imprévisibilité, donc par la nécessité de prendre des risques. Sans risques, aucune chance de voir émerger de nouveaux talents, et pas davantage de diversité culturelle ! Mais qui dit prise de risque, dit nécessité d'investir. À ce titre, l'une des missions prioritaires, voire la mission prioritaire du CNM, doit être de soutenir la capacité d'investissement des entreprises. Or cette dimension spécifique est absente du texte, ce qui accentue d'autant l'incertitude liée au manque d'engagement sur le financement du CNM. II faut absolument, monsieur le ministre, que nous parvenions en séance à corriger cette lacune.

De même, il faut que la gestion des deux crédits d'impôt – phonographique et spectacle vivant – soit expressément confiée au CNM, non seulement pour en simplifier l'accès mais également pour documenter plus précisément l'usage qui en est fait et les sécuriser une bonne fois pour toutes. Les professionnels n'en peuvent plus : ils sont tous les ans suspendus aux arbitrages de Bercy pour savoir si ces dispositifs, créateurs d'emplois, je le rappelle, mais également rentables pour l'État seront pérennisés à long terme.

S'agissant de simplification, il est également indispensable de confier au CNM la gestion de la mesure 9 et éventuellement celle de la mesure 8 du FONPEPS, le Fonds national pour l'emploi pérenne dans le spectacle. En l'état, la proposition de loi semble permettre ce transfert, qui soulagerait beaucoup les entreprises du secteur, en proie à d'importantes difficultés avec l'opérateur responsable, notamment en ce qui concerne les délais de traitement des dossiers. Là encore, à l'instar des crédits d'impôt, il s'agit de renforcer une mesure d'aide vertueuse, qui répond aux besoins des filières concernées, et d'améliorer encore l'impact positif du CNM sur le secteur.

Autre écueil : la composition du conseil d'administration, c'est-à-dire la gouvernance. Suivant une formule classique, la proposition de loi renvoie les nominations à des décrets. Cette formule est forcément discrétionnaire, un qualificatif qui ne cadre pas vraiment avec le rôle qu'affiche le CNM : promouvoir le dialogue entre des acteurs aux intérêts souvent contradictoires.

Le groupe Les Républicains plaide pour un conseil d'administration restreint, comprenant quinze membres, dont une majorité de représentants de l'État et des collectivités, tout en laissant une large place aux représentants des auteurs, des artistes, du spectacle vivant, de la production phonographique, de l'édition ainsi que des salariés.

Comme le préconise le rapport de préfiguration, ce conseil d'administration pourrait être assisté d'un conseil professionnel où siégerait un nombre plus élevé d'acteurs du secteur. L'enjeu, une fois encore, est d'assurer davantage de dialogue et de transparence.

Le CNM doit aussi être à l'image de ses membres et des objectifs qu'il poursuit. À nous d'inventer une gouvernance qui soit pleinement en phase avec l'ambition que portent les acteurs culturels pour le CNM.

Autre difficulté, longuement évoquée en commission : la fusion des associations au sein du CNM. La réécriture de l'article 5 a permis de lever certaines inquiétudes sur le respect de la liberté d'association, sans pour autant écarter les doutes quant au respect du droit de propriété. En l'état, le transfert au CNM des biens, droits et obligations des associations se fera à titre gratuit et sans indemnité. Cette disposition trop rigide risque d'empêcher les membres de ces associations de consentir à leur dissolution avant que ne soient définitivement réglées les questions financières, nombreuses et parfois épineuses, si l'on en juge par l'exemple du bail que vient de signer pour six ans le Fonds pour la création musicale.

J'ai d'ailleurs déposé un amendement qui préconise que ces transferts s'opèrent par la voie du conventionnement entre les associations et le CNM. L'enjeu est double : permettre à chaque partie d'organiser la fusion au mieux de ses intérêts, durant une période de transition, et sécuriser juridiquement une disposition qui, en l'état, a toutes les chances d'être déclarée inconstitutionnelle.

Pour conclure, le groupe Les Républicains se réjouit de l'avancée que constitue cette proposition de loi. Néanmoins, vous l'avez compris, il nous apparaît toujours possible de faire évoluer le texte dans un sens encore plus favorable au secteur musical, notamment sur la question des compétences du CNM et de la fusion des associations au sein de l'établissement.

D'autres questions qui se posent encore ne trouveront probablement pas de réponses définitives à l'issue de nos débats. Je pense notamment à la question essentielle du financement, dont M. le ministre vient de reporter le traitement à un comité d'organisation.

Pour autant, le débat qui s'amorce cet après-midi est l'occasion de prendre date et d'affirmer certains engagements. À ce titre, monsieur le ministre, je ne doute pas que vous saurez apporter aux acteurs des filières concernées les garanties nécessaires qu'ils sont en droit d'attendre de l'État. Parce que vous êtes un fin connaisseur du dossier, nous comptons sur vous.

Nous voterons donc en faveur de cette proposition de loi, en espérant pouvoir contribuer à l'enrichir au cours de la discussion.

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