Intervention de Jacques Percebois

Réunion du jeudi 18 avril 2019 à 17h30
Commission d'enquête sur l'impact économique, industriel et environnemental des énergies renouvelables, sur la transparence des financements et sur l'acceptabilité sociale des politiques de transition énergétique

Jacques Percebois :

En tant qu'universitaire – je suis professeur émérite à l'université de Montpellier – je tenterai de vous donner un point de vue sur la rationalité de la politique énergétique, principalement centrée sur l'électricité.

Je préciserai d'emblée que lorsque l'on parle d'énergies renouvelables, il ne faut pas se limiter à l'électricité. En effet, il existe des renouvelables thermiques – je pense au bois, au biogaz ou au biocarburant – dont le rôle n'est pas négligeable aujourd'hui et peut devenir relativement important demain. Or, si l'on se focalise sur l'énergie électrique, on ne s'intéresse qu'à une partie de la politique énergétique. N'oublions pas qu'en prenant comme référence la consommation finale d'énergie en France, l'électricité ne représente que 23 % de la consommation, contre 20 % pour le gaz et 45 % pour les produits pétroliers. Par conséquent, si l'on veut réduire l'impact des émissions de gaz à effet de serre, il faut surtout penser au secteur des transports et au secteur domestique, et ne pas systématiquement se focaliser sur l'électricité.

En électricité, les renouvelables sont essentiellement l'hydraulique, qui représente 12,5 % de la production globale, le solaire à hauteur de 2 %, et l'éolien dont la part se chiffre à 5 % – soit un total de 19 % environ. La programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) prévoit qu'ils devraient représenter 40 % de la production d'électricité à l'horizon de 2030 et que, corrélativement, la part du nucléaire devrait passer de 72 % à 50 % à l'horizon de 2035. C'est un choix politique, conséquence de contraintes à la fois politiques, géographiques et historiques desquelles la politique énergétique française a toujours résulté. Et pour cause, la France n'a pas la chance d'avoir beaucoup de ressources naturelles. Après avoir mis fin à l'exploitation massive du charbon, il a donc fallu faire appel aux ressources nationales et l'indépendance énergétique s'est largement appuyée – en tout cas depuis les chocs pétroliers – sur l'électricité nucléaire. Cela a permis à notre pays de retrouver un taux d'indépendance non négligeable, puisque l'indépendance énergétique, en termes d'énergie primaire, est désormais de l'ordre de 50 %, contre à peine 25 % lors du choc pétrolier. Il me semblait important de le souligner.

Dans le même temps qu'on libéralisait le secteur de l'électricité en Europe, on a considéré – l'Europe dans son ensemble et chacun des États membres – qu'il fallait développer les renouvelables qui étaient des énergies décarbonées, en particulier les renouvelables électriques auxquelles je faisais référence. Puisque nous étions dans un contexte de marché, il a été décidé qu'il fallait faire une exception au marché en fixant des prix d'achat garantis – feed-in tariff. En principe, ceux-ci couvrent le coût de production, lequel est plus élevé que le prix du marché, permettant à celui qui produit de l'électricité renouvelable de développer le marché. Ces prix ont été fixés à un niveau assez élevé, et l'on n'avait pas anticipé que les coûts baisseraient aussi vite. De sorte que l'on s'est retrouvé avec des surcoûts relativement importants. Il faut bien voir que la différence entre le prix d'achat garanti aux producteurs d'électricité renouvelable et celui du marché de gros, fixé heure par heure sur un marché spot, c'est-à-dire un marché d'équilibre entre l'offre et la demande, est relativement conséquente. Elle a d'ailleurs entraîné des rentes pour certains, dans la mesure où ce système a été mis en place sans contrôle des quantités. On a fixé un prix sans vérifier que l'on avait toujours vraiment besoin de la quantité mise sur le marché. Le résultat est que le surcoût est financé par le consommateur d'électricité à travers la fameuse contribution au service public de l'énergie (CSPE). Et cette CSPE n'a pas cessé de croître, si bien que depuis 2017, on a fait une sorte de swap : la CSPE, qui est maintenant stabilisée et qui a été plafonnée à 22,50 euros par mégawattheure (MWh), est versée au budget général de l'État, et c'est une partie de la taxe intérieure sur la consommation de produits énergétiques (TICPE), en l'occurrence les produits pétroliers, qui finance désormais le surcoût des renouvelables. Et ce, pour une raison juridique. En effet, Bruxelles a considéré que la CSPE n'était pas conforme aux directives européennes. Je précise, en outre, qu'on l'appelle toujours CSPE alors qu'on devrait l'appeler taxe intérieure sur la consommation finale d'électricité (TICFE). Tout cela est assez complexe ! Toujours est-il que le consommateur paie la différence et que cette différence est assez importante puisqu'elle est de l'ordre de 5 milliards d'euros par an. La Cour des comptes, dans un rapport de 2018, a montré que si l'on faisait le cumul de tous les contrats signés jusqu'en 2040, cela représenterait tout de même 121 milliards d'euros, ce qui est loin d'être négligeable.

L'autre inconvénient de ce système est qu'on a assisté à un effet pervers sur le marché de gros. En effet, puisque cette électricité renouvelable est financée hors marché et injectée sur le marché de gros, elle fait baisser les prix de gros. Et paradoxalement, alors que le prix de gros baisse sur le marché spot, le prix payé par le consommateur final augmente – ce qui lui semble difficilement compréhensible. C'est la logique du fonctionnement du marché de gros, qui s'appuie sur ce que l'on appelle l'ordre de mérite – merit order – : on appelle les centrales en fonction de l'ordre de mérite, et le coût marginal, c'est-à-dire le prix auquel l'électricité participe aux enchères, est nul. Il y a même eu, parfois, des prix négatifs. C'est arrivé d'abord en Allemagne, mais quelques fois en France également. Encore récemment, des prix très légèrement négatifs ont été observés. On est obligé de payer quelqu'un pour vous débarrasser de cette électricité excédentaire ! Et pour cause, n'oublions pas que la contrainte de l'électricité est que l'on ne peut pas injecter plus qu'on soutire, ou soutirer plus qu'on injecte sur le réseau. Un équilibre physique doit être respecté.

Ce système a conduit à modifier les aides accordées aux renouvelables, dans un bon sens. Cela a été le cas en Europe. Ce sont les Allemands qui ont commencé, en considérant qu'il fallait progressivement abandonner les prix d'achat garantis soit au profit des feed-in premium, système dans lequel le producteur d'électricité vend au prix du marché mais obtient une prime en compensation, soit au profit des enchères. Les enchères constituent le meilleur système, qui est actuellement privilégié en France. Maintenant que les coûts de l'électricité renouvelable ont fortement chuté, ceux qui veulent injecter sur le réseau doivent participer à des enchères. C'est le cas pour les gros investissements dans des centrales solaires, de l'éolien terrestre ou de l'éolien en mer. En revanche, les particuliers qui installent des panneaux solaires sur leur toit n'ont pas la possibilité d'y participer.

Un autre système se développe également, le power purchase agreement (PPA), qui permet à certains gros consommateurs d'acheter directement à des producteurs d'électricité renouvelable. Il est assez populaire aux États-Unis et dans les pays nordiques. Je crois que c'est un bon système.

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